« L’inconnu me dévore » : un Grall à portée de la main

Xavier Grall, nom inconnu pour moi mais qui sonnait comme une promesse. Découvert à la maison de la poésie il y a quelques jours, grâce à une lecture de Jacques Gamblin et une présentation de Pierre Adrian, il me reste une impérieuse nécessité d’en parler, car Grall est de ces poètes qu’on se refile d’une bibliothèque à une autre, de la bouche à l’oreille. La belle réédition de son texte : « L’inconnu me dévore », par les éditions des Équateurs, est l’occasion de sortir ce poète breton d’un oubli peu mérité.

Il adresse une lettre poétique à ses cinq filles, qu’il nomme ses « divines ». La « folle missive » avait été publiée une première fois aux éditions Calligrammes, en 1984, puis plus rien (à l’exception de l’édition par Terre de Brume dans les années 2010). Dans un mouvement de gratitude traversé de douleurs, il y évoque sa naissance en 1930 dans une austère famille catholique, son arrachement à une éducation janséniste et son goût pour J. Kerouac et Rimbaud. Poète, il a longtemps travaillé pour La Vie ou Le Monde comme journaliste. Il quitte Sarcelles en 1973 avec toute sa famille et retrouve sa Bretagne natale dans la ferme de Bossulan où il écrit et reçoit amis et visiteurs de passage. Atteint d’une maladie pulmonaire, comme son frère avant lui, il meurt en 1981. La mort du frère, comme la sienne annoncée, donne au livre certaines de ses plus belles pages dans texte intitulé « Le requiem pour un frère prophétique ».

Poète breton, Grall fait descendre ses racines dans cette « géographie de houx, de chemins creux et de brandes » pour y trouver un chant sauvage. Poète chrétien, il cloue au pilori «les constipés de la morale», les « sacristains » en tout genre pour célébrer les «bénisseurs» et autres « vogueurs d’infini ». À ses filles il assigne la haute mer. Ainsi dit-il « Ma vie fut toujours un invisible départ vers autre chose, vers Quelqu’un. Et ce fut parfois amer, et déchirant ». Mais si ce combat contre une église janséniste peut sembler un peu convenu et souvent vu, on perçoit en revanche toute l’énergie et la jeunesse d’une poésie qui veut « tisonner le feu intérieur ». On pense à Rimbaud, pourfendeur du bourgeois bien assis, à Bernanos et à la violence de ses héros terriens, le chant en plus. Car la verve critique de Grall n’a d’égale que son franc lyrisme. Il le porte si haut, si fort que parfois on pourrait y tomber, dans le trop de lyrisme justement ; on marche sur la brèche en somme.

Ce soir, à la maison de la poésie, la belle voix de Jacques Gamblin, sa diction coupée, emportent notre adhésion. L’acteur nous laisse entendre le souffle heurté et douloureux d’un poitrinaire mystique. Pierre Adrian, jeune auteur lui aussi sur les routes, résume à merveille la contradiction Grall : celle d’un grand voyage qui est toujours celui du retour chez soi, vers un lointain intérieur. Après la lecture, on sent comme un halo de chaleur autour des livres de Grall disposés là. Les amateurs de poésie parlent et finissent par glisser qu’ils ont bien connu l’auteur, sa maison, et parfois même bu un verre avec lui dans un troquet. Je ris de tous ces gralliens cachés et réunis là. Comme disait le poète : « Depuis que je me connais, le monde m’apparaît comme un phénomène réellement extraordinaire, et chaque être, qu’il soit englué dans sa nuit ou inséré dans son bonheur, comme investi d’une importance primordiale et pour ainsi dire fabuleuse. » Je sors dans le passage discrètement pavé pour quitter la maison et rejoindre la rue assourdissante, me sentant étonnamment vivante.

Tiphaine Pocquet du Haut-Jussé

Xavier Grall « L’inconnu me dévore » Équateurs Littérature, 142 pages, 13 euros

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2 réponses à « L’inconnu me dévore » : un Grall à portée de la main

  1. Philippe Person dit :

    Je me souviens de Xavier Grall à Apostrophes ! Avec ses faux airs d’Antonin Artaud, matiné de Laurent Terzieff et de Sacha Pitoeff… Il était venu porter la contradiction à Pierre-Jakez Hélias, auteur du très consensuel « Cheval d’Orgueil »… Lui, il avait écrit le « Cheval couché » en réponse… Un brûlot breton contre le folklore d’Hélias qu’il trouvait trop « instituteur français »…
    C’était un écorché vif. Grand rimbaldien (son « Rimbaud ou la marche du soleil » était un beau livre). Très nationaliste breton bien sûr avec un catholicisme farouche et exalté et quelque chose du marquis de Pontcallec (joué merveilleusement par JP Marielle dans « Que la fête commence » et chanté par Gilles Servat…
    Ah ! Tiphaine ! Vous avez rêvé le « grallien » qui dort en moi ! Merci !
    et que tous le lisent ! Un vrai hérétique, ce grand catholique !

  2. Tiphaine Pocquet dit :

    Merci Philippe ! contente de partager avec vous cette amitié pour l’écorché vif !

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