Le ballon de rouge est devenu hors de prix

De jour et encore plus à contre-jour, il est bien difficile de s’ébaubir. Il paraît que de nuit c’est tout de même mieux lorsque l’assemblage de Joana Vasconcelos se met à clignoter sous ses carreaux de faïence rouge. Cela représente un cœur mais comme l’ensemble tourne, la première impression qui vient possiblement à l’esprit sous un certain angle est celle d’un ballon… hors de prix. Afin de décorer la station de tramway de la Porte de Clignancourt en effet, la mairie de Paris a signé un chèque de 650.000 euros, sans compter comme le laisse penser Le Parisien dans son édition du 28 février, les frais de mission d’un voyage à Lisbonne.

Et comme l’indique ce quotidien, ce n’est pas tant l’esthétique de la réalisation qui interpelle mais son coût lequel n’est pas sans rappeler la commande d’un nouveau de service de table par l’Élysée dans des conditions financières comparables, selon les estimations -crédibles- des médias. Interrogé par Le Parisien, l’adjoint de la mairie de Paris à la culture a eu une curieuse façon de répondre à la polémique selon laquelle il y avait peut-être en ces temps difficiles, des dépenses plus urgentes à effectuer. Selon Christophe Girard, le « Cœur de Paris » est « un très bel hommage à la capitale, surtout dans une période de doute européen et de violences urbaines ». Chercher le rapport reviendrait à entreprendre un long voyage dans l’abstraction des éléments de langage, sans que le retour en bonne santé mentale soit garanti.

La mairie de Paris n’a malheureusement pas le monopole du terrain quand il s’agit de la dilapidation de l’argent public et de l’abolition intermittente du discernement. Les archives de la Cour des Comptes -par ailleurs critique sur la gestion municipale- regorgent hélas de cas semblables. Mais dans ce cas précis, celui de la Porte de Clignancourt, on ne peut s’empêcher de penser aux associations humanitaires de la capitale qui sauraient certainement employer les 650.000 euros afin de venir en aide par exemple, à tous les gens qui couchent dehors le long des boulevards extérieurs. D’autre part la ville vit de plus en plus à crédit. Son endettement tangenterait les 7 milliards.  Les édiles ont beau mentionner en défense que la gestion municipale est correctement notée par les agences internationales chargées d’évaluer les risques des emprunteurs, ils oublient de mentionner que cette notation est surtout établie sur les capacités de remboursement et donc la faculté à lever de l’impôt. Pour se défendre encore, la mairie a tenté de partager la responsabilité en assurant que la Région avait pris à sa charge 28% de la facture. Une information qui a aussitôt été démentie par l’intéressée.

L’œuvre de Joana Vasconcelos (1), qui fait partie d’un programme d’accompagnement artistique de la prolongation du tramway sur les boulevards extérieurs, est donc surtout remise en cause pour son coût exceptionnel auquel il faudra ajouter l’entretien. La journaliste du Parisien n’a apparemment pas réussi à trouver de réactions favorables eu égard à une facture qui affecte inévitablement le jugement. Cité dans un encadré du journal, le maire (UDI) de Saint-Ouen a notamment avoué son embarras en déclarant que « le sens des priorités de certains » lui échappait quelque peu. Le « Cœur de Paris », composé de 38.000 carreaux de faïence (soit 17 euros du bout), a d’abord joué les vedettes d’un bal de la Saint-Valentin au mois de février afin de faire de Paris « la capitale de l’amour ».  Dans ces conditions, face à un tel postulat, il est bien difficile d’appeler à la raison.

PHB

(1) Joana Vasconcelos est une artiste franco-portugaise née en 1971. Ses réalisations monumentales, souvent des objets détournés du quotidien, ont été au centre d’une exposition originale en 2012 au château de Versailles. Elle a déjà eu l’occasion de réaliser un cœur à partir de 5000 fourchettes en plastique. Son lustre géant composé de 25.000 tampons hygiéniques avait été refusé à Versailles et finalement abrité au Cent Quatre. La première apparition du lustre remontait à la Biennale de Venise en 2005.

