Le flirt ou l’éternité d’un commencement sans suite

Alors que le Parisien du 13 octobre n’hésitait pas à faire sa couverture sur « Fifty shades of grey » et à laisser entendre que ce roman érotique pour ménagères serait l’événement sociétal de la rentrée, l’Assiette au Beurre, le 21 mars 1903, consacrait l’ensemble de ses pages au « flirt ».

 Ce numéro 103 de l’Assiette au Beurre ne faisait pas l’éloge du badinage. La revue divisait son dossier en différents cas de figure illustrés à l’aquarelle. Le « flirt du travailleur » ne s’en tirait pas mal contrairement au poète qui avait tendance à ouvrir le « robinet de ses stances fades », l’émoi du couturier qui avait « humé la chair » et qui finirait par craquer et celui des fiancés qui « causent cavatine et pizzicati » tout en pensant « dot et position sociale ». Bref vu d’une assiette au beurre et en 1903, le flirt pouvait se résumer à de l’hypocrisie amoureuse.

Aquarelle de Dedina illustrant le numéro spécial « flirt » de l’Assiette au Beurre en mars 1903

Pourtant qu’il est bon de flirter, c’est à dire badiner sur le seuil des alcôves et préférer l’inconfort d’un banc public à celui du canapé. Le flirt c’est l’éternité d’un commencement sans suite. C’est ce qui faisait d’ailleurs dire Michel Delpech à une belle que pour un flirt avec elle, il « ferait n’importe quoi ».

Aujourd’hui on ne présente plus son flirt mais sa meuf et ce faisant, faute de réserve protégée accordée par une instance internationale, le flirt pourrait au mieux entrer dans l’histoire au pire tomber dans l’oubli. Il en subsiste cependant un usage politique par exemple quand tel ou tel parti politique plus ou moins centré se laisse aller à « flirter » avec des tendances ou des partis plus radicaux.

Le flirt a fait ses débuts dans la langue anglaise et signifiait une petite tape, une chiquenaude. Et l’action de flirter, selon le dictionnaire culturel de la langue française from the Robert, s’interprétait davantage comme le fait d’« agiter ou remuer vivement » avant que le terme ne dérive vers le comportement consistant à faire précisément la cour. Et puis il a franchi la Manche dans cette acception. On trouve le mot sous la plume de Proust et aussi celle d’Apollinaire.

Le grand dico culturel dit qu’il s’est trouvé une école pour prétendre que le mot flirt serait en fait issu de « fleureter » via « conter fleurette ». Mais non, nous prévient-on. Il y a eu sur ce cas une expertise chronologique démentant l’hypothèse et situant la cause de la confusion. Quant au modeste Petit Larousse, dans son édition de 1945 il expliquait dans une courte définition que flirter c’était « se montrer galant avec une femme ». Au point que l’on pouvait présenter sa galante comme son flirt et inversement.

Peut-être que ce qui a protégé le flirt finalement c’est l’incapacité linguistique à l’encanailler, allez donc le dire en verlan sans devenir provisoirement dyslexique, en voilà un défi que personne, c’est certain, ne s’amusera à relever.

La « Une » du Parisien du 13 octobre 2012

C’est comme l’épithalame, soit un poème prononcé par un tiers à l’occasion d’un mariage dans la foulée d’un flirt avancé. Son usage faiblit tandis que, nous informait le Parisien, le «marché des sex toys se prépare» à accompagner le raz de marée pressenti par les cinquante nuances de Grey. Une sorte d’oraison funèbre du flirt dont tout le monde n’a cure.

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4 réponses à Le flirt ou l’éternité d’un commencement sans suite

  1. jmcedro dit :

    Cher auteur, en opposant front à front, si l’on peut dire, sex toys et romance, pizzicati et techno, badinage d’hier et baffrage d’aujourd’hui, les Soirées ne flirtent-elles pas avec une certaine réaction?

  2. Philippe Bonnet dit :

    Une forme de réaction à ces 50 nuances, effectivement cher ami. PHB

  3. jmcedro dit :

    Je ne suis pas lecteur. Pas encore (?). Quand on n’a pas encore lu tout Pieyre de Mandiargues… (A réac, il y a toujours réac et demi c’est le problème avec la réaction…)

  4. de FOS dit :

    Beau sous-titre en forme d’oxymore à l’épreuve du temps. Badinage et marivaudage ont travesé la Manche.

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