Picasso à la plage

On compte en 2019 une vingtaine d’expositions dévolues à Picasso de par le monde. Lesquelles s’ajoutent à celles actuellement en cours au musée qui porte son nom sur Calder d’une part et la Méditerranée d’autre part.
Ailleurs c’est « Olga », « L’exil », « En Uruguay », « À Chypre », « Fellini », « Naissance d’un génie » à Pékin ici, « Picasso paysages » au musée d’art de Toulon là, ou encore « Picasso illustrateur » à Tourcoing et même à Beyrouth avec l’approche bien trouvée de la « famille »: le nombre d’angles livrés chaque année donne le tournis. Ce n’est effectivement pas la matière qui manque et au besoin on peut toujours puiser dans le généreux réservoir des centenaires. 2073 sera le dernier millésime possible (celui de sa disparition) mais seuls les très jeunes lecteurs des Soirées de Paris auront le loisir d’y assister. Le succès, à chaque fois justifié, ne se dément pas.

Tout cela pour dire que le musée Picasso a installé en dessous de l’étage consacré au sculpteur Calder, une exposition plus modeste destinée aux rapports entre l’artiste et la Méditerranée. Et il y avait de quoi faire visiblement, sans même aller chercher les épisodes de Royan, Biarritz ou Dinard. Le traitement général n’est à vrai dire pas spectaculaire et cela nous repose des thématiques mirobolantes. Les aîtres choisis pour ce faire sont pratiquement sans fenêtres mais les œuvres présentées les remplacent sans difficulté. Il y a cette célèbre toile intitulée « La flûte de pan » réalisée à Antibes (ci-dessus), ce très original « Faune et chèvre » exécuté à Cannes sur linoléum ou encore cette magistrale « Corrida au soleil noir » transposée  à l’encre et au crayon depuis Paris. Picasso sur les bords de Méditerranée c’est aussi cette photo de lui-même prise sur la plage par Dora Maar. Et l’on a forcément en mémoire ce merveilleux cliché de Robert Capa présentant Françoise Gilot (née en 1921) protégée du soleil par un parasol tenu par Picasso, cet artiste qui concentrait tous les talents. Il émerveillait la vie tout comme Apollinaire son ami. Une photo ou chaque personnage porte sur son visage le triomphe des jours heureux. Et qui d’ailleurs donne des idées. Sans oublier le précieux travail photographique que David Douglas Duncan (1)  avait réalisé à l’atelier de la Californie entre 1956 et 1957.

Dans le journal La plume en juin 1905, Apollinaire avait écrit avec simplicité à propos de son camarade, que « son insistance dans la poursuite de la beauté, l’avait conduit sur des chemins. Il s’est vu plus latin moralement, plus arabe rythmiquement« . Picasso, en se souvenant de ses itinéraires vers le sud disait de son côté en 1960 que « si l’on marquait sur une carte tous les itinéraires par où j’ai passé, cela figurerait peut-être un minotaure« . Toujours est-il qu’il y a l’Espagne bien sûr, son pays d’origine, mais aussi ses lieux de villégiature comme Sorgues et Céret où il laisse des traces toujours perceptibles. L’Italie, Antibes, Vallauris, Cannes, Golfe-Juan, puis le château de Vauvenargues où il demeurera jusqu’à sa mort, là ou Picasso se pose il écrit à chaque fois une page de l’histoire locale. Le soleil, dès l’enfance, a été sa boussole. Dans son musée aujourd’hui, il nous est dit par la plume d’André Malraux que l’œuvre de Picasso « ne connaît que la bougie, le phare et le soleil. Le soleil des corridas et de Cannes, uni comme les fonds d’or ou les soleils de Goya« .

En parcourant cette exposition on ne peut que songer avec tristesse à cette mer Méditerranée souillée par les déchets modernes et portant de surcroît le désespoir des migrants en péril sur des esquifs de fortune. Dommage que Picasso n’ait pas connu Carola Rackete, cette courageuse capitaine allemande qui a récemment rappelé à l’Europe que le temps du débat venait après le sauvetage d’humains en perdition. Gageons qu’il aurait exécuté de cette jeune femme un beau portrait et qu’il aurait sûrement mis en scène la tragédie migratoire. Afin d’interpeller les consciences comme il l’avait fait en son temps, magistralement, avec Guernica.

PHB

« Picasso, obstinément méditerranéen », Musée Picasso, du 4 juin au 6 octobre 2019

(1) L’article de Gérard Goutierre sur David Douglas Duncan

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Une réponse à Picasso à la plage

  1. Magicien, burlator aussi, ce Picasso ! Avec, il est vrai, des excès (essais ???) parfois qui le firent méchamment dégringoler du haut de son talent et qu’il aurait sans doute mieux fait de détruire au lieu de les vendre !
    Je me suis aussi fait la remarque qu’il y a un grand blanc dans son œuvre : il n’a pas touché au Paysage.

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