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13 réponses à Le ballon de rouge est devenu hors de prix

  1. Chômeurs, devenez artistes contemporains ! Ben.
    Quelle lèpre que cette prolifération de faux artistes dont le principal talent est de savoir monter des dossiers.
    André Lombard.
    84750 Viens.

  2. philippe person dit :

    Une idée grâce à André : éditer les dossiers qui ont permis aux « artistes contemporains » d’emporter le « marché » auquel ils ont « soumissionné »… On devrait bien rire…
    Dans « soumissionné » il y a « soumis », le contraire de ce qu’on demande à un artiste…
    Attention Philippe, vous allez être accusé de populisme… De Parisien vous allez devenir Pharisien ! Faut pas énerver Cricri Girard !
    Merci en tout cas de continuer Les Soirées en ces temps mous alors que j’ai l’impression que nous sommes peu à réagir aux belles propositions de toute l’équipe !

  3. Je crois que les associations humanitaires auraient là toutes bonnes raisons de porter plainte.
    C’est là un double terrorisme : humanitaire et culturel.

    André Lombard 84 Viens.

  4. jacques ibanès dit :

    Plus que le prix, je suis pour ma part offusqué par la prétention à qualifier d’oeuvre d’art cette gentillesse (qui ne déparerait pas dans quelque Disneyland).
    Souvenons-nous du tableau signé Boronali qui avait été barbouillé par la queue d’un âne au début du siècle dernier. Dorgelès raconte l’histoire dans ses souvenirs sur Montmartre. C’était une plaisanterie, mais aujourd’hui on habille doctement avec des mots (les mots peuvent tout justifier, comme l’on sait) n’importe quelle ineptie. Et nous n’avons pas, hélas, un Flaubert pour tonitruer contre la Bêtise ou la peur…

  5. Le scandale du coût – 650.000 euros ! – n’est pas à passer sous silence en ces temps où tant d’entre nous ont de moins en moins et, pour certains, même plus rien pour vivre…
    C’est gravissime ces détournements de sommes folles, insensées, de l’argent public sous couvert d’art !
    André Lombard 84 Viens

  6. Karl Davresky dit :

    Avant les Français savaient eux aussi faire des « merdes » à ce prix

  7. Marie J dit :

    Par curiosité, je suis allée voir le compte instagram de Joana Vasconcelos. Elle y expose nombre de ses oeuvres mais pas celle-ci en dépit de l’honneur dispendieux que lui a fait la Ville de Paris. On y voit d’ailleurs un très phallique cornet de glace qui a, lui, séduit la ville de Nice… Et pour compléter la remarque de Philippe P, j’ai noté aussi que les photos de Joana V recueillent beaucoup moins de commentaires que les Soirées de Paris ! Néanmoins, j’approuve l’idee que le travail de Philippe B mériterait plus de réactions…

  8. Solange Aincy dit :

    Il est urgent que Madame le maire change de métier !!!

  9. Didier D dit :

    Et pour ceux qui préfèrent le Blanc au rouge , ne pas manquer Bronco Luz l’exposition de Joana Vasconcelos au magasin Le Bon Marché, Paris , jusqu’au 24 mars !

  10. baronheid dit :

    à propos, combien Napoléon IV a-t-il payé la location du Louvre, pour son sacre triomphal ?
    cher Philippe Bonnel, continuez à nous réjouir!

  11. Decorde Nathalie dit :

    Merci à Philippe Bonnet de dénoncer de pareils « détournements » de l’argent public.
    C’est hallucinant mais malheureusement si fréquent. C’est de la délinquance organisée.
    Je propose aux associations humanitaires de porter plainte alors que la ville de Paris a tant de besoins mille fois plus urgents.

  12. Haut-le-cœur !

  13. Ping : Paris était si moche qu’il fallût l’embellir | Les Soirées de Paris

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