Histoire de migrants et autres histoires: Maurice un séminariste au STO (2)

Source image: Bruno SillardJe feuillette le journal de Maurice. Il ne faudrait pas grand-chose pour que ce récit puisse être publié dans son intégralité. L’histoire est là, en tout cas, elle a besoin d’être réchauffée, qu’elle prenne le lecteur par la main. Mais même comme-çà elle est passionnante.

Nous sommes en septembre de cette année 1943 qui n’en finit pas. Maurice est mis au montage des culbuteurs sur les cylindres des moteurs, précise-t-il. Le soir ils parlent, il faut parler, c’est le moteur du groupe. Maurice est avec Charles. Ils sont dans les WC et discutent des rapports des curés avec les femmes… «A propos de Marie, tu crois qu’elle aurait un fils comme ça, toujours vierge ? Je ne crois pas que deux époux peuvent coucher ensemble sans avoir de rapport physique.» Gentil blasphème pour sortir un instant de son quotidien. Ils parlent aussi de la prière. Les Français prient pour leur victoire, les Allemands pour la leur. Comment tout cela peut-il s’arranger ? C’est comme le communisme et le catholicisme, n’y a-t-il pas de la parenté. Cette nuit à 3h45, les projecteurs de la DCA balayent la nuit. Personne ne dort. Parfois, une blague fuse : «quels sont deux métiers qui se ressemblent ? La caserne et le séminaire, on n’y fiche rien !»

Maurice passe de l’alésage des sièges de soupapes aux «tétras», bacs de «tétrachlorure de carbone» chauffé, solvant toxique utilisé pour nettoyer les pièces de moteurs d’avions juste démontées. La nuit, Maurice chante et discute avec ses compagnons. Ils vont à la messe le dimanche le plus souvent à Walldorf, une petite ville non loin de là, suivie, parfois, par un échange avec des cathos de la JOC.

Je lis les mots de Maurice, moi qui connais la fin de l’histoire. Il n’est pas un jour oublié dans son journal.

Semaine après semaine, le peuple chrétien s’étoffe. Ce dimanche, ils se retrouvent dans un restaurant tenu par des religieuses. Peuple des catacombes rythmé aussi par les colis qui parfois arrivent à peine ouverts et déjà avalés. Les messes du samedi n’ont pas forcément lieu dans les mêmes églises. La Gestapo commence à se poser des questions. Même la messe dominicale inquiète la police nazie quand elle voit tous ces catholiques français réunis ensemble dans la nef gauche de la cathédrale de Francfort. Toutes les occasions sont bonnes, ainsi la Gestapo a arrêté un catholique qui s’était un peu énervé contre son chef. Il estimait que la charge de travail était inversement proportionnelle à la quantité de nourriture distribuée. En guise de réponse, le policier lui sort son dossier, nous n’en saurons pas plus, mais il est vrai que Maurice savait que les lignes qu’il écrivait pouvaient être lues par n’importe qui. Un autre chrétien, Roland, a été également arrêté le lundi 13 septembre. Il se rendait comme délégué à une réunion de catholiques, elle fut changée mais personne ne l’avait prévenu. La gestapo, elle, l’était et l’embarqua. Interrogé, il fut rapidement relâché. A partir de ce jour, ils convinrent tous, séminaristes angevins ou catholiques d’ailleurs, d’être prudents. La police politique cherchait à pénétrer la JOC jugée une organisation anti-allemande, proche des communistes de surcroit.

Première décision, on ne parlerait plus de militants ou de sympathisants mais d’apôtres ou de disciples !

Menu du 9 avril. Source image: Bruno Sillard

Menu du réveillon. Source image: Bruno Sillard. Photo: PHB/LSDP

Pendant que dans les baraquements, les uns se préparent pour Noël et les autres pour le réveillon du Nouvel an, les alliés annoncent qu’ils vont intensifier les bombardements au-dessus de Francfort. Le 21 décembre 1943, ils avertissent femmes et enfants par voie de tracts qu’ils doivent s’éloigner des usines.

