Jules Adler, peintre humain, trop humain ?

« Je me suis penché avec une sympathie cordiale sur les humbles et sur les simples, trouvant auprès d’eux l’écho de mes pensées. J’ai vécu de leurs vies, dans les mines, dans les ports. J’ai de magnifiques histoires simplement humaines de chemineaux rencontrés sur la grand route. J’en ai employés. J’en ai hébergés, Je les ai découverts. Et si je les aimés, ils me l’ont bien rendu. »
Le peintre Jules Adler (exposé jusqu’au 22 septembre à Roubaix) a 59 ans quand il prononce ce discours, à Bruxelles, en 1924, résumant sans doute ce que fut l’essentiel de son art : un hymne aux petits, aux sans grade, un hommage rendu aux ouvriers, aux mineurs, aux chemineaux, au “petit peuple“ de la capitale ou de la campagne. Né en 1865 en Franche-Comté (Luxeuil les Bains), il s’installe à Paris à l’âge de 17 ans et y suit les cours de peinture.

Dès ses premières expositions, il représente le monde ouvrier. Le titre de sa première toile exposée en 1888 donne le ton : « Misère ». Une dizaine d’années plus tard, avec « La soupe des pauvres », on lui accorde le titre de « peintre des humbles ». Mais c’est avec une toile “héroïque“ consacrée à la grande grève du Creusot (1899) qu’il acquiert une véritable notoriété. Le tableau deviendra rapidement emblématique de la contestation sociale et sera abondamment reproduit dans les manuels de classes d’histoire.

Peintre naturaliste et social, Adler sera indifférent aux bouleversements esthétiques qui agitèrent les premières années du XXe siècle. Son œuvre reste figurative, narrative. En 1910, dans l’Intransigeant, rendant compte du salon du Grand Palais, Apollinaire parle d’une toile d’Adler comme exemple de « la peinture démocratique, qui abonde aux Artistes français ». ll est vrai qu’au moment où le peintre représente avec un réalisme photographique des ouvriers d’une fabrique mécanique de bouteilles, Braque expose sa « Nature morte à la bouteille », pur exemple du cubisme naissant…

Cela ne suffit sans doute pas à expliquer l’oubli à peu près total dans lequel est tombé Jules Adler, alors que ses œuvres se trouvent dans une trentaine de musées français. L’exposition que présente en ce moment, après Dole et Évian, le musée de la Piscine de Roubaix, rend justice à ce style d’art figuratif et social, dont la destinée est comparable à celle d’œuvres littéraires comme celles de Francois Coppée, Jean Richepin ou encore Jehan Rictus. Le genre populaire se vend mal. Les bons sentiments ne font plus recette. C’est oublier un peu trop rapidement l’importance de ces œuvres à la fois dans l’histoire du pays et dans l’évolution d’une société. C’est faire fi de ces témoignages irremplaçables qui dépassent le simple monde de l’art.

Le sous-titre de l’exposition « Peindre sous la troisième république », éclaire le visiteur. Vivre à cette époque, c’est connaître la proclamation de la liberté de la presse, les lois Jules Ferry, la séparation de l’Église et de l’État et, bien sûr, l’affaire Dreyfus. Adler ne pouvait être que Dreyfusard et chez lui se réunissaient tous les défenseurs du capitaine injustement condamné.

Mais Jules Adler savait aussi peindre les plaisirs et les habitudes du petit peuple, les bals populaires, les bonheurs simples des dimanches familiaux. Ses tableaux sont autant d’images de reportage comme celles que feront plus tard les photographes Robert Doisneau ou Willy Ronis. Soixante dix ans ans après sa disparition (en 1952, à l’âge de 86 ans), il faut regarder les toiles d’Adler non avec l’œil critique ou acerbe d’un esthète, mais avec l’humanité et la bienveillance dont l’artiste a fait preuve toute sa vie.

Gérard Goutierre

Musée La Piscine, 23 Rue de l’Espérance, 59100 Roubaix
Tél. 03 20 69 23 60 Du mardi au dimanche, jusqu’au 22 septembre

Illustration d’ouverture: Le Chemineau, 1910 Ph. J. Varlet.
©ADAGP 2019
Seconde image: Paris vu du Sacré Coeur, 1936
Centre national des arts plastiques, en dépôt au musée des beaux arts de Dole. Ph. Henri Bertand  ©ADAGP Paris 2019
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Une réponse à Jules Adler, peintre humain, trop humain ?

  1. Un bel hommage bien mérité !

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