La malédiction de Périgueux

Oie. Photo: PHBPour son grand bal annuel, le préfet ne voulait pas d’impairs. Tout ce que la ville de Périgueux comptait de notables en cette année 1954 se faisait une obligation d’y participer en grande tenue de soirée. Le seul risque possible, le seul danger bien identifié, était personnalisé par un conseiller général, propriétaire d’une exploitation agricole. Chaque année il prenait une initiative dégénérant en gaffe que la préfecture traînait ensuite comme un boulet.

Alors le préfet avisa le jeune stagiaire de l’ENA qui lui servait temporairement de directeur de cabinet. Et il lui dit : «Monsieur je veux que cette année ma réception soit réussie. Je ne vous fais pas un dessin. Le conseiller général dont je vous ai déjà hélas parlé sera là. Je veux que vous le suiviez à la trace et que vous me préveniez tout de suite si vous sentez qu’un coup fourré est en préparation. Et aussi que vous interveniez pour l’en empêcher si vous jugez que vous n’avez pas le temps de me prévenir».

Le jour dit, les Périgourdins sélectionnés, le plus souvent en couple et sur leur 31, s’acheminèrent comme dans un ballet bien réglé vers le lieu de la réception. Tendu, le jeune stagiaire de l’ENA scrutait les arrivants, les mains croisées dans le dos et priant intérieurement que le conseiller général gaffeur ait été retenu par un problème de vache en train de mettre bas.

Mais le conseiller général arriva, un peu en retard, mais arriva. Les yeux écarquillés et rougis par la concentration, le stagiaire vit descendre l’élu avec à la main un panier souple d’où émergeaient les têtes de deux oies vivantes.

Deux oies. Photo: PHB

Deux oies. Photo: PHB

Les  hautes études du jeune homme ne l’avaient pas préparé à ce cas de figure. En quoi deux anatidés cacardant pouvaient représenter un danger à l’égard d’une réception de préfecture ? Le stagiaire se résolut à se mettre dans les pas du conseiller général lequel, ayant repéré le colonel et sa femme, se dirigea directement vers eux.

Après les présentations d’usage, l’élu en découvrant largement ses dents, fit un large sourire destiné à la jolie épouse du colonel. Elle avait, pour l’occasion, mis une belle robe bleu pâle qui pouvait virer au turquoise selon les éclairages. D’un geste il lui montra le panier et lui déclara que c’était un cadeau à son intention, à elle, la femme du colonel. Elle lui répondit «Mon Dieu mais que voulez que je fasse de ces deux bêtes vivantes» ? Et le conseiller général de lui rétorquer : «Ah je vois! Aucun problème». Il se baissa incontinent pour tourner comme des robinets la tête des deux volatiles, en leur saisissant à la fois le cou et le bec. Après un léger craquement les deux oies s’effondrèrent sans vie au fond du panier en même temps que l’épouse du  colonel qui la rattrapa juste à temps.

«Vous avez fait votre possible», se borna à déclarer plus tard le préfet au stagiaire durablement confus. L’ancien stagiaire existe toujours. Le Conseiller général c’est moins sûr.

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5 réponses à La malédiction de Périgueux

  1. Bruno Sillard dit :

    J’aime cette ambiance surannée qui m’évoque les Contes du lundi d’Alphonse Daudet. Nous dirons pour l’occasion les contes du mardi.

  2. Philippe Bonnet dit :

    Une histoire authentique. Une autre demain. PHB

  3. Marion dit :

    J’ai reconnu le stagiaire!

  4. jmcedro dit :

    C’est entendu! Nous allons tâcher de caser sans tarder « deux anatidés cacardant » dans notre conversation …

  5. Marie dit :

    Toute ressemblance avec un personnage existant ou ayant existé…

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