A Bruxelles, chez Erasme pour un euro et vingt-cinq centimes

Le touriste qui veut découvrir Bruxelles se dirigera d’abord, obligatoirement, vers la Grand Place, admirée par Victor Hugo qui y séjourna en 1852. Le grand poète habitait la Maison du Pigeon, à deux pas de l’Hôtel de ville qu’il qualifiait d’ «éblouissante fantaisie de poète tombée de la tête d’un architecte». Après une visite soit au musée d’art ancien soit au musée Magritte, dernier «must» du parcours muséal bruxellois, il se sentira ensuite obligé de découvrir le Manneken-Pis et sera sans doute surpris par la petite dimension de l’emblématique statue (55 cm). Il terminera vraisemblablement sa visite en buvant à une terrasse une bière locale, une Gueuze Lambic ou une Trappiste de Chimay.

Il est fort peu probable qu’on lui ait conseillé de se rendre dans un quartier périphérique, à Anderlecht, l’une des 19 communes de Bruxelles capitale (équivalent aux arrondissements de Paris). D’ailleurs les guides touristiques se montrent fort discrets sur la Maison d’Érasme (photo ci-dessus) que l’on peut visiter toute l’année au n° 31 de la rue du Chapitre, non loin d’un béguinage qui serait à la fois le plus petit et le plus ancien du pays (1252).
Quartier populaire et coloré, Anderlecht est plutôt connu pour son équipe de football que pour cette maison typique où Erasme vécut six mois en 1521.

Âgé alors d’une cinquantaine d’année, celui qu’on surnomma «le prince des humanistes» ou «Érasme de Rotterdam» (1467-1536) se rendit à Anderlecht pour y retrouver son ami le chanoine Pieter Wijchman, propriétaire de la demeure que l’on visite encore aujourd’hui. Cette superbe maison de briques rouges est un havre de paix et de sérénité au milieu des bruits de la ville. Si elle est devenue un musée, elle semble pourtant habitée aujourd’hui encore : la richesse des meubles, tableaux, objets, livres réunis à l’intérieur lui donne incontestablement une vie que peu d’endroits historiques possèdent à ce point. Ajoutez-y le charme si caractéristique des intérieurs flamands, le raffinement sobre des peintures accrochées aux murs (ateliers de Holbein, Metsys, Bosch, Van Der Weyden) et cette douce lumière qui «répand largement ses beaux reflets de cierge» sur les meubles de bois ciré et les sièges en cuir de Cordoue. Le temps s’est arrêté.

L’intérieur de la maison d’Érasme

Un tel décor ne peut que vous rendre meilleur et comme vous faites déjà partie de la famille, on vous remettra à l’accueil une clé pour accéder au jardin. Cette clé vous permettra d’autres découvertes. D’abord, le jardin des plantes médicinales conçu par le paysagiste René Pechère en 1987. Y sont réunies une centaine de plantes connues des médecins du temps d’Érasme, cultivées dans seize petits parterres disposés géométriquement près d’une fontaine. A côté de chaque plante est indiqué son usage réel ou présumé, représenté, non sans humour, par une figurine humaine avec description de l’organe cible.

S’il est appelé «philosophique», le deuxième jardin mériterait plutôt le qualificatif de romantique. Comme quelques rares endroits privilégiés dissimulés secrètement au cœur de grandes métropoles, celui-ci invite à la méditation, voire au recueillement. De petits plans d’eau en forme de feuille servent d’écrin à quelques formules d’Érasme qui, d’une certaine façon, annonçaient les tweets : Festina lente («Hâte toi lentement»), Ubi bene, Ibi patria («la patrie est là où l’on se sent bien»), ou encore  Ubi amici ibi opes («Là où sont les amis, là est la richesse»). De quoi alimenter la pensée de ceux qui, l’après-midi, s’offrent une heure ou deux de détente sur l’un des bancs du jardin.
Pour un tel lieu, parler du prix d’entrée peut sembler incongru. Il vous en coûtera la somme totale de… 1,25 euro. L’exemple même de ce que les Belges appellent un «prix démocratique».

Il est probable qu’Érasme lui-même aurait approuvé et encouragé cette façon de mettre ainsi un endroit exceptionnel à la portée de tous.

Gérard Goutierre

Maison d’Érasme, 31 rue du Chapitre, Bruxelles. Tous les jours sauf le lundi de 10 h à 18h

 

Le jardin de la maison d’Érasme. Photo: Gérard Goutierre

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3 réponses à A Bruxelles, chez Erasme pour un euro et vingt-cinq centimes

  1. Isabelle Fauvel dit :

    Merci, Gérard, pour ce magnifique article.
    Une belle occasion pour retourner à Bruxelles et méditer les sages paroles d’Erasme…

  2. Marie-Alice dit :

    Merci pour cette belle description. On a vraiment envie d’y aller, non pas pour le coût mais pour la maison elle-même et c’est si près de Paris…

  3. Oui, merci. Cela donne envie de prendre le Thalys, vit. Mais dans votre tournée des incontournables de Bruxelles, j’ajouterais l’époustouflante Villa Art Nouveau de Horta.

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