Le Havre, dernière toile de Kaurismäki

Le dernier film de Aki Kaurismäki sobrement intitulé «Le Havre» profitera-t-il à la ville longtemps mal aimée du même nom ? Ce n’est pas certain. Avec son architecture typée d’après-guerre, Le Havre est une ville étrange qui ne manque pas de charme mais pour qui la connaît au hasard d’un jour pluvieux et froid ce qui n’est quand même pas rare, elle peut difficilement se hausser du col face à maintes concurrentes européennes qui supportent mieux le mauvais temps.

En revanche le film de Kaurismäki éclipse bien des productions récentes à succès. Il raconte l’histoire d’un homme pauvre, cireur de chaussures, qui protège un jeune africain clandestin débarqué d’un container. Autour de cette tutelle improvisée qui ceinture le film, on découvre toute une série d’intervenants allant du pilier du bistrot au tenancier d’une épicerie, en passant par un commissaire de police interprété par un Jean-Pierre Darroussin qu’on dirait tout droit sorti d’un vieux film de Melville comme «Le Cercle rouge».

Image extraite du film de Kaurismäki, "Le Havre". (Capture d'écran)

 

La construction de ce film est efficace mais, ce qui est agréable, c’est que l’on sent bien que le résultat n’a pas été obtenu avec des moyens modernes comme par exemple une équipe de dialoguistes chargée de faire de chaque phrase un exploit de drôlerie ou une saillie philosophique qui tuerait son homme à deux pas.

Les images, les séquences et les dialogues sont traités avec une sobriété égale dans un film pourtant ponctué de nombreux verres de vin blanc ou de Calva. Le dépouillement apparent de l’exécution en fait toute la richesse.

Le Havre (le film) comporte incidemment une pépite musicale puisque le réalisateur a embringué dans son affaire Little Bob, une figure réelle du rock & roll local. Little Bob Story est un groupe de rock havrais dont le magazine Rock & Folk nourrissait déjà ses colonnes dans les années 70. Un passage jubilatoire sur le plan musical, mais le personnage de Little Bob, en tant qu’acteur occasionnel, réussit pleinement sa double prestation.

Enfin, l’une des caractéristiques de ce film est due à ses nombreux anachronismes tant Kaurismäki y mélange allègrement les époques comme s’il s’agissait d’une technique picturale sur toile. Et ce, sans que l’action n’échappe pourtant à sa continuité temporelle. Un charme supplémentaire qui déclenche sympathie et empathie.

Kaurismäki se situe dans cette palette très large de réalisateurs, allant de Jarmusch à Guédiguian qui savent emprunter des chemins de traverse, ceux qui prennent le risque de s’écarter des recettes à succès et qui malgré tout font mouche. Le seul danger qu’ils courent serait de se complaire et donc de s’égarer dans ce genre de marges. Il convient de constater en l’occurrence que ce n’est toujours pas le cas pour la dernière toile signée Kaurismäki .

Fiche du film et bande annonce sur Allociné.


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4 réponses à Le Havre, dernière toile de Kaurismäki

  1. de FOS dit :

    Il m’a été donné d’entendre et de voir en os et (beaucoup) en chair Little Bob dans un port autre que Le Havre, disons de plaisance, connu pour sa falaise… Le petit homme y avait été invité par le maire à l’occasion d’une fête de la musique. Etonnant personnage à la voix de femme dont le rythme musical donne des fourmis dans les jambes !

  2. Bruno Philip dit :

    Super Little Bob!

  3. de FOS dit :

    Merci Philippe pour tes ‘encouragements à voir cette « toile ». Un très beau conte de Noël !

  4. tilly dit :

    pour de FOS : c’est curieux, cette impression de conte de Noël, je l’ai eue aussi, comme je l’avais eue pour le très beau Y-aura-t-il de la neige à Noël ? en son temps, et jamais autant, depuis.
    Les deux films n’ont que peu de points communs, sinon leur grande originalité et leur parfaite justesse de ton.
    Ce sont des films de cinéastes équilibristes, des danseurs sur le fil, des magiciens.

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