C’est la faute à Rabelais! Pièce interdite aux vieux matagoz

  «C’est ça ce que vous appelez le théâtre ?» Oui, décidément, deux saltimbanques, quelques lumières, une douzaine d’instruments de musique, peuvent installer du théâtre partout, dans une salle des fêtes, sans estrade ni scène, dans un bastringue. Tout leur est tréteau, tout peut être musique. Quelques lumières et un rideau à roulettes servent de décor, le voyageur Eugène Durif fait irruption, le musicien Pierre-Jules Billon lui donne la réplique : je crois bien qu’on est au théâtre. Et la pièce s’appelle : « C’est la faute à Rabelais ».

C’est ce fatras bancal que le théâtre du Cloître de Bellac a promené pendant une semaine en février 2012 en Haute-Vienne. A Saint-Bonnet de Bellac, cent habitants, soixante personnes composaient le public. A Blond, quatre cents habitants, la salle était pleine de cent personnes. On rêverait ailleurs d’un tel taux d’occupation du sol culturel, et d’une telle capillarité de la féerie. Cela viendra bientôt à Châteauroux et dans les environs, à partir du 23 mai sur la scène nationale Equinoxe.

Ce petit théâtre portatif accompagné de xylophone, vielle à roue, banjo, percussions et trompette, fait entendre, chanter, découvrir des mots, grossiers et savoureux, désuets et capiteux. Le public est prévenu que le bateau tanguera : «Cy n’entrez pas, hypocrites, bigotz, vieux matagotz, marmiteux borsouflés, torcoulx, badaux, plus que n’estoient les Gots, ny Ostrogotz, precurseurs des magotz : haires, cagotz, cafars empantouflés, gueux mitouflés, frapparts escorniflés», selon l’avertissement de Rabelais – car ce spectacle les ferait sourciller et sursauter.

Depuis les «pronostications» initiales jusqu’aux paroles gelées de la fin du Quart Livre, Rabelais est le grand responsable de cette subversion langagière, qui s’incarne aussi en proverbes de François Villon, blasons de Daniels Arms d’Arras, séductions de Clément Marot, bouts rimés d’Alphonse Allais, mots croisés de Tristan Tzara, chansons à boire, parodies de music-hall. Citations et déformations ricochent entre le clown triste et l’Auguste, entre ces Wladimir et Estragon qui n’attendent rien ni personne.

La mécanique joueuse et joyeuse des mots et des sons ne fait pas que révéler une fibre égrillarde et charnue à laquelle la langue française renonce souvent au nom du bon goût et de la juste mesure ; et ce mélange de fatrasies n’est pas simplement consolant et rafraîchissant parce que les insultes du capitaine Haddock et les blagues sur les blondes y côtoient les grands de la littérature. C’est toute une vision du monde qui s’ouvre et se met en branle, où grouillent les détails, les petits, les déchus, les oubliés – hommes ou mots, qui occupent et débordent la scène, détournent le mince filet narratif, mettent sur la sellette les «atrophiés de l’humain».

Les blagues vieillottes («T’as vu Montecarlo ? J’ai vu monter personne») et les «je me souviens» fanés qui n’ont pas la délicatesse d’un Perec mais remontent rudement depuis des friches de silence et d’ateliers d’écriture, témoignent au même titre d’une oralité diffuse et perdue, inventive et simple, où le public de Saint-Bonnet de Bellac et de Blond se reconnaissait en riant aux éclats, en reprenant les refrains.

Peu à peu le détail physiologique fout le camp, «la rate qui s’dilate» répond à l’énonciation grave des parties du corps chez Rabelais, le plaisir de lister tourne au délitement. La mort rôde dans ce spectacle où le corps se fait plaisir – les compères débouchent une bouteille et partagent un verre avec le public. Ça fini par un «Calanche blues» de Durif lui-même, où avant d’endosser la «tenue de sapin» on espère vivre encore un peu et, sans changer le monde, le regarder avec plus d’attention : «Avant je parlais pour changer le monde, maintenant je parle pour que le monde ne me change pas», clame Durif, l’homme de théâtre qui est aussi bien baladin que philosophe et romancier.

Et c’est enfin le corps social tout entier qui étale sa gangrène. De même que si Gavroche meurt, c’est la faute à Voltaire, la poignante «Berceuse pour un Pas-de-chance» de Jehan Rictus qui meurt sur les boulevards de cette belle Paris, c’est «la faute à Rabelais» toujours recommencée :

 On ne saurait parler plus justement que ce symboliste anarchiste du début du XXème siècle, exhumé par Durif, l’homme aux mille tours, accompagné par Billon, l’homme aux mille sons.

 

 

 

C’est la faute à Rabelais/Théâtre Equinoxe, Châteauroux

 Eugène Durif, C’est la faute à Rabelais

Mise en scène Jean-Louis Hourdin/Avec Eugène Durif et Pierre-Jules Billon/Musique Pierre-Jules Billon

Mercredi 23 mai | 20h30 salle multi-activités d’Arthon – Rue du stade
Renseignements et billetterie auprès de la mairie au 02 54 36 14 09salle des fêtes de Martizay – Place du champ de foire
Renseignements et billetterie auprès de Michel Navion au 06 20 92 17 75

jeudi 24 mai | 20h30

 

vendredi 25 mai | 20H30 salle des fêtes de Sacierges-Saint-Martin(près de Saint-Benoît-du-Sault) – A côté de la mairie – Renseignements et billetterie auprès de Danièle Axisa au 02 54 47 57 95

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2 réponses à C’est la faute à Rabelais! Pièce interdite aux vieux matagoz

  1. Bruno Philip dit :

    Toute mon affection à la Haute Vienne

  2. tissot dit :

    Merci à Isabelle Violante pour ce bel article…

Les commentaires sont fermés.