A Villeneuve-d’Ascq, poétique de la grande ville

Paris change ! mais rien dans ma mélancolie/N’a bougé  “ …Ces vers de Baudelaire, parmi d’autres citations, peuvent servir de sésame à l’exposition « La Ville magique » au LaM, le musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq, près de Lille.  S’il fut l’un des premiers à mettre l’accent sur la dimension poétique de la ville, Baudelaire se montre, une fois encore, visionnaire : un demi-siècle plus tard, la ville quitte son rôle de simple décor et devient l’un des thèmes favoris des artistes de toutes disciplines.   “Regardez les gratte-ciel !, dit Marcel Duchamp dès 1915, l’Europe a-t-elle rien de plus beau à montrer? “ .

"New York" de Boutet de Monvel. Huile sur toile.1930. ©Adagp Paris

Créateurs, penseurs, philosophes, plasticiens, poètes vont se croiser dans ces nouvelles métropoles. L’avant-garde s’y révèle. Au fur et à mesure qu’elles s’agrandissent, elles deviennent les lieux de toutes les inventions technologiques. Les artistes n’y seront pas insensibles. La photographie, récente, et la cinématographie, naissante, seront rapidement adoptées. Elles marqueront le siècle.

 L’exposition, centrée principalement sur les villes de New York, Berlin et Paris, offre un habile parcours, débutant en 1913, année de l’exposition de  l’Armory show de New York et se terminant à la fin de la seconde guerre mondiale. En cinquante ans, que d’inventions, que d’avant-gardes ! L’exposition n’a pas voulu privilégier telle ou telle forme d’expression artistique, mais le cinéma y occupe une place importante.

C’est d’ailleurs sous le titre du premier film expérimental  (1920) consacré à une ville, Manhatta [sic], de Charles Sheeler et Paul Strand qu’est présentée la première étape du parcours. En se développant, la ville s’est « verticalisée », offrant de nouvelles perspectives – au sens propre.

Les artistes nord américains ( Georgia O’Keefe) ou installés à New York (Joseph Stella) ne sont pas les seuls représentés : on découvrira, entre autres, quelques beaux Picabia de l’époque cubiste (le peintre a débarqué à New York en 1913) et un  magnifique Ozenfant, peintre français dont l’importance n’a pas toujours été reconnue.

"Metropolis", photographie de plateau, 1926. ©DR

La seconde étape du voyage est incontournable. Elle se déroule en effet autour du chef-d’oeuvre de Fritz Lang, Metropolis. Une occasion de nous rappeler que le cinéaste allemand a découvert Manhattan en 1924, trois ans avant la réalisation de son film, alors que Berlin se développe d’une façon anarchique. Les artistes tentent de  reconstruire ces villes hétéroclites. Ce qui conduit presque naturellement au thème de la troisième étape Quand la ville dort. Le surréalisme y a la part belle. Parmi les artistes convoqués : Giorgio di Chirico, Brassaï,  Paul Delvaux, Magritte…

Cette ville-là, aujourd’hui familière, montre l’importance de l’inconscient dans la production artistique. Chirico  (avec Le Retour du poète, 1914) en est sans doute le représentant le plus évident. On ne manquera pas non plus le très troublant film Paris qui dort de René Clair (1923). 

Si le parcours en forme de conte se conclut par une évocation de l’Ange de l’histoire de Walter Benjamin, entre passé et futur (cf Les Ailes du désir de Wim Venders), un détour quelque peu ludique aura précédemment été proposé dans le monde du roman noir. Le visiteur/ flâneur devient détective. De l’errance à l’enquête – titre de cette ultime étape- n’est peut être pas un passage obligé. Mais, d’une façon générale, le noir et blanc, avec ce qu’il comporte de puissance évocatrice, est bien présent dans cette exposition intelligente et qui donne à voir autant qu’à rêver. Relisons Baudelaire : «  Il n’est pas donné à chacun de prendre un bain de multitude ; jouir de la foule est un art ».  

"Ville lunaire 2" de Paul Delvaux. ©Fondation Paul Delvaux../Adagp Paris

 LaM, Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, 59650 Villeneuve d’Ascq,  du mardi au dimanche de 10h à 18 h.     Jusqu’au 13 janvier 2013. Tél. 03 20 19 68 68

Catalogue très documenté édité en collaboration avec Gallimard.

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Une réponse à A Villeneuve-d’Ascq, poétique de la grande ville

  1. Bruno Sillard dit :

    J’aime la ville, toujours. J’ai retrouvé ces quelques lignes…
    Les couleurs de la nuit sont imprévisibles, on joue au manège incessant des amours surprises. La nuit des villes est orange, comme le ciel. Le manège du square s’endort paisible, les chevaux imaginent que la nuit est noire rayée de bandes bleues ou vertes des néons d’à côté. Les nuits sont simples pour les chevaux de bois. Le jour et ses raisons sont partis ailleurs, Frisco tire sa couette de nuages comme tous les après-midi. Mais la nuit serait simple si seulement elle ne se faisait raison que d’une couette. La cité des déraisons émergeait. Déjà les tours en érection pénétraient le ciel qui se colore d’interdits. Un couple passe, un taxi jette sur le trottoir un inconnu. Une passante venue d’on ne sait quelle lune coud son chemin au rythme de ses talons aiguilles. Le néon violet d’un bar imagine que la nuit est musique. Une fille est assise sur le trottoir. Elle rêve mais manque de notes pour la musique de ses mots. Elle aimerait… C’est quoi aimer ? Jouer au painting-ball, à la fin la couleur est toujours la même. C’est quoi l’amour ? Faire langue commune. Les mots habillent puis déshabillent, les seins se découvrent. Mais les langues parlent-elles où font-elles du zapping ? Tu te déloques, je tire. Quelle couleur ? La nuit se calme, ses couleurs de révolte deviennent pastel comme le ciel. Un doux parfum, quelques mots, deux bouches calmées qui s’imaginent s’aimer. L’orange de la nuit pâle devient bleu. Le néon violet s’est éteint. Le ciel a avalé la lumière blanche que les tours lui ont jeté en peinture.

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