Bruxelles célèbre Brancusi

La Roumanie est cette année l’invitée de la Belgique pour son festival “Europalia“ qui fête ses 50 ans. C’est en effet en 1969 qu’a été créée cette manifestation bisannuelle d’importance, destinée à célébrer le patrimoine culturel d’un pays étranger, pas seulement européen comme le titre pourrait le laisse supposer (on évoquera plutôt ici le personnage mythologique d’Europa). La Roumanie est la 24e pays invité par le royaume. Cette manifestation coïncide à la fois avec les trente ans de la chute du régime Ceausescu et la présidence de l’Union européenne, à laquelle appartient le pays depuis 2007. Ce n’est peut-être pas un hasard.
Exposition phare de ce festival pluridisciplinaire (arts plastiques, art contemporain, conférences, théâtre, musique, littérature…) : une rétrospective consacrée au sculpteur Constantin Brancusi. Nul besoin de souligner l’importance de cette figure artistique née en Roumanie en 1876, et dont toute la carrière se déroula à Paris. L’exposition présentée dans cinq salles du vénérable palais des Beaux Arts de Bruxelles (“Bozar“) construit par Victor Horta permet de retracer chronologiquement sa carrière et de mieux comprendre l’importance de son apport à l’art du XXe siècle. On découvrira notamment sa fascination pour la photographie. Jugeant médiocre le travail des professionnels de l’époque, Brancusi deviendra à son tour artiste photographe, se prenant souvent lui même comme modèle, inventant en somme ce qu’on appellera un siècle plus tard le… selfie. Voici Brancusi « en tenue de voyage », le voici « en sacristain », le voici encore « en plongeur au Bouillon-Chartier »… Des documents non dépourvus d’auto-dérision. On admirera également un superbe et relativement peu connu portrait d’Erik Satie. Les deux hommes étaient liés par une grande amitié qui dura jusqu’à la mort du compositeur en 1925. D’une façon générale, l’entourage de Brancusi durant toute sa longue carrière (il décédera en 1957 à l’âge de 81 ans) était celui des grands novateurs et inventeurs artistiques du siècle, comme le révèle une photo, parmi d’autres, où Constantin est entre Marcel Duchamp et Tristan Tzara – autre Roumain.

Très instructive est la confrontation entre les sculptures de Rodin et celles de Brancusi. Ce dernier ne passa qu’un mois dans l’atelier parisien d’Auguste Rodin, estimant qu’il ne pouvait y développer son art :  « il ne pousse rien à l’ombre des grands arbres » déclara-t-il. La mise en relation des sculptures sur le même thème – La Prière ou le Baiser – indique clairement que Brancusi fait un gigantesque pas dans le siècle, tandis que le géant Rodin garde son statut de maître, d’artiste de référence, mais classique. Comme pour Baudelaire en littérature, Brancusi fait passer un souffle nouveau.

C’est peut-être d’ailleurs le secret de la popularité de Brancusi auprès des publics les plus divers. Il ne fut certes pas un artiste maudit comme Modigliani. Mais les deux artistes partageaient la même volonté de dépouillement, de simplification maximale, pour parvenir à l’essence des choses, ou des êtres. On peut parler de «sublimation». La célèbre « Muse endormie » (ci-contre), ce visage ovoïde, poli à l’extrême, date de 1910 ! Il aurait pu être réalisé de nos jours. «L’oiseau dans l’espace» a pu dérouter les douaniers de New York de 1926 (le procès pour savoir si des droits de douane devaient s’y appliquer est resté célèbre), il fait partie aujourd’hui des œuvres emblématiques du XXe siècle. Quant à la célèbre « Princesse X »(1917) qui fit scandale pour obscénité, elle permit au moins la publication dans le Journal du peuple, d’un manifeste « pour l’indépendance de l’art », signé par une soixantaine d’artistes parmi lesquels Cocteau, Picabia, Léger, Cendrars et Satie.

Unanimement reconnue aujourd’hui, son œuvre est présente dans les grandes institutions mondiales. A quelques kilomètres de son village natal de Hobita, en Valachie, un jardin public est orné de trois de ses œuvres monumentales. À Paris, son célèbre atelier parisien de l’impasse Ronsin a été reconstitué au centre Pompidou. Raymond Queneau était son voisin. Il écrit : « L’atelier a trouvé refuge dans un musée / mais le sculpteur arpente le passé / il est avec nous il regarde s’envoler dans le ciel de Paris / un coq énorme / un oiseau filiforme / un oiselet rond comme une pomme / qui vont saluer le monde / Comme nous saluons Brancusi » .

Comment ne pas penser au poème qu’Apollinaire composa en l’honneur d’un autre artiste hors du commun, le douanier Rousseau : « Gentil Rousseau tu nous entends / Nous te saluons {…} Laisse passer nos bagages en franchise à la porte du ciel ». On peut lire ce poème sur la tombe du peintre dans sa ville natale de Laval. Il a été gravé dans le marbre par… Constantin Brancusi.

Gérard Goutierre

Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, rue Ravenstein.
Du mardi au dimanche,10 h 18 h (jeudi 21 h) Fermé le lundi.
Jusqu’au 12 janvier.
Tel: 32 2 507 83 36

Illustration  (1) « Le baiser », photo Gérard Goutierre
Illustration 2: Muse endormie, 1910 © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.RMN-Grand Palais / Adam Rzepka © Sabam Belgium, 2019
Illustration 3: Autoportrait © Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist.RMN-Grand Palais / Philippe Migeat © Sabam Belgium

 

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Exposition. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

2 réponses à Bruxelles célèbre Brancusi

  1. Marie J dit :

    Le baiser de Brancusi est au coeur d’un roman assez amusant écrit par Sophie Brocas publié au début de cette année

  2. philippe person dit :

    Je me souviens que Brancusi recevait dans ses rêves la visite d’Atlantes !
    Mon oncle, Jean-René, faisait le même rêve et comme Brancusi ajoutait que les Atlantes se présentaient comme des ancêtres des Hébreux venus s’installer en Palestine…
    Mon oncle notait ses rêves et j’avoue que lire le compte-rendu de la visite de Moïse (évidemment abandonné sur le Nil par sa maman atlante) m’avait marqué.

Les commentaires sont fermés.