Robert Maggiori perce le mur de l’inattention collective

Les lecteurs du Cahier Livres de Libération savent bien que depuis un bon nombre d’années, une trentaine tout de même, une signature comme on dit dans le métier, occupe un espace de la critique consacrée aux ouvrages des sciences humaines, philosophie, anthropologie, linguistique… Si nous ajoutons que cette signature a des consonances italiennes, qu’elle s’aperçoit de nouveau dans Le Je-ne-sais-quoi et le Presque-rien de Vladimir Jankélévitch qui lui avait dédié l’ouvrage, vous aurez sûrement deviné qu’il ne peut s’agir que de Robert Maggiori.

Comme dans le générique de l’émission, Cinéma-Cinéma, où l’on voyait un personnage ouvrant une série de portes les unes après les autres, Robert Maggiori nous aura invités à la cadence d’une critique par semaine, en bon passeur, à regarder là, puis là et là encore.

Sans doute dans l’intention, la vie moderne étant comme chacun sait saturée d’informations, de « Percer le mur de l’inattention collective » qui, elle, n’a d’autres projets que d’ouvrir les portes, hélas, toujours déjà ouvertes. 

Il publie aujourd’hui un nouveau livre, Le Métier de Critique, Journalisme et Philosophie, aux éditions du Seuil.

Livre à la fois de réflexions sur l’exercice délicat de la critique philosophique, ce fil tendu entre journalisme et philosophie peut s’avérer désagréablement fatal à quiconque ne possède pas la compétence, l’érudition, et la passion de l’auteur. C’est aussi un livre de souvenirs, sur la vie intellectuelle, sur le milieu de la presse. Comme le récit d’une de ses premières interviews, en jeune journaliste un peu fébrile puisqu’il s’agissait d’une rencontre avec Sartre. Les cassettes décryptées, le texte sera tapé à la machine, passera de main en main et sera finalement perdu, jamais publié !

Le métier de critique par Robert Maggiori. Photo: Pierre Chiquelin.

Le livre débute par l’aveu d’une intranquillité que l’auteur nomme le «syndrome de Garve». Philosophe du XVIIIème, Christian Garve commet une recension de la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant. Si ce faisant, il fait preuve d’un flair journalistique certain, il passe à côté de la problématique du kantisme, ne s’aperçoit pas de l’importance du livre. Ce qui ne manquera pas de faire réagir Kant qui, par la suite, décidemment il faut tout faire, se sentira obligé de livrer quelques clés facilitant la compréhension de la Critique, les Prolégomènes. Où le philosophe précise ce que devrait être la critique d’un texte philosophique difficile, «esquisser de l’ensemble une conception populaire et pourtant approfondie».

Mais toute la subtilité, dans le cas d’un article de presse dont la forme est par définition contraignante, ne se limite pas à cette question, déjà pour le moins compliquée de réconcilier le «populaire» et «l’approfondi».

Il s’agit aussi de savoir jouer, un quotidien n’étant pas non plus une revue de spécialistes, de plusieurs outils. Ce que Robert Maggiori nomme les deux «torsions» du journalisme philosophique. La première, est «historiciste», qui revient à situer une pensée dans une généalogie de l’histoire des concepts de la philosophie. La seconde, plus délicate à maîtriser, est «biographiste ». Soit, mêler les événements de la vie d’un auteur avec sa pensée, au risque de faire totalement dépendre une œuvre de ce qui relève du biographique. Proust, comme le rappelle Robert Maggiori, n’avait pas du tout apprécié ce penchant de l’auteur des Portraits Littéraires et lui avait vertement réglé son compte dans « Contre Sainte-Beuve ».

 Préférant user d’un dosage retenu de la torsion «biographiste», l’auteur poursuit avec ce qu’il nomme la mise en récit. Une façon de tracer un chemin, de raconter une histoire qui soit quelque peu incarnée, sur laquelle peut venir se greffer un compte rendu rigoureux d’ouvrages théoriques pour le moins souvent abstraits et qui manquent la plupart du temps de visibilité en proportion de leur sérieux, en quelque sorte. Soit tout en respectant et en expliquant les principaux concepts développés par un auteur, aboutir à une forme de narration fidèle et attractive.

