Ceci est une pipe

Pipe. Photo: Les Soirées de ParisTandis que la moderne et jolie vendeuse leur vantait tous les bienfaits de la cigarette électronique et leur en expliquait le mode d’emploi pas évident à retenir du premier coup, l’un deux s’avisa que le magasin négociait aussi des pipes à processeur d’arômes. En se demandant comment il pouvait être possible de demander une pipe à une vendeuse sans tomber dans le ridicule, il finit par trouver un vocabulaire de substitution qu’il garda cependant pour son for intérieur.

Mais rentré chez lui, il partit à la recherche de la pipe de son grand-père, qu’il tenait gardée dans un tiroir et enveloppée de sa housse en cuir d’origine. Le sujet, du moins dans sa version fumigène, n’alimente plus vraiment les conversations, mais si l’on creuse, les souvenirs remontent par volutes de notre mémoire.

Sans besoin d’une datation au carbone quatorze, cette pipe avait probablement connu la débâcle de quarante, serrée au fond de la poche du lieutenant d’artillerie qu’était alors son grand-père. L’avoir avec soi faisait office de talisman protecteur alors que l’armée française prenait, c’est bien le cas de le dire, une sévère déculottée. Car par ailleurs, tous les amateurs de pipe savent que pour être bonne, une pipe ne l’est vraiment qu’à partir du moment où elle a été culottée. Son culot doit s’être noirci sous l’effet des premières bouffées. Alors seulement il est loisible de se bourrer une bonne pipe, chose que l’on ne peut plus annoncer aujourd’hui en réunion sans faire sursauter ou ricaner tout le monde.

Photo: Les Soirées de Paris

Photo: Les Soirées de Paris

A côté de la pipe de son grand-père figuraient deux boîtes métalliques de tabac n’ayant jamais servi. Deux boîtes de cinquante grammes qu’il (pas le grand-père mais le petit-fils) avait acheté en souvenir d’un vieux cousin très affectueux ayant, pardon pour le mot, cassé sa pipe depuis. Il se souvenait de déplacements en Bretagne dans une Mercedes hors d’âge conduite par le cousin Guy qui allait relever ses casiers. Celui-ci fumait un mélange de Capstan et de Dunhill et cela faisait de l’habitacle de la voiture comme un écrin qui rendait heureux. De nos jours, il lui suffit encore de plonger le nez dans les deux boîtes pour entendre ronronner le moteur de la Mercedes de couleur bordeaux qui allait vers la plage dès l’aube naissante.

Dans un tiroir attenant à celui des pipes, sommeillait de la même façon un shilom dont la version électronique, sauf erreur, n’existe pas encore. Cet ustensile d’origine marocaine lui avait servi depuis son adolescence jusqu’à un âge très largement adulte à fumer un mélange de tabac et de haschisch et il fut d’ailleurs troublé, en le prélevant par les doigts, de constater que les dernières cendres s’y trouvaient encore.

Shilom. Photo: Les Soirées de Paris

Shilom. Photo: Les Soirées de Paris

Ce shilom lui avait été offert par un ami de collège, perdu de vue car il avait appris bien plus tard qu’il était mort de froid. Le cône sobrement décoré avait tellement tourné de mains en mains et de bouches en bouches qu’il finira bien un jour par s’élever en un puissant mouvement giratoire vers son premier propriétaire, paix à ses cendres.

Tout ça pour dire que l’idée d’acheter un jour une pipe électronique ne risquait pas de lui venir à l’idée bien qu’il ait trouvé l’idée pour en faire la demande sans rougir. « C’est combien pour le calumet » se serait-il alors enquis. Mais il n’était pas à la veille de le faire.

PHB

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2 réponses à Ceci est une pipe

  1. Flourez BM dit :

    … où du coup, l’on se remémore les pipes cassées mais gardées dans les armoires de grand-mères veuves, celles auxquelles on ne doit pas toucher dans le bureau du père, celle achetée en douce pour faire comme Verlaine ; oui, de nos cinq sens, le sens électronique est bien étranger.

  2. Steven dit :

    Excellent! S.

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