Se taire ou déplaire

Pour son tout récent roman, Mazarine Pingeot s’est attaqué à un sujet qui fait régulièrement le miel des médias. Nous l’apprenons d’emblée. Son héroïne est une jeune photographe partie tirer le portrait d’une personnalité à la notoriété universelle. Mais juste avant la séance de pose, celui qui est présenté comme un prix Nobel de la paix, abuse d’elle. Mathilde n’évoque la scène qu’avec sa famille proche qui lui enjoint de se « taire » d’où le titre du roman. Mathilde est en outre la fille d’un chanteur célèbre, lui même fils d’un académicien et poète de renom. Cela fait au moins un point commun avec l’auteur, également fille de (François Mitterrand) et qui nous livre un ouvrage valant notamment par la fine approche psychologique des personnages mis en scène.

Le roman débute par un prologue, soit une dissertation assez courte, sur un problème vieux comme le monde mais auxquels singulièrement, les médias sociaux ont donné une ampleur inédite. Elle évoque un monde avide de noms, de coupables et surtout de vindicte avant même que la justice prenne le temps de créer un dossier. Elle décrit ce drôle de monde moderne qui fait que l’on peut déjà s’estimer « un citoyen engagé » si on a « la chance de crier au viol en apercevant un frotteur sur la ligne 13 du métro ». Mais derrière « le brouhaha du monde » souligne-t-elle, continue « la souffrance des femmes ».

Et l’histoire commence donc, véritablement, par cet assaut, cet abus, ce viol. Et cette jeune femme sidérée qui après l’acte, effectue néanmoins une série de clichés du prix Nobel, ce pour quoi elle était venue, à la demande d’un grand magazine. Elle a par la suite  « honte » du mal qu’on lui a fait et doit d’autant plus vivre avec que l’agression est impossible à prouver. « Il y a un avant et un après » écrit Mazarine que l’on sent impliquée par procuration, en pleine empathie avec son personnage. Sa belle écriture nous embarque facilement dans ce wagon de première classe, dans univers où forcément, un scandale éclaterait plus fort que dans une cité prolétaire de sous-préfecture.

La seule qui est prête à se battre pour faire tomber le coupable c’est sa sœur Clémentine, également finement décrite. Tout le contraire de sa cadette. Elle fait partie d’une équipe de Derby Rollers, un sport d’équipe en patins à roulettes où la castagne justifie des protections sur toutes les parties du corps. Cette sororité qui mêle deux personnalités très différentes donne une épaisseur bienvenue à ce roman où l’on croit à tort que la chute est livrée dès le début.

Lame subtile, Mazarine Pingeot, nous décrit le paysage de l’après, un paysage familial composé par ses proches et beaucoup l’amant (Fouad, architecte à la mode d’origine égyptienne). Un seul début de paragraphe décrit assez bien ce qu’il advient de Mathilde, dans l’après-coup: « Ma famille est une ville, Fouad est une ville, le Nobel est une ville, et je suis le désert sur lequel ils ont construit leurs colonies. » Abattant ses cartes l’une après l’autre, sur un tempo bien maîtrisé, l’auteur nous donne de quoi penser, de quoi devenir au fil des pages une sorte de membre de jury populaire pour un procès qui ne viendra pas. Tout est ici très contemporain, notamment avec ce Fouad, lequel, passé la phase de séduction, s’avère violent et manipulateur. Son habileté tiendra jusqu’à la première (et dernière) gifle assénée à Mathilde.

La seule faiblesse de ce livre vient peut-être de la fin. On comprend qu’il y a eu la volonté d’installer un coup de théâtre mais celui-ci est trop expéditif pour convaincre. Comme si l’auteur en tout cas, par l’entremise de Mathilde, avait voulu se venger d’un ensemble de prédateurs toujours à l’œuvre.

 

PHB

« Se taire », Mazarine Pingeot. Julliard 2019. 19 euros.

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