La « beurrée » revisitée

Photo: Guillemette de FosLa  poire, fondante créature,
Fait  la meilleure des confitures
Quand elle s’adjoint, je suis formelle,
du beurre salé au caramel !
Et peu me chaut sa vraie nature :
Les unir est de bon augure !

Il arrive qu’un plat cuisiné s’apprécie en proportion inverse du temps passé à le réaliser. C’est injuste mais c’est ainsi.

Les convives applaudissent sans le savoir à la loi du moindre effort. L’imposture est totale quand le mets présenté par la cuisinière s’enrichit d’un ingrédient préparé par un autre. Le geai en tablier blanc se pare des plumes glorieuses d’un paon plusieurs fois toqué.

C’est le cas pour ma confiture de poire/caramel au beurre salé, parangon du mérite culinaire usurpé. Les compliments réitérés dont elle fait l’objet m’amènent à en livrer la recette, simplissime et usurpatrice. « Elle vit dans le pot d’une autre », chaudronne-t-elle en mon esprit…

Au départ, l’idée de cette marmelade m’est venue d’un souvenir d’enfance. La « beurrée » qu’on me servait  à l’heure du goûter. Je passais alors des vacances dans une ferme proche de Beaupréau dans le Maine-et-Loire. Cette beurrée mainoligérienne s’y prononçait en traînant sur le « eu » comme le gras s’attarde sur la tartine : « Beeeuuuuurrée ».

Une beurrée donc, c’était une poire fondante servie avec une tartine de beurre demi-sel. Une tartine de belle-mère méchante : on était aux lendemains de la dernière guerre.  La saveur mémorielle de ce goûter enfantin résidait dans l’association insolite de la pointe de sel au sucre du fruit, les deux étant appelés à se fondre concomitamment sur une langue finement  tapissée de matière grasse. Une explosion de  saveurs. Le doux, l’épicé, l’onctueux, le granulé de la chair fondante, le moelleux de la mie du pain, le croustillant de sa croûte. En y repensant, j’ai la douceur angevine qui ressuscite au palais. Et ma beurrée joue la biscotte à m’émouvoir comme une madeleine.   

Photo: Guillemette de Fos

Photo: Guillemette de Fos

J’ai donc eu à cœur de recréer l’alliage d’antan en confectionnant cette confiture de poire/caramel au beurre salé. La poire est bonne fille, il y en a sur les étals à chaque saison. Et dès l’instant qu’elle est mure sans être blette, toutes ses variétés se prêtent à la composition : l’oblongue Conférence, la joufflue Comice, la juteuse Williams, la petite Rocha, la bonne  (ou pas) Louise, la beurrée Hardy… Vous avez dit beurrée, et si c’était « ma » poire ?   

Faites la confiture sur la base de trois kilos de fruits épluchés pour un kilo de sucre (33 %), surtout pas davantage en raison du caramel.

En fin de cuisson des fruits, quand ils sont devenus  translucides, broyez-les grossièrement (l’utilisation d’un bras mixer est préférable au bol mixer qui fait de la bouillie). Ajoutez un peu d’Agar-agar si le mélange paraît trop liquide puis versez  un flacon entier de caramel au beurre salé (genre Salidou) d’environ 300 grammes. Avec  du caramel fait maison, j’ai testé, c’est moins bon confortant une certaine publicité proche de l’homonymie qui  prône la  paresse. Vous obtenez une confiture d’un bel  ambre-doré qui plait aux tout-petits comme aux grands : leurs goûts du sucre se rejoignent.  

Un conseil avant de vous mettre au fourneau,  pensez à sortir le flacon de caramel du réfrigérateur et à le retourner tête en bas pour qu’il expulse plus aisément  son contenu le moment venu. De toutes les opérations qui précèdent, c’est ce laborieux accouchement poisseux qui  s’avère  le plus délicat.

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4 réponses à La « beurrée » revisitée

  1. Alain S dit :

    Voilà une merveilleuse manière de commencer sa journée….et d’oublier les bonnes résolutions diététiques pour l’an nouveau !

  2. Catherine dit :

    cette recette arrive à point nommé en cette veille de week end, j’en salive déjà. J’ai besoin d’une précision: la fin de la cuisson des fruits est bien le moment fatidique où la goutte de mélange se fige quand on la fait couler sur une assiette bien évidemment préalablement refroidie?

    • de FOS dit :

      On le dit… mais je m’affranchis de cet instant aussi magique que le rayon vert en utilisant au besoin l’agar-agar…
      L’algue, elle aussi magique, a pour avantage de préserver les qualités organométriques du fruit et d’économiser l’énergie… Elle a son poids sur « ma » balance !

  3. Steven dit :

    Quel beau texte olfactif

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