N’enfermez pas les filles

L'affiche de Mustang. Photo: PHB/LSDPLale, jeune fille d’une douzaine d’année, vit avec ses quatre sœurs à peine plus âgées qu’elle chez leur grand-mère, dans un petit village situé à 1000 kilomètres d’Istanbul. Elles sont orphelines et on ne saura rien de l’origine de cet état, car là n’est pas le sujet mais le prétexte à l’histoire.

Le film débute sur les images d’une journée de fin d’année scolaire, saluée par les rires et les jeux d’enfants sur une plage de la mer Noire. La caméra suit de jeunes adolescents (le plus vieux n’a pas seize ans) débordant de gaité et d’insouciance, se baignant tout habillés dans leur uniforme d’écolier, s’aspergeant et improvisant un jeu de joutes, les cavalières – nos cinq sœurs– à cheval sur la nuque des jeunes garçons. La même caméra les montre peu après dans un verger où ils maraudent quelques pommes vertes et sont chassés sous la menace d’un fusil. Façon de nous indiquer, peut-être, que nous ne sommes pas à la ville (où rien ne se passerait comme ce qui suivra dans le film ?), mais dans un village de la Turquie rurale. On pressent aussitôt la fausse piste.

De retour à la maison familiale, la grand-mère attend les jeunes filles qu’une voisine bienveillante dans sa robe « couleur de merde » (selon Lale) a jugé bon de dénoncer. A cet instant précis si vous vous doutez un peu de la suite, et quelle que soit celle que vous imaginez, vous êtes loin du compte. Dans une lente et oppressante progression vers le pire, le film vous agrippe au ventre et vous enfonce dans votre siège pendant 1h37. Pourtant, le meilleur n’est jamais loin du pire et la fin, sans résonner comme un happy end, laisse entrevoir la possibilité d’une vie, tout simplement.

« Mustang » est le très, très beau premier film de l’actrice et réalisatrice franco-turque Deniz Gamze Ergüven. Mustang, non pas comme la voiture – voiture qui sera pourtant le vecteur pour une liberté arrachée au prix du sang –, mais comme le fougueux cheval sauvage du Nord-Ouest américain. La fougue, aussi, comme instinct de (sur)vie chez Lale, qui va tout faire pour mettre fin à un jeu de massacre organisé contre elle et ses sœurs par ce qui leur tient lieu de famille : la grand-mère et l’oncle appelés à la rescousse pour remettre dans le droit chemin ces jeunes filles indomptables.

Mustang, image de la bande-annonce. Photo: PHB/LSDP

Mustang, image de la bande-annonce. Photo: PHB/LSDP

C’est dans la tête et à travers le regard intuitif de la jeune Lale (rôle brillamment interprété par cette très précoce actrice, Günes Sensoy) que le spectateur vit l’emprisonnement des cinq sœurs. La maison familiale va se transformer en forteresse dans laquelle nul ne pourra plus pénétrer. Les sœurs, elles, trouveront le moyen d’en sortir de toutes les façons possibles. Quitte à fuguer en passant par un trou de souris creusé dans le mur de la propriété. Ainsi, elles s’échapperont pour aller applaudir l’équipe nationale de football (le foot, est-ce un hasard ?). Mais après chacune de leurs escapades les murs seront érigés plus hauts et les fenêtres, peu à peu, se garniront de barreaux. Jusqu’à empêcher leur oncle et leur grand-mère de revenir dans la maison où, pour échapper au mariage de l’une d’elle, elles vont se barricader.

De cette prison, elles sortiront. Mais pas indemnes et chacune à leur manière. L’aînée, en réussissant l’exploit d’épouser celui dont elle est amoureuse, mais en condamnant sa cadette à prendre pour époux celui dont elle n’a pas voulu. Les autres prendront la fuite par des moyens drôles ou tragiques, toujours bouleversants.

On aimerait croire que les règles édictées contre les cinq sœurs dans ce film sont d’un autre temps. En Turquie ou ailleurs, on sait qu’il n’en est rien. A Cannes où il a été projeté, « Mustang » a été comparé, absolument à tort, au « Virgin suicides » de Sofia Coppola (réalisé en 1999, d’après le roman éponyme de Jeffrey Eugenides). Les deux films n’ont rien en commun. Là où les jeunes américaines des années 1970 de « Virgin » jettent un regard désabusé sur leur monde, celles de « Mustang » ont foi en ce qu’elles peuvent en faire. Et ce, malgré le suicide de l’une des sœurs, qui apparaît comme la dernière liberté dont elle va se saisir, en riant !

Féministe « Mustang » ? Oui, mais d’abord féminin, parce que juste et sensible. Et plein d’espoir et d’humour (si, si). N’enfermez pas les filles nous dit Deniz Gamze Ergüven, car elles trouveront toujours la sortie.

Valérie Maillard

« Mustang », depuis le 17 juin au cinéma. Un film réalisé par Deniz Gamze Ergüven. Avec Günes Sensoy, Doga Zeynep Doguslu, Tugba Sunguroglu, Elit Iscan, Ilayda Akdogan et Ayberk Pekcan.

