Foi de Martin Scorsese

C’est l’effet de réputation qui veut ça. Quand on va voir « un » film de Martin Scorsese, toute une série de références enviables nous revient en mémoire. La confiance et l’envie sont là. Une force se dégage de sa filmographie. Scorsese se distingue de beaucoup de ses pairs. Il sait prendre des risques. Avec « Silence » cependant, il lui a manqué quelque chose. Son dernier opus est puissant mais ce n’est pas une réussite. La faute vient du casting, de la longueur, du langage.

« Silence » est une adaptation d’un livre de l’auteur japonais Shūsaku Endō, chrétien au pays des bouddhistes. Il raconte l’équipée de deux jeunes jésuites portugais partis au milieu du 17e siècle à la recherche d’un prêtre exilé au Japon en mission de christianisation. Ils s’y trouvent confrontés aux pires persécutions dont sont victimes les chrétiens qui refusent d’abjurer leur foi. Le titre fait référence au « silence » de Dieu lorsqu’un homme de foi doute dans la souffrance et qu’il attend du ciel un signe régénérateur. Une telle idée portée par Martin Scorsese, voilà qui ne pouvait que guider nos pas vers les salles obscures.

Tout le talent du réalisateur est bien là quand il nous porte du continent européen jusqu’aux montagnes abruptes du Japon d’alors. Il y a la mer, des paysages de brumes et ces écrans de  fumées issues de sources d’eau chaude en guise de beau préambule. Nous nous tenons prêts pour une grave et belle histoire.

Jusqu’à ce que les acteurs se mettent à parler. L’usage de l’anglais est catastrophique. Cette langue est sûrement nécessaire afin de commercialiser le mieux possible un film dans l’univers anglo-saxon, mais ces religieux portugais qui s’expriment dans la langue de Wall Street et de ses loups, c’est vraiment too much. Le pire étant que les indigènes japonais, du paysan à l’inquisiteur qui mène les persécutions, s’expriment également dans un anglais précaire. Alors qu’en 2017, nombre de Japonais ne peuvent prononcer un mot dans la langue de Skakespeare, il devient risible dans le film de décompter autant d’apprentis plus de trois siècles auparavant. Ce décalage décourage nos bonnes dispositions.

S’ajoutent aussi les effets malheureux du casting. Les deux acteurs interprétant les jeunes jésuites (Andrew Garfield et Adam Driver) auraient été parfaits dans un film comme « Blow » aux côtés de Johnny Depp et Penelope Cruz dans une ambiance ensoleillée mêlant aventures, musique et drogues, mais dans « Silence », leur charisme de surfers passe mal. Deux acteurs lusophones eussent mieux convenu, même inconnus, mais là encore le financement n’aurait peut-être pas suivi. Moins présent, Liam Neeson n’est pas davantage à sa place du moins lorsque l’on a en mémoire sa carrière où l’action prédomine revolver au poing. La star interprète le personnage du « Padre Cristóvão Ferreira » qui a choisi l’apostasie afin de s’intégrer dans la société japonaise. Il y est aussi crédible que si le rôle avait été proposé à Woody Allen en mode Droopy.

Le projet était à la mesure de Martin Scorsese. Mais il en a fait un film dont la longueur (près de trois heures) ne fait qu’amplifier les défauts intrinsèques de la réalisation. De nos jours une bonne messe ne dépasse pas une heure car l’église sait ménager les nerfs de ses ouailles. Malgré de belles images, en dépit d’une idée prometteuse, Scorsese s’est un peu enlisé. Rien de grave, on attendra le suivant avec la foi intacte.

 

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2 réponses à Foi de Martin Scorsese

  1. philippe person dit :

    Bravo Philippe de braver un grand interdit : remettre MS à sa place…
    Celle d’un grand faiseur dans la lignée de John Huston, dans le cousinage d’Eastwood et des frères Coen…
    Cinéma de l’effet, culture du « fuck » et du sujet facile. MS est avant tout un raconteur d’histoires. Sans fond, sans métaphysique même si le bon Dieu suinte dans chaque plan… Aucun lyrisme, de la trivialité, de la violence gratuite… et par ci par là, une grosse ambiguïté sur les Noirs ou les Juifs… Revoir pour ça sa « Dernière Tentation » bien plus sujette à critique que le film de Mel Gibson sur l’antisémitisme…
    Revoir Casino pour comprendre ce qu’est un sous-texte raciste…
    Enfin, c’est peut-être lui faire trop d’honneur en pensant qu’il pense… C’est avant-tout un cinéaste pour petits garçons (c’est pour cela qu’il plait tant du côté des Cahiers et autres).

    N’est pas Coppola qui veut…

  2. Alors non Philippe,
    je ne partage ni votre mépris de Scorsese, ni celui de John Huston, ni celui de Clint Eastwood, ni celui des frères Coen, qui tous, à leur façon, ont marqué l’histoire du cinéma américain.
    Ni votre réhabilitation du « born again » Mel Gibson, un vrai raciste celui-là, ni votre mépris des « Cahiers du cinéma ».
    Un cinéaste ayant tourné des films aussi différents que « Taxi driver » et « Casino », en passant par « Raging Bull » ou  » The Age of Innocence » ( pour moi la plus belle adaptation cinématographique d’un chef d’œuvre littéraire, et Dieu sait si l’exercice est difficile) est un maitre.
    Certes il est un peu obsédé par la religion, vu qu’il a failli être prêtre dans sa jeunesse, mais cela n’enlève rien à son grand talent, et il tient largement son rang auprès de Coppola.
    On peut avoir des opinions différentes, mais pourquoi un tel mépris quand vous n’appréciez pas tel ou tel?

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