Santu Mofokeng, du street reporter au chasseur d’ombres

L’exposition de photographies de Santu Mofokeng au Jeu de Paume a le défaut d’être légèrement survendue. Tant par l’espace très important qui lui est consacré que par le volume des photos insuffisamment sélectionnées en conséquence et, au final, l’intellectualisation un peu abusive de son travail dans la présentation écrite de son oeuvre.

Ecrire que Santu Mofokeng «étire l’usage du terme paysage au maximum pour se référer à des emplois littéraux, familiers, psychologiques, philosophiques, mystiques, métaphysiques et métonymiques» est sans doute exagéré pour dire que le gars est capable de prendre de bons clichés après avoir un peu réfléchi à ce qu’il voulait faire.

Le présenter ensuite comme un «chasseur d’ombres» ayant à son actif 30 ans «d’essais photographiques», et finir par substituer le mot artiste au terme plus réaliste de photoreporter pour le désigner, c’est un peu too much si l’on veut bien pardonner cet anglicisme qu’un peu d’énervement suggère spontanément au clavier de l’ordinateur.

Katse Dam — Lesotho, 1996 Courtesy Lunetta Bartz, MAKER, Johannesburg © Santu Mofokeng

Santu Mofokeng est néanmoins un bon photoreporter qui fait de la lenteur de son travail une «force», une revendication : beaucoup de ses photographies, en majeure partie noir et blanc, sont tout à fait remarquables par l’intensité qui s’en dégage comme « Katse Dam » au Lesotho, le lac d’Auschwitz dans lequel étaient jetées les cendres des déportés incinérés ou encore la cellule de torture de Ravensbrück (singulièrement glaçante) mais à l’exception d’un autoportrait pris à Auschwitz qu’il est permis de juger déplacé tant on dirait une blague d’ado dans un Photomaton.

Sa production sur l’Afrique du Sud avant et après l’apartheid est, elle aussi, assez intéressante. Parce qu’il s’agit de reportages et même de bons reportages, notamment dans ces trains qui transportaient des travailleurs noirs qui allaient travailler.  Santu Mofukeng revendique sur son pays et sur Soweto une expertise objectivement supérieure aux photographes venus d’ailleurs : «Dans le monde entier explique-t-il, les gens ont développé une série d’idées préconçues et d’images à ce sujet». Son analyse est que les photographes de passage ont conforté ces idées toutes faites avec «un sens aigu du marché international de l’image».

Le fait que Santu Mofukeng a débuté comme photographe de rue (street reporter) à Soweto dans les années 70 n’est sans doute pas étranger au charme et à l’intérêt de prises de vues urbaines que l’on retrouve plus tard comme  «Le Wall Street de Kinshasa», «U.drive rent a car», le «Winter in Tembisa» ou «Comrade-sister».

Comrade-Sister, White City Jabavu, 1985Courtesy Lunetta Bartz, MAKER, Johannesburg © Santu Mofokeng

Un des atouts de cette exposition est que les photos sont correctement légendées attestant au passage que nous sommes bien en face d’un travail journalistique. Si l’on veut penser plus loin et mieux comprendre le chasseur d’ombres, il faut se référer à l’auteur qui nous informe qu’en Afrique du Sud, le terme ombre peut recouvrir des significations comme «l’aura, la présence, la dignité, la confiance, la puissance, l’esprit, le prestige ou le bien-être » et qu’il va jusqu’à évoquer «l’expérience de celui qui est aimé ou redouté». Vaste domaine.

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