Pôle Emploi, l’étape gourmande

Illustration: PHBEthique, bio, solidaire, la ferme avait tous les agréments liés à ces trois labels. Les anciens chômeurs profitaient du plein air et pouvaient aller où ils voulaient dans la limite des clôtures bien entendu. Ils étaient abondamment nourris, cela faisait partie du deal, mais la sensation d’être en vacances de type gastronomique était bien moins désagréable que les expériences précédentes de réduction du chômage, comme les tirs de prélèvements (1), qui n’étaient plus autorisés qu’à de très rares exceptions.

Quand ils commençaient à se déplacer moins vite, de plus en plus pesamment, ils étaient installés dans des lobbys très confortables devant des écrans géants qui diffusaient de préférence des séries américaines sans début ni fin. Ils n’avaient même plus à se lever pour aller chercher la nourriture et les alcools fins qu’on leur apportait sur un plateau. Leurs siestes étaient alors de plus en plus longues et les femmes comme les hommes pouvaient rester assoupis bien au-delà de quatre heures de l’après-midi. Leurs paroles devenaient singulièrement pâteuses, comme de vieux enregistrements sur bande magnétiques défilant à une vitesse trop lente.

Il arrivait toujours un moment où la conscience de ce qui se passait alentour les quittait par fragments de plus en plus nombreux. Ils avaient cette sorte de béatitude d’ivrogne que l’on transporte en brouette et qui se croient en taxi. Si bien que le jour dit de « pleine maturité » où un personnel très aimable venait les charger sur un brancard pour les emmener dans la salle d’extraction, ils ne bronchaient pas et bavaient même quelques mercis qui sentaient la prune ou la poire selon les catégories de commande.

Illustration: PHB

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Leur foie, qui était prélevé par des manipulateurs avertis en blouse et gants blancs, étaient très vite conditionnés soit dans l’ordre: un chiffonnage pour essuyer les flux, un glaçage et une mise sous film siglé « bio ». La marchandise partait ensuite par train spécial jusqu’à Rungis dans la salle de dispatch où se pressaient les grands acheteurs nationaux et internationaux. Cela faisait déjà bien longtemps que le foie gras de chômeur avait supplanté l’oie et le canard dans les assiettes. Très fin, surtout lorsqu’il était servi avec une marmelade de myrtilles, il faisait la joie des cuisiniers et de leurs clients.

Les chômeurs devenaient paradoxalement des poids « utiles » à la société, leurs pairs se régalaient et, la grande écologie de la chaîne alimentaire se voyait rétablie dans ses droits. Cette grande idée française avait du reste valu rien moins qu’un prix Nobel à ses trois instigateurs qu’étaient le premier ministre, celui de l’économie et bien avant eux celui du « travail solidaire » à qui l’on reconnaissait la primauté de cette intuition géniale. Au seuil de trente nouvelles années glorieuses, la France avait retrouvé tout son appétit.

PHB

 

(1) Voir épisode précédent

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Une réponse à Pôle Emploi, l’étape gourmande

  1. Bruno Sillard dit :

    Mon cher Philippe,
    Un impératif de dernière minute m‘oblige à décliner ton invitation à venir passer quelques jours dans ta propriété du Sud Ouest. Comme tu me le demandais si gentiment mon toubib est satisfait de mes analyses du foie, n’est-ce pas. Avec son sens de l’humour, il me disait qu’avec la somme de médicaments que j’ingurgite tous les jours je serais une oie que je serais bon pour l’équarrissage direct, n’est-ce pas. Enfin tu vois. D’ailleurs il me signale que j’ai trop de fer dans le sang, n’est-ce pas. Je serai un canard, n’est-ce pas, que mon foie resterait trop rouge, sans compter le fait qu’il tournerait trop vite. Enfin tu vois.
    Je sors du ciné club de ma résidence, « The last picture show ». Il programmait « Soleil vert » avec Charlton Heston n’est-ce pas. Ils euthanasient les vieux pour nourrir les hommes, enfin tu vois. On me propose une séance personnelle tout bonheur, « 2001 » de Kubrick me tenterait bien, n’est-ce pas.
    Bon je te laisse prend bien soin de toi, n’est-ce pas.
    Enfin tu vois.

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