Le campus Vitra, un temple du design

Tour-toboggan de Carsten Höller. Photo: Lottie BrickertA la sortie de Bâle, une étrange tour-toboggan en treillis d’acier attire l’attention depuis l’autoroute A5. Nous sommes à Weil-am-Rhein, à la frontière entre la France, la Suisse et l’Allemagne. C’est là, en pleine campagne − aussi incongru que celui puisse sembler – que sont rassemblés une vingtaine de bâtiments conçus par les plus grands architectes du monde.

(Ci-contre : Tour-toboggan de Carsten Höller, photo : Lottie Brickert)

Ce parc architectural est le « Campus Vitra ». Vitra, société de renom international, est bien connue des professionnels et des amoureux du design, peu du grand public. Depuis plus de 60 ans, elle produit les meubles conçus par des designers illustres.

L’histoire de Vitra commence en 1950, à Weil-am-Rhein (Allemagne), lorsque Willi Fehlbaum, fondateur du groupe, y installe son usine. Dès le début des années 1950, la société Vitra, initie sa démarche pionnière. Spécialisée dans la production et la commercialisation des meubles et accessoires pour le bureau, les lieux publics et l’habitat, elle coopère avec des designers de renom pour fabriquer leurs meubles. En 1956, Vitra édite les sièges des designers américains Charles et Ray Eames dont la fameuse « Lounge chair », toujours produite. En 1959, les chaises de Verner Panton font sensation. Fabriquées en plastique moulé dans des tons vifs, elles s’imbriquent les unes dans les autres pour gagner de la place lors de leur stockage. Au fil du temps, les conceptions de Jasper Morrison, Ron Arad, Ronan et Erwan Bouroullec, Philippe Starck, etc. sont venues avec d’autres − à l’instar des rééditions des créations de Jean Prouvé – s’ajouter au prestigieux catalogue Vitra.

Si la plupart de ces formes et matières nous sont aujourd’hui familières, il n’en a pas toujours été ainsi. Entre le prototype et la production en série, Vitra a joué un rôle majeur. C’est la recherche de solutions innovantes et l’adaptation des matériaux qui lui ont permis de mettre au point de nouvelles formes stylisées. L’union du savoir-faire d’ingénierie de Vitra et de la créativité des artistes ont élevé Vitra au plus haut niveau de l’esthétique industrielle.

En 1981, cinq ans après la reprise de la direction par Rolf Fehlbaum, le fils du fondateur, un incendie ravage le site détruisant plus de 60 % de sa surface. Cette époque marque l’ouverture de l’ère architecturale de Vitra. Rolf Fehlbaum décide en effet de confier la construction d’un nouveau bâtiment d’usine, ouvert en 1986, à l’architecte britannique Nicholas Grimshaw, auteur de nombreux bâtiments en Angleterre dont la gare Waterloo de Londres. Ce sera un tournant majeur pour Vitra, le début de la collaboration avec des architectes célèbres. Elle se poursuivra au fil du temps, comme en témoigne la liste des réalisations, pour constituer le Campus Vitra. Cette démarche architecturale s’inscrit pleinement dans la philosophie Vitra : élever la production industrielle à hauteur d’œuvre d’art en coopérant avec les créatifs les plus talentueux du monde.

En 1989, l’architecte irako-britannique Zaha Hadid, décédée le mois dernier à 65 ans, crée la caserne de pompiers Vitra. Parmi ses œuvres majeures, citons le Centre aquatique des J.O. de Londres et l’opéra de Canton. La même année, le Vitra Design Museum est ouvert au public. Dédié au design, il a été conçu par Franck Gehry qu’on ne présente plus. Puis, l’architecte japonais Tadao Ando réalise le pavillon des conférences en 1993. C’est le projet de Tadao Ando qui avait été choisi en 2001 par François Pinault pour abriter sa collection d’art contemporain sur l’île Seguin (projet abandonné au profit du Palazzo Grassi de Venise). En 1994, l’édification d’un nouveau bâtiment d’usine est confiée à Alvaro Siza, architecte portugais, auteur d’un grand nombre d’institutions culturelles de son pays.

