Un Petit Palais très romantique

Je m’étais rendue au musée du Petit Palais pour voir l’exposition « L’Allemagne romantique-Dessins des musées de Weimar » parce que j’adore les dessins, je les préfère même souvent à la peinture. Mais la signalétique étant ce qu’elle est en ces lieux, je me suis trouvée je ne sais comment embringuée dans l’autre exposition, « Paris romantique 1815-1848 ». La grande exposition du moment. Historique et monumentale.
En exergue, les organisateurs ont placé cet extrait du journal de Victor Hugo «Choses vues» de 1948 : « Paris est où sont les Tuileries, le Palais Royal … Paris appuie à droite ».

C’est bien ce que l’on va nous montrer dans un dédale de salles et une débauche de tableaux, statues, et objets de toutes sortes, mais auparavant il faut réviser ses classiques et s’absorber dans les panneaux résumant ces trente années d’histoire parisienne très agitées : elles vont de la première abdication de Napoléon en 1814 suivie de la première Restauration jusqu’aux journées révolutionnaires de février 1948, qui provoqueront en décembre l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte, baptisé « Napoléon le petit » par Victor Hugo.
Entre temps, Paris connaîtra pas mal de péripéties, qui nous sont racontées à travers les événements artistiques symbolisant tous ces changements. On commence par nous conduire au Palais des Tuileries, siège du pouvoir pendant les trente ans qui nous occupent, et on peut admirer ici et là les gigantesques candélabres du salon du duc de Nemours ou une peinture du salon de la princesse Marie décoré « dans le goût » du Moyen-âge ou de la Renaissance, mais rien de vraiment bouleversant. Ensuite belle maquette du Palais Royal, avec sa galerie couverte, rendez-vous du tout Paris attiré par les bijoux et porcelaine en tous genres ou les hauts lieux gastronomiques comme Véry ou Véfour (sans oublier les joueurs et prostituées occupant les étages.) De grandes vitrines nous présentent des élégantes vêtues à la mode de l’époque, manches bouffantes et fichu à la paysanne.

Commencent alors les choses sérieuses avec la salle consacrée au « Salon du Louvre », la plus grande manifestation artistique de la capitale, où tous les jeunes artistes se devaient de séduire le jury pour se faire connaître. Il deviendra annuel en 1833, mais dès les années 20, le romantisme y fait rage, comme en témoignent l’étonnant « Christ au jardin des Oliviers » de Delacroix (1827) proprement gigantesque, ou une renversante « Course aux chevaux libres » de Géricault (1817), ou encore l’impressionnant « Mazeppa aux Loups » d’Horace Vernet (1826). Notons aussi « Les convulsionnaires de Tanger » de Delacroix présenté au Salon de 1938, ou un charmant tableau orientaliste d’Eugène Giraud exposé en 1855 : « Souvenir du voyage de Paris à Cadix, en 1846, par Alexandre Dumas et ses amis ». Voyage effectué par l’écrivain, nous explique-t-on, à l’occasion du mariage du duc de Montpensier, fils de Louis-Philippe, et de l’infante d’Espagne, poursuivi jusqu’en Afrique du Nord.

Nous allons retrouver un très charmant portrait de Dumas jeune (détail ci-contre) dans la dernière section, après avoir parcouru une salle consacrée à Notre-Dame (actualité oblige ?), où est exposé le manuscrit original du « Notre-Dame de Paris » de Victor Hugo publié en 1831, son premier roman, immense succès public. On nous précise que l’ouvrage contribua à la prise de conscience de la conservation des monuments anciens, et bien entendu, on tombe sur une photographie (vers 1850 ?) de Prosper Mérimée, l’auteur de « Carmen », nommé en 1834 inspecteur des Monuments historiques. Comme on le sait, il fera un tour de France méticuleux des monuments en péril, sans oublier la Corse, et entreprendra nombre de restaurations. Et c’est ainsi que son complice, l’architecte Viollet-le-Duc, en viendra à ajouter la flèche manquante de Notre-Dame…

Dans la salle consacrée à « 1830, le Paris de la Révolution », on nous rappelle que le 25 juillet 1830, depuis sa résidence de Saint-Cloud, Charles X signa six ordonnances remettant en cause des libertés fondamentales dont la liberté de la presse. Dès le lendemain, des émeutes éclataient autour du Palais-Royal et de la Bourse, et des barricades s’élevaient dans les quartiers populaires. En trois jours, la dynastie des Bourbons est renversée, et Louis-Philippe d’Orléans proclamé « roi des Français ». Ce roi bâtisseur va terminer les chantiers de l’église de la Madeleine, l’Arc de Triomphe, et la colonne de la Bastille.
La révolution et le renouveau romantique gagnent aussi les arts, symbolisés dans cette exposition par « Hernani » de Victor Hugo (rappelez-vous « la bataille d’Hernani ») et la « Symphonie fantastique » de Berlioz, œuvre de génie comme tout ce que fera Berlioz. Comme on nous le montre, Franz Liszt, Luigi Cherubini ou Niccolo Paganini sont au nombre des célébrités figurant sur le plan de salle du Conservatoire lors de la première de l’œuvre (succès qui ne se dément pas, puisque l’Auditorium de Radio France était complet, le 2 mai dernier, pour l’exécution de cette fameuse symphonie interprétée par le « Philar » dirigé par son chef Mikko Franck).
Puis la salle intitulée « Quartier Latin » célèbre la grisette, celle des « Scènes de la vie de Bohême » d’Henry Murger, plus tard immortalisée par Puccini dans « La Bohême ».