 

 

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4 réponses à N’enfermez pas les filles

  1. person philippe dit :

    Désolé, Valérie… Mais ce film me fait penser à ce que dit Emmanuel Todd…
    Ce film écrit et réalisé par deux purs produits de la FEMIS et produites par ARTE n’est pas un film turc mais un film français, un film de pure propagande occidentale…
    Les cinq filles (sauf une je ne crois) ne vivent d’ailleurs pas plus en Turquie que le couple réalisatrice-scénariste. On les croirait sorties de Victor Duruy…

    Le scénario repose sur une invraisemblance que tous ceux qui veulent du « méchant » islamiste ne veulent pas voir : si la grand-mère et son oncle (pourquoi avoir eu besoin d’en faire en plus un violeur, sinon pour une équation idéologique pas très claire) qui les élèvent étaient aussi intégristes que ça, ils auraient élevé ces cinq magnifiques poupées dès le début dans la religion et le film n’aurait pas eu lieu d’être. À l’adolescence, elles n’auraient pas eu la moindre envie de se révolter… C’est donc un artifice qui fait tenir le film, plus la beauté « occidentale » des filles pour les mettre du bon côté, et le tour est joué.
    Encore une fois, Todd a raison : ce sont les bobos les fachos…
    « Mustang » est une nouvelle étape pour détester l’autre musulman en toute impunité. Il y a quelques semaines sortait un « vrai » film turc « La révélation d’Ela » ou l’on voyait une réalisatrice turque parler de ce qu’elle connaît… de la complexité de son pays, notamment… Cela donnait un grand film antonionien… (Eh oui, il y a des Turques pas simplement obnubilées par les « grands » films de Céline Sciamma)
    Je vous renvoie aussi aux films de Nuri Bilge Ceylan… Palme d’or l’année dernière, l’antithèse de ce cinéma pour occidentaux… Un cinéaste merveilleux qui va devoir ramer comme un malade pour dire ce qu’il pense de ce film racoleur, car sinon « plus de Cannes  »
    Pour moi, je n’hésite pas : c’est un film raciste déguisé sous les traits d’une ode à la liberté… Quelle liberté ? Ici, les petites -par ailleurs formidables dans ce film qui est une espèce de remake de la « Nuit du chasseur »- arrivent dans la grande ville : elles sont sauvées ! Forcément, au dernier plan, le mur est tagué et le restaurant qui fait face à un auvent en anglais… L’idéologie est claire… Ce qui est moins clair, pour le couple qui connaît mal la Turquie, c’est qu’il y autant d’islamistes dans les grandes villes qu’ailleurs et que faire tout ce chemin pour se jeter dans la gueule du loup n’a peut-être pas grand sens…
    Je crois que vous avez tort sur la comparaison avec les Virgin de Sofia Coppola : les deux fémisardes en raffolent et, dans cette école mimétique (pour ne pas dire plagiatique), on fait ce que d’autres ont déjà fait…
    Mustang, c’est donc bien « La nuit du chasseur » + « Virgins Suicide »+ « Bande de filles »
    J’y ajouterai aussi une pincée de « Springbreakers »… (Un très beau film vraiment incorrect, lui…)

    Je sais que je prêche dans le désert. C’est la vertu des films de propagande qui réussissent leur coup et qui atteignent leur cible que d’ôter le sens critique. Mais attendez-vous à d’autres réactions comme la mienne… qui vont déferler dans les semaines à venir…
    Car c’est la rançon d’un tel succès : il est naturellement suspect car sa part d’ombre n’est vraiment pas belle à voir…
    Désolé

  2. VAM dit :

    Ne soyez pas désolé, vraiment. Le film montre ce que beaucoup voudraient cacher, l’absence de place pour la femme dans beaucoup de pays. C’est un film militant, qui ne peut convenir à tous pour les raisons que vous évoquez ou d’autres. Je ne commenterai pas votre passage sur E Todt dont je ne partage pas forcément toute l’analyse. Le propos, le mien et celui du film, n’étant pas de parler de l’extrémisme religieux mais bien de la liberté humaine. C’est en toute liberté que nous pouvons débattre ici en ce lieu, ailleurs, vous pouvez donner votre opinion, moi la mienne, les deux sont respectables et respectées par vous, par moi. Nous avons bien de la chance !

  3. de FOS dit :

    Voilà une chronique et des commentaires qui excitent ma curiosité et m’incient à me faire une idée du film par moi même. C’est bien l’essence même des Soirées de Paris !

  4. person philippe dit :

    Valérie, si vous voulez voir un film « féministe » rigolo, je vous conseille « Con la pata quebrada » (en français « Retourne à tes fourneaux »). Diego Galan s’est amusé à raconter la vision de la femme dans le cinéma espagnol depuis 1930… Vous tomberez des nues Et vous verrez un docu franchement très réussi… (Le film vient de sortir en DVD)

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