A l’abri de la fureur du monde

Abris de chantier sur le chantier des Halles. Photo: PHB/LSDPCeux qui ne seraient pas complètement hypnotisés par la Canopée des Halles achevée et qui oseraient risquer l’exclusion des adorateurs de la politique municipale en lui tournant le dos, verraient leur regard tomber sur l’assemblage d’abris de chantier trônant au milieu de la partie restant à terminer. Ce ne sont jamais les vedettes et pourtant ils sont partout, éphémères et beaux, pour peu qu’on leur prête un peu d’attention.

Ils recouvrent la façade de la Samaritaine, ils entourent juste en face la statue de Condorcet, ils masquent encore de beaucoup le « Centre de Russie pour la Science et la Culture à Paris » laissant néanmoins bien en vue le dôme doré qui surplombe dorénavant le quai Branly, ils s’apprêtent à accueillir une population de migrants à la lisière du Bois de Boulogne, ils sont toujours dans la boucle des milliers de chantiers qui poussent chaque année en France.

Selon l’importance de la mission, cela va du bungalow unique avec cabanon pour les toilettes à toute une infrastructure verticale à même d’héberger les ouvriers et les équipes d’ingénieurs. On y est au sec s’il pleut, au chaud s’il fait froid et au frais si la climatisation fait partie du programme pour les journées d’été.

La France n’a pas à rougir de ses abris de chantier si l’on veut bien considérer que certains pays, dont quelques uns très riches, laissent ni plus ni moins leurs ouvriers se débrouiller en plein air qu’il pleuve ou qu’il fasse cinquante degrés sous le soleil.

Mais à part ceux qui en profitent provisoirement, personne n’y fait attention, alors que la fonctionnalité extrême de leur design mériterait davantage d’égards, au même titre que le fameux cabanon de Le Corbusier (1).

Structure Algeco. Paris 19e. Photo: PHB/LSDP

Structure Algeco. Paris 19e. Photo: PHB/LSDP

Symptomatiquement le groupe Algeco a fêté l’année dernière ses soixante ans dans l’indifférence générale. La marque se présente comme celle ayant inventé dès 1955 la construction modulaire au point que son nom, qui signifie « Alliance et gestion commerciale », est devenu quasi-générique au même titre que « Frigidaire » ou « Klaxon ». A son lancement, Algeco proposait ainsi une cabane en bois équipée d’un dortoir et d’un poêle, pour s’y tenir au chaud. On l’appelait « La Gauloise ».

Ces abris de chantier ne sont pas sans rappeler les logements d’urgence mis en place après-guerre où ceux que l’on y installait découvraient bien souvent l’eau courante et l’électricité.

De nos jours et quelque soit leur marque ils s’implantent en CDD dans nos paysages urbains abritant une communauté d’individus voués à se disperser une fois le travail terminé.

Cabanes d’enfance, abris de jardins, « L’abri-côtier » des vacances à la mer, tipis,  guérites, tentes, caravanes, yourtes,  igloos, campements de fortune pour migrants sous le métro aérien ou encore la structure forcément précaire mise en prose par Apollinaire en 1915 dans une lettre à Madeleine (« Je vous écris sur l’herbe très pressé de continuer à construire ma cagnat en gazon« ): s’abriter des courants d’air est pour l’homme un besoin vital où la notion de répit prend tout son sens. Mick Jagger l’avait du reste magnifiquement chanté en 1969 avec « Gimme shelter » (donne-moi un abri).

C’est pourquoi cette matérialisation proprement cubiste d’un réflexe humain fondamental, vient accrocher notre regard, plus ou moins consciemment. On en désirerait ainsi trois ou quatre pour notre compte personnel, avec ses escaliers latéraux, que l’on poserait au milieu d’un champ, d’une banquise ou sur la Lune. Depuis les hublots, les sabords ou les fenêtres, on y observerait tranquillement la vie qui nous environne avec la jouissive satisfaction d’aller y faire un tour ou pas.

PHB

(1) Le Cabanon de Le Corbusier dans Les Soirées de Paris

abris de chantier dans le 15e arrondissement. Photo: PHB/LSDP

Abris de chantier dans le 15e arrondissement. Photo: PHB/LSDP

Condorcet ur les quais de Seine entouré d'abris provisoires. Photo: PHB/LSDP

Condorcet sur les quais de Seine entouré d’abris provisoires. Photo: PHB/LSDP

 

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5 réponses à A l’abri de la fureur du monde

  1. Bruno Sillard dit :

    Un éloge nécessaire d’où la ville moderne naît. Qui n’a pas rêvé un instant, un moment, devant cette porte fermée, notre désir pressant, la main qui se tend et puis non, le mystère demeurera et la porte verte restera fermée à notre attente, en attendant de nous soulager dans un McDo de passage. Toilettes Algeco de chantier, cruelles toilettes qui nous refusent le caprice d’une envie.

  2. Très chic de considérer les baraques de chantier et autres Algécos comme de beaux objets architecturaux, même si on peut en faire habilement de belles photos!
    On vient encore d’en élever un à ma porte, et franchement, je n’y vois rien de beau!
    Petit détail: les Algécos autorisés par la mairie de Paris pour accueillir SDF et migrants ne se situent pas « en lisière du bois » de Boulogne, mais bel et bien dans le bois, ils sont donc illégaux, tout comme la fondation Vuitton ou le stade de 5000 places que la Fédération Française de Tennis (FFT) voudrait construire dans le Jardin botanique des Serres d’Auteuil, inclus dans le bois. Le Bois de Boulogne est inconstructible, classé site naturel et réserve de biodiversité.
    Au fait, la FFT vient de retirer sa demande de permis de construire des Algécos pendant ses travaux sur son site dit historique. Il parait que ce permis manquait de solidité juridique…
    Alors haro sur les algécos du bois, aussi beaux soient-ils!

  3. philippe person dit :

    Oserai-je dire que l’un de mes plaisirs quand je traverse en bobo à vélo ou en vélib le bois de Boulogne est de m’arrêter… pour faire… pipi contre un arbre…
    Pas besoin d’Algéco… Agrémentons Dame nature de nos naturels besoins !
    Donner des Algécos aux SDF est une hypocrisie de plus de la part de ceux qui ne songent pas à réquisitionner les millions de mètres carrés inoccupés pour les y loger…
    Le cautère sur la jambe de bois… de Boulogne… De la part de ceux qui plastronnent à Roland-Garros… Mais, là, dites-moi, Lise, comment font-ils pendant les parties interminables suisso-serbes pour calmer leurs prostates municipales ? La raison d’agrandir le stade ne serait-il pas encore liée à leurs pipis intempestifs ?

    • Intéressante théorie sur la soit disant nécessaire extension de Roland-Garros sur le Jardin botanique des serres d’Auteuil….
      Après cinq années passées sur le dossier, Philippe, vous m’ouvrez de nouveaux horizons….

  4. Marie F. Laborde dit :

    Algeco, containers, peuvent former de jolis empilements, éphémères… quand ils durent ils peuvent abriter des étudiants, comme au Havre. Je ne crois pas qu’ils s’en plaignent.
    Au fait, comment font les femmes après une bonne bière? Messieurs évitez les arbres (et les murs de la Fondation Vuitton), je m’y adosse pour lire.
    Combien vaut aujourd’hui un abri signé Prouvé? le prix de son m2 dans le 16e?

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