Dôme de Buckminster-Fuller-Howard et Vitrahaus de Herzog et de Meuron. Photo: Lottie Brickert

Dôme de Buckminster-Fuller-Howard et Vitrahaus de Herzog et de Meuron. Photo: Lottie Brickert

La décennie suivante s’avère tout aussi fructueuse. Un dôme conçu par R. Buckminster Fuller et Howard, spécialistes des géodes, est édifié sur le campus en 2000. Clin-d’œil au passé, trois ans plus tard, quand la station-service de 1953 de Jean Prouvé y est installée. Retour vers le futur en 2010 avec l’inauguration du showroom de Vitra, la VitraHaus, des architectes suisses Herzog et de Meuron. On leur doit notamment la Tate Modern de Londres et son extension, qui ouvrira en juin 2016, ainsi que les stades de Pékin et Munich. La même année, un abribus du designer Jasper Morrison est installé sur le campus. Dernier venu en 2012, un nouveau Hall de Production, dessiné par l’agence d’architecture japonaise Sanaa (le Louvre Lens), a vu le jour.

Le campus se visite librement ou en tour guidé de 2 heures. Pour avoir une vue sur le tout le site, il faut gravir les marches de la tour-toboggan de l’artiste Carsten Höller, qui culmine à 30 mètres. La plateforme à 17 mètres du sol offre un beau panorama sur les différents bâtiments. De là, une glissade sur la piste hélicoïdale de 38 mètres de long permettra de retrouver son âme d’enfant.

VitraHaus, intérieur du showroom. Photo: Lottie Brickert

VitraHaus, intérieur du showroom. Photo: L.Brickert

Que l’on soit simplement curieux ou véritable amateur de design, il serait dommage de se limiter à la visite « architecturale » du site. Le Campus Vitra possède d’autres atouts. Ainsi son showroom abrité dans la Vitrahaus de Herzog & de Meuron. Une pause roborative dans son agréable café-restaurant remet d’attaque pour en parcourir les quatre étages. On déambule avec bonheur dans les treize lofts, aménagés en somptueux espaces de vie, dont les baies vitrées donnent sur la campagne environnante. Là, tout n’est que beauté, design et qualité. Quelques-unes des 6000 références du catalogue Vitra, signées par les grands noms du design contemporain, se marient avec subtilité pour créer des univers chaleureux à l’esthétique épurée et tendance dans lesquels chacun rêverait de vivre. A défaut de pouvoir s’offrir les superbes meubles exposés là, on se consolera en se rabattant sur leurs miniatures vendues au Shop.

Le Vitra Design Museum, dessiné par Franck Gehry, permet de clore la visite du campus de façon éclairée. Fondation indépendante de la société Vitra, le Design Museum s’est fait un nom à l’échelle internationale par le biais d’expositions, de publications et d’ateliers axés sur le design et l’architecture. Il organise deux importantes expositions temporaires chaque année. L’actuelle est dédiée à Alexander Girard, créateur de mobilier, graphiste, scénographe et designer d’intérieur.

Lottie Brickert

Vitra Campus, Charles-Eames-Straße 2, 79576 Weil-am-Rhein, Allemagne
Informations pratiques
Visites guidées du campus tous les jours (détails et contacts : +49 (0)7621 702 3200 ou info@design-museum.de).

Dôme de Buckminster-Fuller-Howard et usine de N. Grimshaw. Photo: Lottie Brickert

Dôme de Buckminster-Fuller-Howard et usine de N. Grimshaw. Photo: LB

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3 réponses à Le campus Vitra, un temple du design

  1. Walter Raymond dit :

    Bien intéressante, la philosophie de cette société, qui cherche à marier production, art et design, une démarche trop rare dans le monde industriel.
    Et bravo à Lottie pour cet article très documenté, sur un thème aussi peu connu du grand public que la société Vitra.

  2. Steven dit :

    Insoupçonné! Merci. S.

  3. Le site a l’air très intéressant architecturalement, mais j’ai toujours entendu dire que leur catalogue de reproduction de meubles anciens est décevant, d’autant plus que le prix est élevé.

Les commentaires sont fermés.