Madame Bovary à la sauce piquante de Feng Xiaogang

Li Xuelian est prête à coucher, prête à tuer et même les deux, si quelqu’un veut bien se charger de l’opération. Elle a été flouée une fois par son mari, une seconde fois par un tribunal, et n’entend pas se laisser marcher sur les pieds. Dans « I am not Madame Bovary », la petite paysanne va faire preuve d’une telle opiniâtreté qu’elle va faire trembler le pouvoir jusqu’à Pékin. Quoiqu’un peu long, le film de Feng Xiaogang en salles depuis le 5 juillet, fait montre d’une originalité inédite.

Tout se détraque le jour ou Li Xuelan et son mari trichent. Afin d’obtenir un nouvel appartementle réalisateur se garde bien d’en révéler la vraie raison avant la fin, le couple divorce avec l’idée de se remarier juste après. Mais rien ne se passe comme prévu et notamment parce que le mari emménage avec une autre. Bafouée, l’ex-épouse va droit au tribunal avec l’idée de faire reconnaître comme faux le « vrai » divorce. Mais elle « donne » moins semble-t-il au juge qui « reçoit » plus du mari. Le jugement corrompu se fait donc au détriment de la plaignante.

C’est ainsi que Li Xuelan se rebiffe. Pendant dix ans elle s’entête au point de remonter chaque échelon hiérarchique jusqu’aux dignitaires de la capitale chinoise. Elle devient le sparadrap gênant qui colle aux doigts de toute la chaîne de fonctionnaires ainsi contaminée.  Le bon coup de Feng Xiaogang est de démontrer par une toute petite histoire la faiblesse de l’administration chinoise, la servilité des uns et des autres, du petit juge local aux sommets de la hiérarchie en passant par le chef de la police ou encore le préfet de la province. Les voilà tous stupéfaits de constater à quel point une petite femme de rien du tout se retrouve à même de polluer leurs méninges. Incapables de l’arrêter dans ses dépôts de plainte, ils enragent contre leur propre impuissance. Leurs ruses idiotes ne font que renforcer la détermination de Li Xuelan. Tout une série de chefs se fâche, certains sous-chefs sont licenciés tandis que les survivants qui pataugent dans leurs atermoiements, proposent comme les brèles qu’ils ont accepté de devenir, leur autocritique. Feng Xiaogang souligne l’absurdité historique d’un système de droit qui tente actuellement de se réformer.

L’une des originalités de ce film qui évite ces scripts ficelés sur-mesure pour le grand public est qu’il est projeté comme à travers une longue vue. La plupart du temps, à part quelques séquences verticales, c’est un rond que l’on voit sur l’écran de la salle. Tout le savoir-faire du cadrage en rectangle s’en trouve perturbé. Il est difficile de décentrer une scène mais le système accroît sans doute la concentration dans ce focus permanent. Il en résulte aussi de très jolies vues de la Chine avec des effets artistiques plus que convaincants. Il fallait oser.

« Je ne suis pas Madame Bovary » dans la définition originelle du livre à l’origine du film, est « Je ne suis pas une garce » ou encore une « Pan Jinlian », soit une insulte tout à fait difficile à porter pour une femme. Ce quolibet qu’elle endure jusque dans sa chair est la première erreur de toute une série d’individus qui ne comprendront que trop tard que plus on repousse Li Xuelan, plus sa détermination se renforce. Et qu’une minuscule aiguille peut fissurer à elle seule une grosse digue. Comme le philosophe à voix haute un des hiérarques concernés, lequel ne trouve pas de meilleurs secours qu’en puisant dans les dictons ancestraux. Si le film est un peu long et il faut lui pardonner, ce n’est pas sans raison. Il est une ode à l’entêtement d’un fol vermisseau et une pierre tranchante dans le jardin étriqué des fonctionnaires poltrons.

PHB

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Une réponse à Madame Bovary à la sauce piquante de Feng Xiaogang

  1. esquirou dit :

    joli film ! merci Philippe !

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