Chroniques voyageuses aux côtés de Marc Mangin

C’est la saison des touristes qui au bout d’un avion, d’un train ou d’une voiture se retrouvent dans le même hôtel, direct au huitième étage avec vue sur la vue, sans arrêt et même pas essoufflés. Parfois dans leurs bagages, des bouquins écrits par la compagnie des voyageurs. Celle qui préfère la paillasse douteuse d’un bouge improbable à la baignoire jacuzzi d’un palace trente-six étoiles. Plus tard, la dernière page dévorée devant la piscine du Grand Hôtel Pacha Machin, le touriste s’endort. Il rêve de voyage, pas le sien bien sûr, ce qu’il pourrait en dire tient en quelques lignes au dos d’une carte postale. Il rêve de l’autre voyage, celui raconté dans le livre qu’il vient de refermer. Sur la couverture on peut lire un nom d’auteur : Marc Mangin, un «écrivain-voyageur», un «photographe errant», qui, s’il n’aime guère les avions, une fois arrivé à destination, nous embarque, par la magie de ses chroniques, dans ce que l’on pourrait appeler l’esprit du pays. Chroniques indiennes, correspondances chinoises ou lettres persanes, elles sont regroupées dans  deux volumes, La voie du bœuf et Tu m’as conquis tchador, des récits au jour le jour, leçons de voyage, peut-être, mais aussi une belle leçon d’humanité.

La voie du bœuf. «Je somnambulais autour de Kashmeer Gate. La forte odeur d’urine me tenait éveillé. Il fallait trouver le juste milieu, une sorte de point neutre entre le risque de me faire faucher en marchant trop près de la chaussée et celui de tomber asphyxié en rasant les murs.» L’avion a atterri à Delhi. Je suis Marc Mangin dans les rues surpeuplées de la mégalopole indienne avec comme bagage un sac, quinze heures de vol et le décollage horaire qui va avec. Un hôtel, une chambre ? «Une cellule de trois mètres carrés, sans ouverture ; un pucier sur lequel je n’ose même pas poser mon sac ; un coin toilette à vous couper toute envie» pas terrible pour une première nuit. Les voyages, avec la fatigue, commencent souvent mal. Les heureuses surprises, les rencontres viennent ensuite. Les images fortes aussi. Nous sommes à Bénarès : «Les cortèges funèbres se succèdent de l’aube à la tombée du jour. Les crémations se suivent, se chevauchent même…».

 

Photo: Marc Mangin

Les images douces également. «Un homme attend que je termine d’écrire cette phrase pour me tendre la main (sa douceur me surprend) et serrer la mienne. Il ne me demande ni mon nom ni le pays d’où je viens (…). Il continue son chemin sans un mot, manifestant d’un large sourire, sa joie de m’avoir salué…»

Le plaisir de Marc est d’être sur la route, «de passer sans être attendu, mais être accueilli avec une générosité naturelle».

La surprise n’est jamais là où on l’attend et c’est la somme de toutes les petites histoires qui font les riches heures de ces chroniques d’ailleurs:  «Dheeraj m’attendait sur le pas de sa porte, au milieu de la nuit. Faute d’une chambre disponible dans son ‘Trois-Cafards’ (un nom bien évocateur que Marc donne aux hôtels qu’il fréquente), il m’avait installé un lit dans la salle du restaurant. »

Je me laisse guider dans ce voyage sans carte routière ni Atlas, mais je m’en fiche. «Le matin de mon départ, je bus un thé dans toute les dhaba ouvertes et attendis le bus en compagnie de trois vaches. Il n’y a rien de plus triste qu’une vache plantée en plein soleil, à n’attendre rien, pas même la mort

Un tour de l’Inde en quatre-vingt jours effleuré dans ces quelques lignes, mes mots se sont laissés porter par ceux de Marc Mangin, juste assez pour faire envie mais sans que son récit n’en perde ni le goût…ni l’odeur.

Tu m’as conquis tchador. Un an avant ce périple indien, Marc Mangin était en Iran en 2009. Il nous en ramène une fournée de lettres persanes. Le titre est moyen mais le contenu savoureux.

