Edgar Moreau Giovincello : c’est Mozart qui ressuscite

Edgar Moreau. Photo: Julien Moreau/EratoAimeriez-vous rencontrer le jeune Mozart aujourd’hui ? C’est tout à fait possible, puisque je l’ai rencontré sous les traits d’un violoncelliste français de 22 ans au beau nom romantique d’Edgar Moreau. Depuis deux ou trois ans déjà on commençait à parler de lui, lorsque j’ai vu qu’il venait de remporter en novembre 2014, à New York, un premier prix et pas moins de six prix spéciaux aux Young Concert Artists Auditions (YCA, fondées en 1961). Je guette toujours, chaque année, les gagnants de ce concours qui n’oppose pas les concurrents entre eux, et dont le jury possède un flair exceptionnel pour dénicher les futurs grands de la musique.

Des exemples ? Le jeune pianiste breton Jean-Efflam Bavouzet, tout juste âgé de 24 ans et bientôt adoubé par Sir Georg Solti, fut lauréat des YCA en 1986, avant d’entamer l’illustre carrière que l’on connaît. Et un groupe de 4 copains tout juste sortis du Conservatoire de Paris, décidant en 2003 de former le Quatuor Modigliani en toute inconscience, se signalait à l’attention du monde musical en remportant trois ans plus tard les YCA. Depuis, leur trajectoire a été foudroyante. Il faut dire que les lauréats du concours bénéficient ensuite d’un lancement US très précieux.

Donc le jeune Edgar, adepte du piano et du violoncelle dès l’âge de 4 ans, s’étant produit en soliste avec l’Orchestre du Teatro Regio de Turin à l’âge de 11 ans, intégrait le Conservatoire de Paris après celui de Boulogne-Billancourt, remportait à 15 ans le prix du jeune soliste du dernier Concours Rostropovitch, puis à 17 ans le deuxième prix et le prix de la musique contemporaine du Concours International Tchaïkovski, présidé par le tout puissant maestro Valery Gergiev. Et ne parlons pas des diverses Victoires de la Musique qui suivirent les YCA. Vous aurez compris qu’il a en commun avec Mozart la précocité. Mais aussi la fougue, la vitalité, l’insouciance, le bonheur d’être jeune et de ne pas se prendre au sérieux, de rire de tout, y compris des difficultés musicales.

Guettant ses performances parisiennes, j’approchais le phénomène une première fois le jeudi 29 octobre 2015 mais d’assez loin, puisqu’il s’agissait du nouvel Auditorium de la Maison de la Radio de 1461 places. Ce soir là, au premier plan de la scène en demi-cercle entourée du public de tous côtés, l’Orchestre National de France déployé derrière lui, il interprétait le très beau « Concerto pour violoncelle et orchestre » de Saint-Saëns qui lui était visiblement très familier, puisqu’il jouait de mémoire. Nous avions sous les yeux un tableau impressionniste à la Degas : taches noires des musiciens sur le plancher blanc-blond, élégantes silhouette et battue du chef danois Nicolaj Znaider, et mince silhouette du soliste lui aussi habillé de noir, concentrant la lumière sur son violoncelle (une splendeur datant de 1711, sortie des mains de David Tecchler, un autrichien d’origine émigré à Rome, devenu un illustre représentant de l’école romaine de lutherie). Rien de plus beau que les sonorités voluptueuses que le jeune soliste de 21 ans tirait de son instrument dont le bois renvoyait d’incessantes et chaudes variations de lumière. Ne dit-on pas que le violoncelle est l’instrument le plus proche instrument de la voix humaine ? Je me demandais ce que pouvait éprouver ce si jeune homme en sentant la foule des musiciens du National derrière lui. J’aurais pu aller le lui demander à l’issue du concert, mais je préférais faire durer le mystère un peu plus longtemps.

La couverture de l'un de ses disques. Source: Google images

La couverture de l’un de ses disques. Source: Google images

Une seule chose, peut-être, pouvait trahir chez lui une certaine nervosité : la façon dont entre chaque pause, après avoir baissé son archet et ramené son instrument vers lui, il fourrageait dans sa chevelure sombre d’un geste bref de la main gauche, un peu comme un tic de jeunesse. Je devais le revoir à Gaveau quelque deux mois plus tard, le lundi 14 décembre, accompagné par sept musiciens du groupe baroque (encore un !) Il Pomo d’Oro, fondé en 2012 par Riccardo Minasi. Le jeune Edgar venait d’enregistrer avec lui un CD d’airs pour violoncelle connus ou moins connus de Haydn, Vivaldi, Platti, Boccherini et Graziani. Son deuxième enregistrement chez Erato.

