Prise de tête avec des langoustines

Il est des jours sans faim où seule dans la cuisine/Je vaque au quotidien, je joue au petit chef…/Mais songer aux rognures jamais je n’imagine/Qu’accommodées elles puissent faire savoureux reliefs !/Ainsi les langoustines et  ainsi les crevettes/Peuvent à l’occasion se muer en homard,/L’essentiel des saveurs se loge dans leur tête… Et ce serait pitié de n’en point faire nectar.

M’inspirant d’une émission télévisée très regardée (Top Chef sur M6), je me suis amusée à concocter une recette simplissime surprenante pour  les papilles et obligeante pour  le porte-monnaie sans pour autant nuire à la santé. Le tiercé gourmand.

Ainsi  ai-je réalisé en deux actes une Intégrale de crevettes roses. Ces géantes descendantes du  petit plancton marin s’avèrent aussi comestibles que le cochon en qui tout est bon, j’en livre l’expérience. Une fois cuites, j’ai décortiqué les crevettes en réservant pour plus tard têtes et  carapaces.

Premier acte, le déjeuner. Les parties nobles et charnues de l’animal furent sautées dans un bain d’huile d’olive parfumé de curry, gingembre et échalotes. Bien dorées, elles furent dressées sur un lit de tendres pousses d’épinards recouvert d’un matelas léger de riz au sésame. Accompagnées d’un verre de Muscadet pour faire passer, ce fut un régal.

Après l’ivresse la pensée, dit le poète chinois. Pour le second acte, dînatoire, je me suis attaquée aux têtes de feu mes gambas. Comme elles semblaient me regarder d’un sale œil couleur Caïn, je les ai désorbitées sans pitié… en regardant ailleurs sans qu’on puisse m’en faire le reproche. Pas comme quand la maison brûle… J’ai mis ces têtes dé-nucléées ainsi que les carapaces des crevettes dans un grand fait-tout avec un peu d’eau et une pincée de sel.

Photo: Guillemette de Fos

J’ai donné un tour de bouillon à la préparation que j’ai  ensuite finement mixée avec du lait ou de la crème de coco selon la densité recherchée. On obtient un velouté de la mer proche de la bisque de homard. On peut servir cette « bisquette » comme  une vulgaire soupe de poisson (avec croutons frottés à l’ail, gruyère râpé et rouille) ou, mieux, telle quelle pour en apprécier le fumet subtil.

Forte de mes audaces culinaires dans la valorisation des déchets ménagers, j’ai  décidé, dans le huis-clos de ma cuisine, de renouveler l’expérience avec cette fois des  langoustines.  Ah, les  langoustines… toujours  délicates à pocher sans qu’elles ne se gorgent d’eau. La durée de cuisson dépend de leur grosseur et de leur nombre mais heureusement pas de l’âge du pêcheur. Et il est toujours difficile de repérer, une fois les crustacés plongés dans l’eau bouillante, la fameuse reprise du bouillon. On scrute l’instant décisif dans une nuée de vapeur d’eau et d’écume. Mais le jeu en vaut la chandelle, ces flamands roses de la mer ont un bouquet qui n’appartient qu’à eux.

J’ai  fait bouillir mes grosses langoustines quatre minutes sur le gaz, exactement, pas à côté, pas en dessous. Préférant  stopper  leur cuisson avec des glaçons plutôt que les laisser peu à  peu redescendre à température ambiante. Un point sur lequel  les avis divergent sur les étals du poissonnier et des libraires. Se fier à son flair. Une fois les langoustines cuites al dente, je me suis muée en Jivaro pour en faire des scampi. Elles m’avaient suffisamment pris la tête pour que sur le billot je me paye la leur.

Dans un premier temps, toujours déjeunatoire, la chair encore tiède de graciles crustacés vint illuminer de rose une salade de jeune roquette au goût poivré prononcé. En cuisine, sel et poivre ont toujours fait bon ménage.

Photo (stylisée): Guillemette de Fos

Le second round culinaire me vit récidiver l’opération exploitation des neurones marins. A la Mensa, la langoustine se situe en haut de l’échelle « crustacés »  quand  l’huitre n’atteint pas la première marche. Les langoustines ayant la tête dure et la carapace  épaisse, il me fallut cette fois passer la mixture (têtes carapaces) obtenue au chinois, passoire en forme de chapeau pointu inversé. L’opération est indispensable pour assurer au mélange sa moelleuse onctuosité. Lors du dressage, j’eus l’idée de décorer chaque assiette creuse emplie du velours marin d’une patte de langoustine gracieusement pointée vers le ciel.  Un dress code à la Mistinguette du plus bel  effet !

… Maintenant vous pouvez éteindre la télévision et reprendre une activité normale…

 

 

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6 réponses à Prise de tête avec des langoustines

  1. catherine dit :

    merci, une fois de plus j’en salive d’avance et vais tester rapidement

  2. Catherine Frémiot dit :

    Merci pour ces recettes qui m’ont donné l’eau à la bouche… et votre beau texte… que j’ai dégusté en écoutant Lully au clavecin. Les saveurs se mariaient fort bien, avec juste ce petit qqe chose d’acidulé (acidité?) qui agace les papilles… et on en redemande. Pourquoi ne feriez-vous pas « table ouverte »parfois? Ah oui, il y aurait foule et vous n’aimez pas ça… Hélas! …Mais on vous lit avec un plaisir immense
    Bien gourmandement vôtre
    Catherine F.

  3. Bruno Sillard dit :

    Hé bien, je m’incline, je ne commenterai même pas le temps de cuisson des langoustines. Un petit regret aussi, mais non, je me régale par avance. Allez je glisse un « une minute après ébullition « . Mais non c’est oublié. J’accours avec mon kilo de langoustines. Quoi? Pardon?
    La saison serait passée, même pas un petit bateau à l’horizon?
    Samedi j’irai voir mon poissonnier, je l’ai même vu proposer de la langoustine vivante, bon rarement, mais c’est arrivé.
    J’en prend combien?
    Sublime la langoustine vivante.

  4. Steven dit :

    Peut-être l’auteur elle même est-elle langoustine

    • Bruno Sillard dit :

      Quoiiii?
      Couper la tête à notre Guillemette, quelle horreur, je laisse tomber mon kilo de langoustines, prend ma vieille carabine, j’arrive pour vous défendre Guillemette, j’arrive…

  5. de FOS dit :

    Merci au chevalier servant !

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