Tout commence comme on s’y attendrait vu de France, c’est-à-dire par un contrôle policier : «J’avais décidé de prendre le chemin des écoliers en passant par Téhéran. La police m’a-t-elle repéré dès la sortie de l’avion ? (…) Le flic a regardé mon passeport, examiné toutes ses pages, farfouillé dans son ordinateur et m’a dévisagé longuement avant de re-feuilleter mon passeport et de me re-dévisager. Il leva enfin son tampon (…). Je pensais en avoir terminé, qu’il me rendrait mon document avec le sourire. Niet… » (Oui je sais la coupe est cruelle !)

De retour à l’hôtel, «je dors mal, me réveille tard. (…) Le réceptionniste de la veille a été remplacé par une brochette de jeunes femmes d’une  beauté rendue diabolique par le noir de leur tchador. Puisqu’elles ne peuvent montrer que leur visage, elles le soignent. Le rouge de leurs lèvres, le noir de leurs yeux, le teint de leur peau sont relevés d’un soupçon de maquillage. (…)  Elles font tout pour être vues. C’est gagné.» On sort, Marc nous plonge dans le Téhéran populeux, mais il faut partir, on repart toujours avec lui, sacré Mangin.

Un rendez-vous, plus tard, plus loin : «Je lui tends un papier sur lequel Nasrollah a consigné les indications pour le rejoindre. Kasam ferme sa boutique pour m’y conduire. Dans la rue, tout le monde semble averti de mon passage et avoir reçu l’ordre de me diriger vers ma destination

J’avance dans ma balade au gré des pages qui me filent entre les doigts. J’ai laissé de côté mon ordinateur où je prenais quelques notes pour ce papier.

Je voyage, il voyage, nous voyageons de petits plaisirs en grosses arnaques. «A l’épicerie voisine, je commande un jus de pèche et un verre d’eau. Au moment de payer…Il n’en est pas question ! Entre temps le gardien de la turne est revenu. Je visite. Combien pour la nuit ? (…) Cent quarante dollars ! (Je reprends mon sac sans discuter. (…) Je hèle un taxi (…), je lui tends le prix de sa course. Non pour moi ce sera gratuit

Tous les chemins ne sont pas forcément tranquilles : «Depuis jeudi, je suis en vacances ! La police m’a gentiment invité à prolonger  mon  séjour.  Comment  refuser  une  telle  marque  d’hospitalité.  Vous  vous  demandez sûrement comment nos routes se sont croisées ? »… On se demande effectivement ! 

Parfois aussi, un méchant blues passe par là : «Je t’écris du Kara Kul, assis sur les talons, les doigts engourdis par le froid glissés sous mes genoux, incapable de tenir un stylo ; incapable de rien, si ce n’est regarder les eaux sombres du lac aux reflets d’émeraude, grelotter et penser à toi. Il fallait un but à ce voyage et c’était celui-là : l’endroit de la Terre le plus éloigné de la mer. J’y suis. Qu’est-ce qui me retient désormais d’en faire mon Grand Bleu, mon Yukon ? De me fondre dans mon rêve, de disparaître avec lui dans la brume du petit matin

Voilà, mon voyage s’achève, là où commence le vôtre, même si ce n’est pas au bord de la piscine du Grand Hôtel Pacha Machin avec vue sur la vue.

La voie du bœuf/Marc Mangin/Ed. Sipayat (169 pages)/16,50 euros (port inclus)

 Tu m’as conquis tchador/Marc Mangin/Ed. Sipayat (219 pages)/21 euros (port inclus)

 

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Une réponse à Chroniques voyageuses aux côtés de Marc Mangin

  1. FMaurel dit :

    J’imagine, s’agissant du « titre moyen », qu’il s’agit d’un hommage à Bashung qui, déjà, se moque gentiment d’Hernan Cortez en chantant (dans « S.O.S. Amor ») « Tu m’as conquis j’t’adore ! »…
    Sinon, c’est vrai que ça donne envie de… lire !

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