Atomic Perret

C’est l’un des aspects les moins connus de l’œuvre d’Auguste Perret. De Amiens en passant par Paris et le Havre ses architectures en béton se reconnaissent de loin. Sauf à Saclay dans l’Essonne car les activités de recherche nucléaire y sont depuis toujours protégées des curieux. Quand Frédéric Joliot-Curie et Raoul Dautry le sollicitent après guerre, Auguste Perret (1874-1954) est un septuagénaire  accompli. Une photo le montre en 1948 élégamment habillé, le chef surmonté d’un canotier. Et il n’est pas mûr pour la retraite. Et c’est à lui que l’on va confier l’aménagement du plateau de Saclay qui abrite toujours le saint des saints de la recherche nucléaire française. Malgré des destructions ou réaménagements hasardeux, notamment dans les années soixante-dix, l’ensemble reste incroyablement réussi. Début juillet, le Commissariat à l’énergie atomique (CEA) organisait une visite de presse, afin de faire connaître l’étendue des activités du lieu au-delà de ses aspects militaires. Suivez (un peu) le guide, notez que le dosimètre sera superflu.

Après le fort de Châtillon qui vit l’activation de la pile atomique Zoé, c’est en effet à Saclay que la grande aventure atomique française s’est déployée sur plus de cent hectares et l’ambiance expérimentale est restée. De même que certains protocoles étonnants subsistent. Ainsi, alors que le professeur Vincent Berger, directeur de la recherche fondamentale, expliquait le 11 juillet devant quelques journalistes et au sein du réacteur déclassé EL3, tout ce qu’il était possible d’attendre des sciences de l’atome, une annonce par haut-parleur dans un style très « tous aux abris » a retenti. Vu le lieu, on pouvait s’attendre à tout. Mais la voix a expliqué que chacun devait savoir que la caisse numéro trois de la cantine connaissait un problème. Si fortement que Vincent Berger a dû s’interrompre et inviter son auditoire à patienter car l’annonce est toujours répétée deux fois. Plus tard, alors qu’un autre intervenant (Karine Froment) expliquait comment il était possible de sauver ou restaurer des œuvres d’art grâce à un rayonnement ad hoc, l’oracle s’est à nouveau fait entendre par les hauts-parleurs pour apprendre (deux fois encore) à l’ensemble du personnel de tous les bâtiments, que la caisse numéro trois de la cantine était à nouveau en état de fonctionnement. Le rituel sonore tient toujours. D’une certaine façon, la Mecque de l’atome a son muezzin.

L’idée générale de ce déplacement très encadré en raison des secrets qui s’élaborent ici et là, était donc de faire connaître, à l’approche des journées du patrimoine en septembre, que certains laboratoires de Saclay s’intéressent aussi à l’histoire et à l’art, y compris dans le cadre de la restauration de Notre-Dame (1) ce qui ajoutait en l’occurrence une petite note d’actualité. Le laboratoire de mesure au carbone 14 était au menu de la visite. Ce qui nous a permis de connaître par l’entremise de sa passionnante directrice Lucile Beck, les recettes de la datation. D’où il appert que le carbone 14 nous vient de l’espace. La chimie cosmique fait que les atomes de carbone 14 s’intègrent aux matières terrestres vivantes. Et comme ils rayonnent à leur niveau maximum pendant 5730 ans avant de décroître lentement puis de se transformer en azote 14 (non chiffrable lui), il est possible de dater une substance imprégnée jusqu’à 50.000 ans. Au-delà, comme un squelette de dinosaure par exemple, c’est le contexte qui permet une évaluation chronologique.

Une fois que l’on a récupéré quelques milligrammes de carbone 14, par exemple à partir d’un pigment, on introduit les éléments encapsulés (ci-contre) dans un accélérateur de particules non circulaire et c’est de cette façon que l’on obtient une datation. C’est avec ce genre de moyens que l’on a pu chiffrer le suaire de Turin à 1200 ans après Jésus-Christ ce qui a permis de mesurer l’étendue de la supercherie. La technique du carbone 14 permet non seulement de situer un objet dans le temps mais aussi d’analyser son élaboration et ses éventuelles restaurations. Comprendre enfin qu’un fard à joues provenant d’une tombe grecque a été fabriqué entre le 4e et 3e siècle avant Jésus-Christ sert de toute évidence les historiens et les conservateurs de musée et plus anecdotiquement l’idée de péremption s’agissant d’un produit cosmétique. Les activités du CEA ont également permis de sauver de la dégradation des embarcations anciennes remontées des eaux grâce à des techniques appropriées. Et toute cette science cumulée nous laisse bouche-bée.

C’est moralement phosphorescent que l’on sort du réacteur EL3 car il a été décontaminé depuis longtemps. Son architecture ne doit rien à Perret au contraire des bâtiments qui l’entourent. Les éditions du Patrimoine ont édité un livre à propos du travail colossal qu’il a réalisé avec son cabinet à Saclay. Il a été rédigé par une doctorante, Ana Bela de Araujo, qui a effectué en l’occurrence un travail éclairant, une enquête très riche en informations et en tout point remarquable. Auguste Perret avait cette conscience chevillée au corps que pour faire utile il n’était pas besoin de faire laid. Il possédait un sens aigu de l’organisation spatiale assortie de l’homogénéité de son style. « C’est ainsi qu’à Saclay, écrit Ana Bela de Araujo, l’utilité trouve une parenté avec l’esthétique, la science avec l’art, voire coïncident l’une avec l’autre ». Le plan du château d’eau effectué pour les besoins du plateau en est une preuve éclatante de même que la fameuse cantine où, à en croire une habituée interrogée, la nourriture ne vaut pas hélas le style général. Cependant que la compensation offerte par les aîtres donne envie d’y déjeuner. Hélas la presse était, on l’a dit, conviée non loin de là, à se restaurer au cœur d’un réacteur déclassé. Une prochaine fois peut-être, goûtera-t-on du céleri fissile, dans la prestigieuse et toujours moderne cantine Perret.

PHB

Coupole du réacteur EL3

(1) Philippe Dillmann directeur de recherches au CNRS et responsable du laboratoire archéomatériaux/prévision de l’altération est chargé depuis mai 2019 du co-pilotage du « chantier CNRS Notre-Dame ». Son programme de recherches autour de la cathédrale parisienne dévastée laisse comprendre que l’objectif présidentiel d’achèvement de la restauration pour 2024 relève d’un pari pris sous « le coup de l’émotion ». Et que les nombreux gravats constituent par ailleurs une mine d’investigations possibles pour les chercheurs avides de découvertes.

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Une réponse à Atomic Perret

  1. anne chantal dit :

    Chapeau !! super intéressant, même si le carbone 14 n’est pas ma tasse de thé !..
    merci à vous.

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