Le chemin de lanterne

Il s’était égaré. Dans le dédale des rues et tout à sa rêverie, il avait perdu les pédales. Il se souvenait bien de ce marchand de crapauds en cage devant lequel il était passé. L’étiquette en idéogrammes ne lui avait pas permis de savoir à quoi ces petites bêtes étaient vouées. Il se rappelait qu’il était resté longtemps face à la devanture. Et puis il avait remonté la rue sans véritablement se rendre compte qu’il croisait de moins en moins de monde. Juste des silhouettes fugitives qui lui jetaient un regard bref, fuyant. Et progressivement il s’était retrouvé seul. Isolé dans, pensait-il, un bout de périphérie de cette grande ville asiatique. Les bruits de la ville s’estompaient en chuchotis de plus en plus ténus.

Un lent alizé striait de traces blanches un air ambiant jauni par la pollution industrielle. C’est à ce signe aussi qu’il comprit qu’il s’éloignait. Les pavés blancs lui rappelaient l’Espagne mais il n’était pas en Espagne. La rue qu’il avait empruntée sinuait vers les hauteurs. Les maisons qu’il longeait semblaient closes, à de rares fois éclairées de l’intérieur par des lumières exténuées. Tout en marchant à pas lents il laissait dans sa mémoire jouer un vieil air de violoncelle. « Un air secret languissant et funèbre qui pour moi seul a des charmes secrets » lui murmura un souvenir de classe de troisième quand il devait étudier Gérard de Nerval. Lui s’appelait Laurent. C’était son prénom. Sa logeuse, en bas sur le port, l’appelait Monsieur Laurent. C’était une Portugaise qui n’avait jamais vu le Portugal.

Par expérience, il savait que marcher débouchait toujours sur une issue, au moins une indication salvatrice, rarement une impasse. Et donc il progressait à pas lents avec la détermination des tortues qui de tous temps ont toujours su où elles allaient obstinément. Mais l’idée qu’il était perdu, vraiment perdu, prenait de la consistance au fur et à mesure que le soir tombait. Et puis sur sa droite, à la faveur de l’obscurité naissante justement, il vit une lanterne posée sur le sol, sur la première marche d’un escalier. La lueur qu’elle diffusait était jaune au centre et rouge sur la paroi de verre qui protégeait la petite flamme. Laurent s’engagea dans cette voie et, très rapidement, il en vit une seconde. Il cherchait des repères providentiels, il tombait sur des balises. On lui montrait le chemin.

Comme il s’y attendait par une sorte d’intelligence secrète, une intuition commandée de l’intérieur, il en vit une sixième, à l’entrée d’une maison de bois. Et il se dit qu’à tout le moins, il trouverait bien quelqu’un à l’intérieur qui lui désignerait la bonne direction, lui fournirait les bons éléments de retour. La cour était jolie comme un poème. Plantée d’arbrisseaux taillés, un petit ruisseau la traversait. Son eau faisait tourner les pales d’un moulin miniature. Pour rejoindre la porte de la maison il fallait passer par un pont fait de lattes de bois polies. Instinctivement, Laurent se déchaussa et il entra. Pour ce faire il fit glisser une porte sur un rail et poussa ensuite un voile bleu.

La maison ne semblait comporter qu’une seule pièce. Sur un côté, les fenêtres largement ouvertes ne laissaient voir que la brume qui stagnait avec des nuances de gris et de rose. Au centre il y avait une pièce d’eau dont le milieu était occupé par une vasque. Sa surface était couverte de lentilles vertes. Comme elle débordait légèrement, les gouttes qui tombaient à la verticale composaient lors de leur chute, une musique discrète composée de plics et de plocs.

Laurent s’était assis sur une natte elle-même posée sur un banc. Ce qui fait qu’il voyait la pièce d’eau au premier plan et le ciel de brume tout au fond. Le léger vent qui parcourait la pièce provoquait des plis à la surface de l’eau. Nulle idée lui traversait l’esprit. Mais un grand repos parcourait son corps comme une onde de jouvence. Le tumulte urbain semblait si loin quand tout ici n’était qu’apaisement. Il lui apparaissait que l’on prenait soin de lui bien qu’il ne vît âme qui vive. Laurent se voyait comme dans une sorte de rêve éveillé, sans crainte, sans rien qui pût augurer quoique ce fût de funeste. Il se sentait comme exfiltré, tiré d’affaire.

Cette phase s’appelait la préparation.

 

PHB

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3 réponses à Le chemin de lanterne

  1. Mp dit :

    On attend la suite

  2. ISABELLE FAUVEL dit :

    Avec impatience même.

  3. Françoise OBJOIS dit :

    Un début de roman ?

Les commentaires sont fermés.