Ce lundi soir d’hiver, la salle Gaveau toute de velours gris et jaune était pleine de haut en bas, un signe qui ne trompe pas s’agissant d’un si jeune interprète. Cela voulait dire : Attention ! Petit génie à l’horizon ! Nous n’avons pas été déçus. Dès la première note du premier morceau, le «Concerto pour violoncelle en ré majeur» de Platti, Edgar Moreau nous plongeait dans l’enchantement des sonorités de deux Allegros encadrant un Adagio. Et à chaque pause, il scandait le rythme de tout son corps et de sa tête, manière de dire que le baroque est gai ! Le second morceau, un Concerto pour violons et cordes en mi mineur «Il Favorito» de Vivaldi avait beau inclure des thèmes que le compositeur reprendrait dans «Les quatre saisons», Edgar nous manquait déjà.

Heureusement, il revenait aussitôt pour le «Concerto pour violoncelle en la mineur» de Vivaldi, et nous retrouvions cette sensation merveilleuse d’entendre mille violoncelles à la fois et une gamme infinie de sonorités, de pianissimi et d’allegros. Et toujours cette façon d’empoigner son cher instrument à bras le corps, et cette façon de scander la musique de la tête et de tout son corps, ne pouvant pas s’empêcher de danser sur ces rythmes baroques. Après l’entracte, nous avons eu droit à un gag : alors que les sept musiciens du Pomo d’Oro allaient attaquer la «Sinfonia en sol mineur» de Hasse, le jeune Edgar surgissait des coulisses et se propulsait  sur le devant de la scène avec son instrument. Moment de flottement, puis il s’écrie : «Désolé ! Je croyais que c’était mon tour !», et repart en coulisses.

Edgar Moreau sur le mur d'images Google. Photo: PHB/LSDP

Edgar Moreau sur Google. Photo: PHB/LSDP

Un petit gag qui en disait beaucoup : goût de la facétie (Mozart vous dis-je !), décontraction, façon de ne pas se prendre au sérieux, bonheur et impatience de jouer ! Et quel bonheur pour nous de retrouver, lors du «Concerto pour violoncelle n°2 en ré majeur» de Boccherini, son jeu sensuel, lumineux, vibrant de mille couleurs ! Et toujours ces chauds éclats de lumière jaillissant de son violoncelle, sur ce fond de scène faisant un écrin or et rose à l’orgue maison. Il fallait le voir ensuite dédicacer son CD dans le hall de Gaveau pour confirmer mon intuition, car c’était un spectacle en soi : si jeune, si facétieux, riant sans cesse, toujours en mouvement, un visage plein d’expression, de mille expressions plutôt, un de ces visages irréguliers qu’on n’oublie pas, une gouaille, la tignasse hirsute ! Bref, Mozart ressuscité, tel que la légende nous le montre !

Il faut voir aussi la façon dont l’enthousiaste Edgar bondit en l’air sur la couverture de son CD sur laquelle se détache en noir sur fond jaune « EdgarMoreauGiovincello », autrement dit «Edgard Moreau le petit jeune»! Toujours cette manière de dire «Qui donc prétend que le classique c’est ennuyeux ? Qui donc prétend que le baroque n’est pas moderne ?».

 

Lise Bloch-Morhange

Son calendrier de concerts

Il faut le compléter par les dates suivantes :

12 février à Douai et 13 février Orchestre de Lille, 31 mars et 3 avril Festival de Pâques d’Aix-en-Provence, 19 mai Festival de Saint-Denis, 26 mai Festival de l’Epau, 28 mai Marseille Musicatreize.

Orchestre National de France

Salle Gaveau

 

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4 réponses à Edgar Moreau Giovincello : c’est Mozart qui ressuscite

  1. Jan Wyers dit :

    Un plaisir à lire ce texte d’une mélomane passionnée et avertie, bravo Lise ! On ira écouter ce jeune homme. xxx Jan

    • Isa Mercure dit :

      Cet article est gouleyant à souhait! Après sa lecture, on a vraiment envie de connaître le jeune homme.

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