Le mystère dimensionnel de la boîte de dentifrice est percé

En 1974, dans la Revue d’histoire de la pharmacie, un certain Pierre Julien donne un éclairage collatéral sur cette boîte de dentifrice (ci-contre), à l’enseigne de la Bi-Oxyne. « Bi » parce qu’elle contenait deux compartiments, l’un avec une poudre pour l’hygiène et l’autre pour le blanchiment. L’auteur se penchait ainsi sur la boîte métallique où Guillaume Apollinaire avait gravé le fameux « Ah Dieu que la guerre est jolie ». Dans un livre publié en 2016, l’éminent Peter Read (1) y consacrait un article en mentionnant que les dimensions de l’objet étaient inconnues. La boîte ayant été glanée sur Ebay cette année, nous sommes en mesure d’annoncer qu’elle faisait 6,5 cm de côté soit une surface de 42 centimètres carrés. On en conviendra, il s’agit-là d’une avancée scientifique minuscule. Mais c’est bien là tout le charme d’une recherche dérisoire.

Pierre Julien était dans le même registre futile mais ô combien pointu, en s’intéressant strictement aux relations médicamenteuses entre Guillaume Apollinaire et son amante Lou. Il fallait vraiment être pharmacien ou tout du moins de la partie pour se pencher spécifiquement sur ce biais précis. Et ce qui a notamment frappé le signataire de l’article, c’est qu’en février 1915 (et non en janvier comme il le croit), alors qu’Apollinaire est encore à Nîmes pour y apprendre le métier de soldat, il notifie à Lou: « Je clos ma lettre en t’embrassant, en te câlinant, en te caressant, en te serrant bien fort, bouche contre bouche -si t’y penses apporte-moi une boîte Bi-oxyne de voyage (1fr.75)- et, saluée par nos glorieux canons, entre radieuse, ô reine de beauté, dans la zone des armées prosternées devant toi dans les tranchées triomphales ». Apollinaire faisait montre d’un bel esprit d’enchaînement et même preuve d’un certain humour entre le « bouche contre bouche » et la demande de dentifrice. Ce qui est drôle également, c’est que le poète avait aussi recommandé à sa maîtresse de ne pas se faire vacciner contre la typhoïde et qu’il valait mieux pour ce faire (tout en écartant mine de rien une potentielle concurrence) « éviter d’embrasser sur la bouche d’anciens typhoïdeux ». En tout cas le 30 avril alors qu’il est déjà parti à la guerre, il relance Lou pour cette obsédante histoire de dentifrice. Avant d’abandonner l’idée dans une lettre datée du mois de mai, en assurant qu’il se débrouillera pour en trouver.

Pour quelle raison il y a fort à parier que c’est sur une boîte de ce type qu’il grava son fameux vers, c’est que le site internet du « Poilu » ne répertorie qu’une boîte ronde de marque Gibbs distribuée aux combattants. Celle des allemands était rectangulaire de marque Zeistig. Deuxièmement, il y a lieu de se demander (s’il reste encore quelques lecteurs à ce stade de la démonstration) sur quel côté de la boîte il a gravé avec une aiguille le vers, un canon et la silhouette de deux personnages. Il est convenu que son travail s’est fait sur le couvercle, lui-même gravé de l’enseigne Bi-Oxyne et de ses arguments. Dans ce cas il a dû en polir les reliefs ce qui est possible car, quand on observe bien la zone concernée, on discerne des traces giratoires d’effacement. L’autre possibilité est qu’il aurait pu par facilité choisir l’envers, vierge de toute mention si l’on en juge par notre échantillon. Il faudrait pour ce faire comparer avec l’original. Mais la rédaction des Soirées de Paris n’a jamais pu le retrouver sauf une photo prise de haut, conservée à la bibliothèque Jacques Doucet et aussi reproduite dans maints ouvrages.

Rappelons pour finir que le vers sur la joliesse de la guerre, lequel fit croire un peu vite à certains que Apollinaire en vantait les mérites, est tiré d’un très beau poème titré « L’adieu du cavalier »:

« Ah Dieu ! que la guerre est jolie/Avec ses chants ses longs loisirs/Cette bague je l’ai polie
Le vent se mêle à vos soupirs/Adieu ! voici le boute-selle/Il disparut dans un tournant/Et mourut là-bas tandis qu’elle/Riait au destin surprenant »

Le rapport étant désormais établi avec l’hygiène buccale, nous y penserons souvent, chaque fois que nous nous laverons les dents. On pourra même le réciter mais en pensée seulement car la bouche pleine de mousse, c’est bien connu, ne préserve pas bien les sons.

 

PHB

Lire l’article complet de la Revue d’histoire de la pharmacie sur le site Persée

(1) Apollinaire Peter Read « Lettres Calligrammes Manuscrits » textuel BnF Éditions 2016

 

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5 réponses à Le mystère dimensionnel de la boîte de dentifrice est percé

  1. Poil aux dents !

  2. BRUNO SILLARD dit :

    Je me souviens d’un dentifrice en poudre, j’étais tout môme dans les années soixante. Je me souviens… mais il ne moussait pas du tout, au contraire, il laissait comme un goût râpeux dans la bouche. Cela dit il n’est pas donné à tout le monde de participer à un tel dialogue épistolaire avec un poète: « Je clos ma lettre en t’embrassant, en te câlinant, en te caressant, en te serrant bien fort, bouche contre bouche – si t’y penses apporte-moi une boîte Bi-oxyne de voyage (1fr.75) ».

  3. Marie-Hélène Fauveau dit :

    en espérant ne pas passer pour lubrique je signe aussi le message d’André Lombard !

  4. BM Flourez dit :

    Il faut dire aussi que, dans l’instruction militaire, on enseigne au soldat qu’il doit prendre soin de lui, et pas seulement de ses pieds (pour marcher) mais de sa santé pour pouvoir être toujours en état de combattre, un soldat malade n’étant plus opérationnel.
    C’est sans doute vrai aussi pour la « tendre guerre »…

  5. Peter Read dit :

    Merci, Philippe, de nous avoir offert un lien vers l’article de Pierre Julien et la photo d’une boîte de Bi-Oxyne. Le voir et le savoir ainsi réunis, merci Les Soirées de Paris.

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