Portrait charge de Berlioz par Dantan

Ensuite détour par la Chaussée d’Antin, quartier des nouveaux riches comme les Rothschild et les Lafitte aux demeures très clinquantes, puis par le quartier voisin de la Nouvelle Athènes, plus abordable, adopté par une véritable colonie d’artistes tels Chopin, George Sand, Alexandre Dumas, ou la diva Pauline Viardot.
Nous voici arrivés sur « Les Grands boulevards », où dandies et élégantes se pressent à la Maison Dorée, au Café Riche ou chez Tortoni (très fréquentés chez Balzac), aussi bien qu’à l’Opéra (rue Pélissier), au Théâtre Français ou à l’Opéra Comique. Plus loin, le Boulevard du Temple, le célèbre « boulevard du Crime » des «Enfants du Paradis», attire un public plus populaire.
Pour illustrer cette vie de plaisirs, de nombreux tableaux et sculptures représentent un grand nombre de célébrités, d’Olympe Pélissier (considérée par Balzac comme « la plus belle des courtisanes de Paris », elle finira par épouser Rossini, établi à Paris depuis 1823) à l’exquise diva Maria Malibran et bien d’autres, toutes ravissantes, en passant par Dumas, Rossini, Stendhal, Bellini, Donizetti, et tutti quanti.
Arrive la révolution de février 1948, qui met brusquement fin à la Monarchie de Juillet. Gouvernement provisoire et nouvelles convulsions aboutiront à l’élection de « Napoléon le petit » en décembre. Quelques années plus tard, dans son « Éducation sentimentale », Flaubert évoquera les désillusions succédant à l’enthousiasme romantique pour les soulèvements révolutionnaires.

Il était temps (ouf !) de me diriger vers l’Allemagne romantique, juste trois salles dévolues aux dessins des musées de Weimar, alors important centre intellectuel. « Ces feuilles d’exception, choisies par Goethe (1749-1832) pour le Grand Duc de Saxe-Weimar-Eisenach mais aussi pour sa propre collection, offrent un panorama spectaculaire de l’âge d’or du dessin germanique de 1780 à 1850 environ », nous dit-on.
Nous connaissons plusieurs de ces grands noms, tels Caspar Friedrich ou les Füssli, et découvrons plus de trente-cinq artistes essentiels dans l’histoire du dessin germanique, très portés sur les ruines romantiques, mais aussi sur la religion et le sentiment national. Qu’importe, Goethe a bien choisi, les dessins sont splendides, exaltant d’un trait raffiné un romantisme de la nature qui nous repose du fourre-tout parisien.

Alors que je cherchais à localiser le troisième événement annoncé, « Les Ingres du Musée de Montauban », une voix nous incitait à nous rendre dans l’auditorium pour un concert « entrée libre » consacré à « Chopin symphoniste et ses contemporains. » Une divine parenthèse, permettant de découvrir un ensemble en résidence, le Sécession Orchestra. Que de surprises : sur la scène, un « ensemble symphonique » d’une quinzaine de musiciens (!), mené par leur chef Clément Mao-Takacs, long jeune homme blond d’un enthousiasme rare, nous comblant de commentaires sur ces pièces de quelques minutes signées Chopin ou les deux Schumann, nous rappelant que Chopin est tout sauf mièvre, telle la balade n° 3 de Chopin transcrite pour formation symphonique ! Un jeune homme et un ensemble à suivre…
Avant la fermeture du musée, je jetais un coup d’œil aux Ingres annoncés, réunis en fait dans une seule salle, mais Ingres vaut toujours le détour : le musée de Montauban étant actuellement fermé pour travaux, nous attendent notamment un splendide portrait tardif datant de 1852, celui de Caroline Gonse, épouse d’un conseiller à la cour d’Appel de Rouen ; une huile mythologique spectaculaire inspirée par « Roland furieux » de l’Arioste, très critiquée au Salon de 1821 mais retenue en 1824 par Louis XVIII pour les collections royales ; et nombre d’esquisses ou d’études de nus, de main, de bras, etc, témoignant du génie ingresque.

Lise Bloch-Morhange

Paris Romantique 1815-1848, jusqu’au 15 septembre. Nombreuses manifestations associées à l’exposition couplée à celle du Musée de la Vie romantique « Les Salons littéraires »
– « L’Allemagne romantique. Dessins des musées de Weimar » jusqu’au 1er septembre.
– « Les Ingres du Musée de Montauban », jusqu’au 1er septembre.
Auditorium de Radio France, « Harold en Italie », Berlioz, Orchestre National de France, direction Emmanuel Krivine, 6 juin

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