« Repose-toi sur moi »: l’amour est volatile

"Repose-toi sur moi". Photo: PHB/LSDPCa commence comme un sillon déjà mille et mille fois labouré, celui de l’histoire d’amour de ces « deux êtres qui n’auraient jamais dû se rencontrer et pourtant… ». Dans ce registre très exploité, il y a le pire et le meilleur. Rarement la surprise. Et c’est exactement ce que Hervé Joncour réserve à ses lecteurs : une surprise, à tous moments, à tous points de vue, dans la ligne générale et dans les détails.
« Repose-toi sur moi » repose donc aussi sur une trame connue, tissée entre deux personnages que tout oppose : Ludovic a renoncé à sa passion de l’agriculture qui ne le faisait plus vivre – ce résumé trivial vise surtout à ne pas dévoiler aux éventuels futurs lecteurs son parcours ô combien plus subtil – pour venir mal vivre à Paris d’un métier qu’on ne croise plus guère dans les romans depuis Balzac, le recouvrement d’impayés. Très vite face à lui, Aurore, prometteuse styliste de mode qui accessoirise son ultra-parisianisme d’un mari américain jonglant brillamment dans le monde des affaires internationales, et mère de deux enfants évidemment parfaits.

Deuxième épisode de cette trame connue : le déraillement qui autorise la rencontre entre-les-deux-êtres-que-tout-oppose. Et là se posent deux personnages moins fréquents : un couple de corbeaux, ou de corneilles, qui s’installe dans la cour qui sépare l’immeuble de nos deux futurs tourtereaux. Et ce n’est pas juste un cliché que de les nommer ainsi puisque les prédateurs à l’œil et au plumage noirs ont chassé un couple de tourterelles bien moins inquiétantes.

Il y a un regard quasi cinématographique dans ce roman, du « Fenêtre sur cour », plus que des « Oiseaux ». Un homme, une femme, deux corbeaux, et chabadabada, c’est parti ? Oui, mais c’est sans doute le moins intéressant de ce roman d’amour. Sa saveur est ailleurs, dans le regard sans cesse décalé que Serge Joncour nous offre sur tous ces personnages. Chaque fois que l’on croit savoir où l’on va, hop, il nous tire très légèrement le tapis sous le pied, jouant de l’humour, de la déraison, du rêve, du terrien, de la comédie ou encore du suspense, loin de tous les clichés. Il nous ouvre la porte des réflexions intérieures de chacun des personnages avec une justesse et une honnêteté que le politiquement correct ne nous autoriserait peut-être pas même à penser pour nous-mêmes. Il donne une réalité physique aux personnages dont on peut palper la puissance ou la détresse à chaque page comme s’ils étaient avec nous dans la pièce : que ce soit lors des scènes où Ludovic s’invite dans l’intimité des mauvais payeurs ou lorsque Aurore grelotte d’une mauvaise grippe corsée par l’imminence de sa déchéance professionnelle annoncée.

"Repose-toi sur moi". Photo: PHB/LSDPLa difficulté d’une chronique sur un livre plein de surprises tient à ce qu’on ne peut en révéler que les ficelles les plus attendues. « Repose-toi sur moi » est une dentelle finement ouvragée. C’est une belle histoire d’amour qui ne donne pas seulement à lire mais aussi à voir, à palper, à sentir, à rire et à s’interroger. Serge Joncour manie l’art du dérèglement incessant. Et les tourterelles en profitent pour triompher des corbeaux.

Marie J

« Repose-toi sur moi », Serge Joncour. Flammarion. 427 p

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2 réponses à « Repose-toi sur moi »: l’amour est volatile

  1. philippe person dit :

    Vous avez du courage, Marie, de lire – et de bien lire – des « nouveautés ». J’ai l’impression en lisant votre article que vous prendriez plus de plaisir à lire autre chose que des romans « français »… J’allais écrire des « scénarios français » (Vous parlez d’ailleurs de « regard cinématographique »)
    Je n’ai rien contre Serge Joncour, même si rien de ce qu’il a fait ne m’est resté en mémoire, mais je vois en creux dans ce que vous dîtes de son dernier roman le film qui en sortira… Deux ou trois films ont déjà été tirés de ses livres, si j’ai bonne mémoire… Dont « Superstar » de Xavier Giannoli et « Je m’appelle Sarah » de Gilles Paquet-Brenner…
    La question que je me pose : y a-t-il ici un rôle pour Kad Merad ou Vincent Lindon, et face à lui pour Kristyn Scott Thomas ou Catherine Frot ?
    J’ai sans doute tort, mais si votre article me pousse à donner un coup d’oeil sur le bouquin, je crains une nouvelle fois d’être déçu…
    Enfin, ce n’est pas grave… Depuis que je suis né, il y a eu Perec et Modiano, c’est plus qu’énorme… Le reste n’est que littérature…

  2. Marie dit :

    Bon choix Vincent Lindon ! L’actrice serait plutôt à chercher dans la trentaine… Oui, c’est un roman très cinématographique. Mais dans le genre plutôt réussi

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