Une « consonne labiale est une consonne que l’on prononce avec les lèvres »

L’orthographe continue de faire des siennes. Il y a eu cette réforme de l’Académie à juste titre conspuée qui voulait notamment nous priver de nos accents circonflexes et pourquoi pas notre âme, ce « prédicat » obscur censé éviter le traumatisme par l’usage des compléments d’objets directs et indirects et enfin les tweets ou dédicaces hasardeux de nos gouvernants qui auraient mieux fait de se relire.
Alors qu’avant, il y avait le certificat d’études. Ce « certif’ » qui jusqu’en 1989 garantissait aux élèves sortis du primaire une certaine culture et surtout une orthographe suffisante pour avancer dans la vie sans rougir.

Le cahier dont on voit ci-dessus une image, remonte à l’année scolaire 1896/1897 à une époque où la France avait perdu l’Alsace et la Lorraine. La carte de la dernière page en apparaît comme singulièrement amputée. Le Président du Conseil s’appelait Jules Méline.  L’élève Anna Leobardy, avait appris au « Sauveur de Limoges », en cheminant à travers moult pleins et déliés,  les mérites de l’instruction, les bienfaits de la tempérance, la façon dont il fallait souhaiter la nouvelle année, la bonne manière de rédiger ses condoléances, les avantages de la délicatesse, les récompenses de la générosité ou, dans un autre genre, à combien pouvait revenir le litre d’un vin de mélange, issu d’un baril de 440 litres à 200 francs combinés à 412 litres vendus cent quatre-vingt trois francs et quarante centimes. A en juger par ses notes elle s’en tirait plutôt pas mal. Son certificat allait lui servir de viatique pour toute son existence de marchande de fruits et légumes. De tout temps, l’honneur de sa plume (et de son nom) serait sauf.

Les «avantages de l’instruction» étaient précisément le titre d’un de ses exercices d’orthographe, pour l’équivalent actuel de 6,4 tweets :
« Les avantages de l’instruction: l’ignorant est comme un aveugle à la merci de tous ceux qui veulent le conduire et l’égarer. Cultivez donc votre intelligence, puisque par là vous accroîtrez votre liberté. Un second avantage de l’instruction, c’est qu’elle vous débarrasse des préjugés et des superstitions, ces deux fléaux de la vie humaine.
L’ignorant accepte avec crédulité tout ce qu’on lui dit, il est la victime d’une multitude d’erreurs qui troublent son existence. Par l’instruction on acquiert la justesse du jugement, le bonheur qui met à l’abri des erreurs pratiques, la prudence en un mot.
Chacun doit désirer s’instruire dans la mesure de ses forces et profiter de toutes les occasions pour apprendre ce qu’il ignore. Ces occasions sont de plus en plus fréquentes dans notre société où partout s’ouvrent des écoles, des cours d’adultes et de bibliothèques publiques. »
A noter que cinq fautes à la dictée étaient éliminatoires, ce texte n’en contenait aucune.

Les « avantages de l’instruction », cahier scolaire de 1876

De même qu’en 1896, un simple couteau avait semble-t-il la même valeur qu’une tablette électronique 141 ans plus tard, au point que la jeune élève en avait fait une rédaction édifiante:

« Ma chère amie: Depuis longtemps ma marraine s’intéresse beaucoup à mon instruction. La semaine dernière je lui envoyai mon bulletin de classe. Fort satisfaite de mes notes elle a voulu me récompenser ; elle vient de me donner un superbe canif, un vrai petit bijou. Il a un manche tout blanc ciselé et terminé par deux plaques jaunes. Les ressorts ont l’air très solide et les lames au nombre de quatre, me paraissent excellentes. Il me rendra de grands services. Sans recourir à l’obligeance de mes voisines, je pourrai maintenant tailler mon crayon ou réparer divers instruments. En outre, ce canif me rappellera ma marraine et sa bienveillante sollicitude pour sa filleule ; il m’excitera à travailler davantage afin de mériter toujours son amitié et ses faveurs.
Reçois ma chère amie, l’expression de ma sincère amitié. »

Anna Léobardy savait à son âge qu’une « consonne labiale est une consonne que l’on prononce avec les lèvres », qu’une « graine oléagineuse est une graine qui produit de l’huile », que « des paroles comminatoires contiennent des menaces », que « l’histoire profane est une histoire qui s’oppose à la religion ». L’année de ses douze ans.

PHB

Une autre histoire d’Anna Leobardy sur Les Soirées de Paris

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2 réponses à Une « consonne labiale est une consonne que l’on prononce avec les lèvres »

  1. jmc dit :

    « Par l’instruction on acquiert la justesse du jugement ». Peut-être est-ce là le ressort de la suite de l’histoire, celle de la fille d’Anna, qui laissa parler le bon fond de sa personne un jour de l’Occupation?
    Merci pour ce nouveau petit morceau de puzzle de la vie d’Anna.

  2. Très instructif!!!!!!!!!!!!!!!! Mais d’où viennent ces documents?

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