Vendredi 24, la veillée de Noël commence à 21h15. Un mélange de chants, de jeux, de sketches, de monologues et d’airs d’harmonica. A 0h15, la messe de Noël puis réveillon à 1h30, rillette, maquereaux et sardines en boîte¸ veau rôti, bière et café. Retour aux chambrées vers les 4 heures. Le lendemain, ils jugeront que la messe était trop longue et « les gars pas assez dans le coup. »

Le 29 janvier 1944, Francfort est à son tour bombardée. Un Français était là-bas pour chercher les colis envoyés du pays, 60 kilos, à mettre aux abris. Pour la première fois ce bombardement, le plus violent jamais connu, touche le centre-ville. Maintenant les horaires de travail à l’usine suivent ceux des coupures d’électricité. Quarante Tchèques arrivent suivis par quatre vingt dix autres, garçons et filles requis pour dix mois pour les uns et quatre mois pour les autres par le travail obligatoire. Les soirées sont étonnamment actives. On répète une pièce de théâtre qui doit être jouée à Pâques. Soirées conférences également, une sur la taille de la pierre, une autre sur le baromètre et le périscope. Ce matin à 11h30, nouvelle alerte, les regards vont vers le ciel, voilà les trainées blanches que tracent les bombardiers, le sixième bombardement sur Francfort vient de commencer. Le soir, repas pour le retour de deux permissionnaires, on boit du vin, fume des gauloises, café. On répète une autre pièce de théâtre «La grammaire». Le lundi 28 février 1945, conférence sur le travail. Pierre explore les différents systèmes, Des corporations au moyen-âge au corporatisme, du libéralisme au marxisme et de conclure avec Saint Augustin : «on se plaint que les temps sont mauvais. Soyons bons et les hommes seront bons

Une page va se tourner, les Agros devraient bientôt partir. Le dimanche 5 mars après la messe, «Grand cross internationa» avec comme prix tabac et pot de fleurs mais le lendemain on annonce la suppression des permissions pour deux mois. Le soir on se remonte le moral avec une lecture spirituelle sur le corps mystique, rapporte Maurice.

Le 16 mars départ des Agros. L’émotion n’est pas feinte, on chante une chanson composée pour l’occasion sur la «Feld Agro Piaule». Alerte le samedi, vers 13 heures un avion anglais mitraille des allemands. De 21 heures à 23 heures, le ciel est illuminé mais en revanche l’électricité est coupée. Maurice a un vrai problème, il est torse nu et en short et doit se réfugier dans la promiscuité mixte du bunker. Francfort est en flamme, on parle de 7.000 victimes. La Gestapo fait savoir au curé allemand de ne plus autoriser des messes solennelles avec un prêtre français. Concert le soir même dans la banlieue de Francfort par un chœur allemand. Le lundi l’électricité n’est pas rétablie. Les Agros ne sont pas loin, trois d’entre-eux reviennent leur dire qu’ils travaillent comme employés dans les jardins municipaux de Darmstadt. Fin mars Ferdinand est arrêté, il aurait écrit sur une carte qu’il avait saboté un moteur. Fouille complète de ses affaires.

C’est la complainte des « séminos ». Un jour on meurt sous les bombes, un jour on disparaît dans les geôles de la Gestapo, un jour c’est un accident, un autre la fièvre qui vous colle au pieu. Il reste à vivre et donc à prier, alors on recopie des partitions de musique pour Pâques, il faut aussi prévoir des feuillets de confessions pour les Tchèques.

Une neuvaine de prières est dite pour Ferdinand. Il fera passer une lettre qui décrit les conditions de prisonnier «sous la cravache et les coups de gueule», il remercie le Christ. Sur le chemin du retour, on leur racontera cet autre prêtre français qui avait été arrêté et qui pendant un mois se couchait nu, sur du ciment. A cette réalité de la guerre, s’en ajoute une autre. Un jour des femmes juives hongroises arrivent et sont parquées dans un coin de la forêt, rapporte dans ses carnets Maurice. Elles paraissent affamées, mal vêtues, on les dirait mourantes. Quelques semaines plus tard, on reparle de ces juives, elles seraient 1.700 non loin d’ici.