Et c’est peut-être là que se remarque à la fois «l’honnête homme» et le talent de l’écrivain, dans cette capacité à transmettre, à donner envie de lire.

Cette inquiétude, le «syndrome de Garve», ne pas avoir vu dans la masse des livres publiés, un ouvrage majeur, une Critique de la raison pure, ne l’aura certes pas empêché de rendre compte d’un nombre impressionnant d’auteurs et de textes. D’où il peut aussi se dégager une vue d’ensemble de la vie des idées contemporaines, ses inflexions, ses ruptures, un point de vue panoramique de l’histoire intellectuelle de notre temps. 

 « L’Exercice a été et demeure profitable, Monsieur», pour paraphraser un autre grand critique, Serge Daney.

 Le métier de critique Journalisme et Philosophie

Robert Maggiori/Seuil/14€

Le métier de critique par Robert Maggiori. Photo: Pierre Chiquelin.

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Une réponse à Robert Maggiori perce le mur de l’inattention collective

  1. DOR François dit :

    Le livre De l’Ancien Monde :

    la mythologie figure la mémoire de l’embryogenèse.

    Bonjour Robert Maggiori,

    Pourquoi les intellectuels français ne répondent-ils jamais à leur courrier ? Par grossièreté, par prétention, par manque d’éducation ? Ces gens qui se la pètent à longueur de journée n’apportent que du négatif à la société. Vive 1789.

    Votre métier vous rend directement concerné par cette découverte :
    Le fœtus garde le souvenir de sa vie ; la mythologie exprime cette mémoire :
    Le serpent du Paradis figure le cordon ombilical ;
    L’Arbre de Vie, où se tient ce serpent, le placenta ;
    Le Déluge, la chute prénatale des eaux amniotiques ;
    L’Arche des légendes, la membrane qui accompagne le fœtus à la naissance ;
    Les trois fils de Noé, les trois fonctions du placenta;
    Noé cultive la vigne : le nouveau-né développe un réseau circulatoire autonome;
    Etc.

    Tout mythe exprime la vie de l’embryon/fœtus.
    Toute la vie de l’embryon/fœtus est relatée par la mythologie, de la conception à la naissance.
    Chaque femme enceinte porte ainsi dans son ventre, en quelque sorte, Adam et Eve, Noé, Zeus, Apollon, Atlas, Odin, Indra, Hor, Amon…

    La gestation du livre De l’Ancien Monde a nécessité vingt années. Avant cet ouvrage, la mythologie nous restait aussi incompréhensible qu’une langue étrangère.

    Cela fait dix années déjà que ces découvertes ont été publiées dans divers journaux -mais toujours pas en France.

    Approcher les mythologies comme mémoire de l’embryogenèse les explicite.
    Cette découverte, aussi fondamentale que celles de Copernic ou de Darwin en leur temps, est essentielle à la bonne marche de la civilisation.

    LE LIVRE :
    De l’Ancien Monde est un livre de belle facture, de 480 pages. Il comporte 10 chapitres, 82 illustrations, 1825 notes. Je serais heureux de vous le faire parvenir, moyennant la somme de 25 euros si livré à Paris, 30 euros si posté pour la province ou la banlieue.

    L’AUTEUR :
    François Dor est né à Paris, en janvier 1960. Après la lecture du livre de Marie Cardinal, « les mots pour le dire », il entreprend en avril 1981 une psychanalyse. C’est par ce voyage de l’être qu’il prendra peu à peu conscience de la signification des légendes fondatrices de l’humain :
    la mythologie figure la mémoire de l’embryogenèse.

    En l’attente de votre réponse.

    Bien cordialement.

    PARADIS, DELUGE, ATLANTIDE :
    LES ENIGMES DE LA MYTHOLOGIE
    SONT RESOLUES.

    Mr. François DOR – Email : francdor@yahoo.ca

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