Buster Keaton, l’homme qui retombe à pic

Buster Keaton (détail). Photo: PHB/LSDPComme il n’y avait pas de prescription particulière pour l’accompagnement musical des films (muets) de Buster Keaton, le pianiste dans la salle disposait d’une certaine liberté. Nouvelle quand même assez extraordinaire, c’est l’excellentissime Joe Hisaishi, « le » musicien du cinéaste Hayao Miyazaki, qui s’y collera le 27 novembre sur la chaîne Arte pour le fond sonore du « Mécano de la générale ».

Cette programmation sur la seule chaîne ayant une exigence programmatique commercialement suicidaire n’est pas due au hasard. Il se trouve que la totalité des films de Buster Keaton (une trentaine) a été restaurée après une épique chasse aux copies par la société Lobster, afin de restituer la plupart des moyens-métrages dans leur jus et leur génie d’origine. Ce qui fait que du 11 décembre au 5 janvier, la Fondation Jérôme Seydoux Pathé diffusera via des ciné-concerts, une sélection des meilleurs longs et moyens métrages et qu’un coffret « intégral » Arte Editions sortira opportunément pour les fêtes.

Cette intégralité a été tronquée sur un point. Les restaurateurs se sont aperçu que le film « Coney Island » comportait une blague raciste. Dans cette histoire, le personnage interprété par le compère de Keaton, Fattie Arbuckle, compte faire du charme à une femme qu’il aperçoit de dos. Le « gag » qui repose sur sa déconvenue lorsqu’il s’aperçoit qu’elle est noire, avait été supprimé des copies en circulation. Les restaurateurs ne l’ont pas réintégré mais rangé dans les « bonus » du DVD, une précaution que l’on peut trouver exagérée mais qui colle bien à notre époque exigeante et dépourvue de tout discernement. Dans cet esprit il faudrait occulter certaines cases des albums d’Astérix ou de Tintin.

Légende inclue dans "Daydreams". Photo: PHB/LSDP

Légende inclue dans « Daydreams ». Photo: PHB/LSDP

Mais à part cela quel régal. Il y a ce film « Daydreams » que l’on peut aussi voir sur Youtube (sans la musique) dans lequel le héros demande à un père la main de sa fille. A celui-là qui s’inquiète de savoir si le jeune homme pourra subvenir aux besoins du ménage, le personnage interprété par Keaton lui répond qu’il va s’en occuper de ce pas et que s’il échoue il se suicidera. Ce à quoi le potentiel beau-père lui rétorque aimablement qu’il lui prêtera son revolver en perspective de cette funeste  finalité. Tout au long de « Daydreams » le héros échoue à se constituer une situation et se représente en guenilles devant le père qui lui tend comme promis son revolver mais là-aussi, le coup de partira de travers. Dix sept minutes qui reflètent le génie intégral de Buster Keaton et de son associé Fattie Arbuckle. Le scénario, d’une densité incroyable, ferait la leçon à bien des réalisateurs aujourd’hui qui croient pouvoir se passer d’une histoire en se disant qu’à eux seuls, les acteurs feront le boulot.

Joseph Frank Keaton est né le 4 octobre 1895 dans l’état du Kansas. Dès son plus jeune âge, il accompagne ses parents au long de leur spectacle itinérant. Son surnom de « Buster » qui désignait une cascade dans le monde du spectacle, lui est venu en raison de son incroyable capacité à se casser réellement la figure et à se relever sans s’être brisé les os. Ce qui arriva tout de même une fois.

Buster Keaton sur Youtube. Photo: PHB/LSDP

Buster Keaton sur Youtube. Photo: PHB/LSDP

Mais c’est surtout un comique génial, calculateur de scènes, qui a franchi plusieurs fois les frontières du burlesque pour s’aventurer dans les géométries bien plus complexes du surréalisme et parfois même de la poésie. Près de cent ans plus tard on rit encore de bon cœur face à cet humour anachronique mais parfois on se surprend aussi à être porté comme dans un de ces songes qui nous fait dire le lendemain « j’ai fait un rêve bizarre cette nuit ».

PHB

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2 réponses à Buster Keaton, l’homme qui retombe à pic

  1. person philippe dit :

    Cher Philippe,
    merci pour ce rappel…
    Je vous recommande de lire les mémoires de Keaton, « Slapstick »…
    On y trouve des anecdotes assez fabuleuses… À commencer par l’origine de « Buster »… C’est déjà toute une aventure… Le père de Buster était le comparse du grand Houdini… et c’est le magicien qui voyant le petit Keaton tomber d’un escalier et se rétablir assez adroitement aurait dit : « Tu es un vrai Buster »…
    La vie de Buster n’est pas gaie, mais elle est très riche et pas simplement en litres d’alcool…
    Outre ses chefs d’oeuvre, on peut le voir dans un film de Claude Autant-Lara avec Paulette Dubost ! (le roi des Champs-Élysées). Dans le Chaplin bien sûr… et dans la seule incursion de Beckett (Eh oui !) au cinéma : « Film »….
    D’ailleurs, chose qui me fascine au point de lire le texte en les imaginant, il y a eu un projet (hélas trop beau pour aboutir) d’un  » En Attendant Godot » avec Marlon Brando et Buster Keaton en Vladimir et Estragon !
    Et puisque je suis passé à Beckett, je vous recommande une pièce très jolie qui mérite d’être vu, même si c’est au Théâtre de Belleville, pas très loin de…, « Naissance d’un chef d’oeuvre ». On y conte avec beaucoup de ferveur la naissance d’En Attendant Godot. Sur scène, il y a un Beckett plus vrai que nature et un Roger Blin qui fait son travail de Roger Blin, c’est-à-dire être le passeur des plus grands, de Beckett à Genêt…
    J’arrête ! Sinon on est là jusqu’à demain…
    Portez-vous tous bien, amis d’Apollinaire, toujours à la recherche des belles choses !

  2. Bonsoir Philippe,

    je suis assez méfiante sur ce sujet, car j’ai assisté à des expériences pas très heureuses de musique en direct pour accompagner des films muets.
    Mais espérons que cette fois, ce sera une bonne expérience!
    Amicalement,
    Lise Bloch-Morhange

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