Ce 9 avril 1944, jour de Pâques, le déjeuner est digne des Français ! Potage aux nouilles, sardines à l’huile, pâté, bœuf pommes de terre, haricot, vin d’Anjou, café et fine. Et aussi gauloise. En mai, l’actif prêtre de Vihiers, est arrêté, avec deux de ses compagnons, pour activités religieuses.

Le 6 juin ce sont des allemands qui leur annoncent à 11h30 le débarquement de Normandie. On est énervé rapporte Maurice. 1944, il n’aura pas été un jour ou presque sans son lot d’alertes et de bombardements. Les permissions ont été supprimées.

1945, en mars plus personne ne travaille plus. Le canon gronde, Les Américains ne sont plus loin désormais. Les uns les attendent, les autres les fuient. Le chef de gare fait vider un train de nourriture, des Allemands viennent avec des petites charrettes, Les étrangers ne tardent pas à les suivre. On conseille aux Français de se méfier des SS si bien que tous les gars de la piaule vont camper dans le bunker. Il n’y a plus personne hormis des fantassins allemands qui passent. Les canons tirent jours et nuits. Puis ce sont les premiers chars américains qui passent et les derniers soldats allemands qui disparaissent. Maurice et ses copains s’émerveillent comme des gamins devant le matériel radio des Américains ! Ils veulent serrer les mains de leurs libérateurs. «Go back», il y aurait encore des «boches» leur crie un soldat. Maurice veut leur répondre en Anglais mais ce sont des mots en allemand qui lui reviennent en mémoire. Des «boches?» Ils découvrent le mot. Un GI les invite à gagner l’arrière de la ligne de front.

La semaine sainte commence et Maurice y voit une sorte de passion avant la joie de la délivrance. Le vendredi soir au repas du lapin aux carottes. Certains s’en inquiètent. Drôle de carême pour un repas de vendredi saint ! A la cuisine, on répond qu’il fallait éviter que ça se perde. A la guerre comme à la guerre !

L'écriture "fine" de Maurice pour une pièce de théâtre. Source image: Bruno Sillard

L’écriture « fine » de Maurice pour une pièce de théâtre. Source: Bruno Sillard. Photo: PHB/LSDP

Lors de la messe du dimanche de Pâques, on chante les hymnes nationaux, belges, polonais et français. On devine l’émotion. Maurice écrit : plus d’une page noircie par cette écriture petite, sans blanc inutile mais pourtant si familière.

Coup de cafard, on avait oublié que la guerre n’est pas encore finie, le rapatriement est reporté, il faut s’attendre à rester un mois, peut-être plus.

Il faut à nouveau organiser la vie, les loisirs, les services religieux, les veillées, théâtre…Maurice prend en charge les «jocistes». Les Américains semblent dépassés par le nombre de prisonniers libérés. Le 9 avril 1945, un contingent de 420 français devrait partir. Vérification des papiers, pointage, il est 23 heures. Un cortège de cinq GMC s’ébranle. Maurice écrit «Nous n’avons plus faim»

Enfin les camions passent la frontière à Metz.

Bruno Sillard

Détail du "colis" du prisonnier. Source image: Bruno Sillard

Colis du prisonnier. Source: Bruno Sillard. Photo: PHB/LSDP

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2 réponses à Histoire de migrants et autres histoires: Maurice un séminariste au STO (2)

  1. Steven dit :

    J’ai beaucoup aimé ce récit. Je me demandais juste ce que le séminariste est devenu. S.

    • Bruno Sillard dit :

      L’abbé en question a 92 ans et se repose dans une maison de retraite appartenant à l’église . Que puis-je en dire? Il est devenu prêtre ouvrier, donc j’imagine que c’était dans les année 60, on me le raconte comme allant par coteaux et vignobles avec sa vieille mobylette ou sa vieille « deuche ». Jamais il n’a oublié un anniversaire de baptême ou de mariage. Un curé de campagne…

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