Une bouffée d’étoile blanche pour le soldat Zadkine

Détail d'une oeuvre de Zadkine à la guerre. Photo: PHB/LSDPComme nombre d’artistes à la guerre, Ossip Zadkine  a restitué ce qu’il a vu. Il en resté quelques dessins et gravures actuellement exposés au musée qui porte son nom, rue d’Assas. L’image ci-contre est un détail d’une de ses œuvres marquées par son séjour au front. Infirmier, il a vu la guerre de près. De trop près même puisque lors d’une mission d’évacuation, dans le secteur de Ludes, il est pris dans un halo « d’étoile blanche », un mélange de phosgène et de chlore à l’odeur trompeuse de foin moisi.

Ossip Zadkine (1888-1967) avait 26 ans lors de la déclaration de guerre. Après une formation spécifique il est incorporé en 1916 au sein d’une section d’infirmiers militaires. Sur sa carte officielle de sauveteur et ambulancier on peut voir la photo d’un beau jeune homme au regard mûr, coiffé d’une casquette et portant un brassard flanqué d’une croix. Il est donc et rapidement une victime collatérale, transporté dans un premier temps à l’hôpital d’Epernay. Couché sur le ventre pendant trois semaines, il ne cesse de vomir sans pouvoir s’alimenter normalement. Il est réaffecté en 1917 au camp de Mourmelon mais son état de santé lui fait entamer une longue série de séjours hospitaliers d’abord à Ivry-sur-Seine, puis à la Villa Molière, cette annexe de l’hôpital du Val de Grâce que devait également fréquenter Guillaume Apollinaire. Après un stade d’observation au centre de réforme de Clignancourt, Zadkine est réformé en octobre 1917.

Le jeune artiste a donc rapporté une trentaine de dessins de cette expérience qu’il s’applique pour certains à transformer en gravures et c’est précisément ce qui nous est donné à voir dans sa charmante maison de la rue d’Assas au milieu de ses remarquables sculptures. Ces instantanés de la guerre, éparpillés en fonction du peu d’espace disponible sont sobres autant que particulièrement sombres. On y voit un univers de blessés, de civières, de locaux précaires, on y discerne le malheur, la souffrance, l’attente, l’ennui. Il en ressort une impression glaçante, funèbre, mélangée de cette humanité particulière qui perce malgré tout au milieu de cette guerre industrielle, à la fois chimique et métallique. Les atteintes au corps et à l’esprit sont la plupart du temps irréversibles sinon durables: chacun de ses dessins en porte l’évidence.

Détail d'un dessin de Zadkine au front. Photo: PHB/LSDP

Détail d’un dessin de Zadkine au front. Photo: PHB/LSDP

L’exposition s’intitule « Destins de guerre ». Le titre est parfaitement éloquent à défaut d’être original. Les tracés charbonneux de l’artiste,  ses cadrages élaborés, ses effets de perspectives, donnent une force singulière à cette productions discrète. Ainsi Zadkine a choisi de privilégier la hauteur pour cette image où l’on voit un amputé descendant un escalier. L’artiste donne ici une profondeur particulière au malheur de l’autre, brisé net dans sa vie. Il ne grimpe pas, il descend. Il n’est plus sur le front mais dans une sorte d’antichambre, une genre de sas certes, mais vers quelle sortie. La paix c’est comme la démocratie, on n’y fait jamais attention quand on en dispose. C’est quand ça manque brutalement que l’on en mesure toute la valeur.

« Destins de guerre » n’est pas l’exposition la plus marquante du moment. Mais Ossip Zadkine n’a pas travaillé pour rien. Ses images nous font comme un rappel de vaccination bien utile à l’heure où l’on écrabouille l’est d’Alep. Charmant musée, foutue actualité.

PHB

« Destins de Guerre » jusqu’au 5 février 2017.
Musée Zadkine, 100 bis rue d’Assas, 75006 Paris

Détail d'un dessin de Zadkine au front

Le musée Zadkine

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2 réponses à Une bouffée d’étoile blanche pour le soldat Zadkine

  1. Claude Debon dit :

    Merci de nous faire connaître ces dessins de guerre. C’est peut-être le moment de rappeler les liens de Zadkine avec Apollinaire, entre autres les dix eaux fortes accompagnant sept calligrammes en 1967 (éditeur Christophe Czwiklitzer) et une sculpture conservée au Musée de Stavelot, qui était un projet de monument.

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