Le palais de verre, l’histoire dont une audace d’architecte est l’héroïne…

Il est des romans où toute ressemblance avec des personnages «ayant existé» n’a rien de fortuit et sait donner à la fiction une générosité dont la réalité ne sait pas toujours faire preuve. La vraie subtilité est celle capable d’épargner au lecteur simplement épris de littérature les indices trop appuyés destinés à lui faire croire que tout en lisant un «roman», il en apprend beaucoup sur les humains bien réels  auxquels la fiction s’adosse.

Dans «Le palais de verre», signé d’un enseignant britannique en biologie, Simon Mawer, le personnage sur lequel vous apprenez beaucoup est une villa : la Villa Landauer pour la fiction, la Villa Tugendhat pour la réalité ; la première est installée dans la ville imaginée de Mesto qui doit beaucoup à la bien tangible Brno qui accueille la seconde ; à Mesto, c’est un fictif Rainer von Abt qui a dessiné les plans ; à Brno, c’était Mies von der Rohe ; mon tout débute en Tchécoslovaquie au sortir de la Première Guerre mondiale et s’achève dans l’avènement de l’ère post-communiste.

Un avertissement et un encouragement pour le lecteur : le roman dont une audace d’architecte est l’héroïne ne requiert aucune connaissance d’expert en architecture pour se laisser dévorer (577 pages tout de même).

Dans la Tchécoslovaquie nouvelle qui émerge des traités de Versailles et de Saint Germain, un industriel visionnaire et une jeune intellectuelle vive et curieuse s’épousent et rêvent tout haut de la maison qui abritera la future famille à fonder et qui devra résolument tourner le dos aux tourelles, aux colonnes, aux dorures, aux parquets et autres enluminures qui font alors encore la gloire de l’Europe centrale et de ses élites. Et au hasard des voyages que le couple Landauer s’affaire à enchaîner, ils rencontrent un des soldats de l’avant-garde qui rassemble alors Le Corbusier, von der Rohe, et bien d’autres. Simon Mawer baptise son prophète Rainer von Abt. Et celui-ci va faire plus que dessiner des plans audacieux : la maison qu’il conçoit et érige, dans la boue et le froid de l’hiver tchécoslovaque, façonnera durablement la vie et le mode de vie de ses habitants.

Si la maison accepte de ne rester qu’un décor, elle est aussi le témoin de l’assurance avec laquelle Viktor et Liesel s’emparent de leur position sociale, des fissures qui lézardent leurs relations, des tumultes sentimentaux que déversent leurs amis proches dans la «pièce de verre», «l’espace de verre»,  le Glasraum, the Glass room qui donne son titre – déformé et déformant – à la version française. Cette vaste pièce qui s’apprête à révolutionner les mondanités autant que l’intimité, va surtout frémir des premières inquiétudes que suscite la montée du nazisme. Et ce d’autant plus que Viktor est juif.

C’est ainsi que le roman se dédouble : à la fresque familiale qui bascule dans la tragédie nazi, ou plutôt qui réussit en partie à l’éviter grâce toujours au talent visionnaire de Viktor qui organise à temps la fuite de sa famille vers la Suisse puis les Etats-Unis, s’ajoute la houle qui va chahuter la maison Landauer désertée par ses propriétaires : les portes en seront forcées pour héberger les expériences biométriques nazies sur les façons d’objectiver les physionomies juives, aryennes, slaves, …  La fin de la guerre, l’arrivée des Soviétiques et l’entrée de la Tchécoslovaquie dans le giron communiste transformeront la villa en gymnase pour enfants handicapés. La révolution de velours de la fin des années 80 permettra à quelques uns des protagonistes de la genèse de la villa de se retrouver fugacement : Simon Mawer nous épargne un trop «happy end» mais se soucie juste de nous donner des nouvelles de ceux qui ont depuis longtemps quitté la pièce de verre.

La villa Landauer est une aventure intellectuelle, historique, romanesque. Une fresque qui balaie le siècle dans un espace de verre que la grande Histoire ne parvient jamais à rendre ni opaque, ni froid. 577 pages de passion.

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2 réponses à Le palais de verre, l’histoire dont une audace d’architecte est l’héroïne…

  1. eric P dit :

    Merci de cette chronique qui me donne vraiment envie de lire ce roman.
    Un -petit- bémol: l’architecte (réel) n’est pas Mies Von Der Rohe mais Mies Van Der Rohe… Ludwig pour les intimes.

  2. Bruno Philip dit :

    Cela donne effectivement envie de le lire.

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