Canal plus sous les Pharaons

La plupart des expositions ont ceci de gratifiant et d’agaçant qu’elles nous confrontent à notre inculture qui sommeille en ronflant ses lacunes. Celle présentée à l’Institut du monde arabe sur l’épopée du Canal de Suez en fait hélas partie. Qui savait que la statue de liberté dans son esprit devait à l’origine consacrer le gigantesque chantier? Pas l’auteur de ces lignes avouons-le. Lorsque Ismaël Pacha veut faire en 1869 de l’ouverture du canal un événement universel, le sculpteur Bartoldi imagine une statue colossale plantée au débouché de la voie navigable, dont le projet nous est donné à voir sous forme de statuette. Faute d’argent le projet sera abandonné cependant que l’air de famille avec celle de New York est évident.

Les instruits ne s’étonneront pas de constater que la chronologie scénographique débute près de 2000 ans avant Jésus-Christ. Car Sésostris III (1878-1762 av JC) avait déjà entrepris de relier la mer Rouge au Nil, précisément à Zagazic. Il sera restauré bien plus tard par Ptolémée II (250 av JC) avant d’être maintes fois modifié ou détruit. Le calife Al-Mansur le démantèle au VIIIe siècle pour des considérations géo-stragégiques. Il faudra attendre les Français, Napoléon III et Ferdinand de Lesseps entre autres, pour que la voie soit de nouveau et spectaculairement ouverte sous les bons auspices de l’impératrice Eugénie dépêchée sur place (en robe spéciale) pour l’occasion.

Les Français ont toujours aimé lancer ce genre de chantier, pas toujours avec succès comme on l’a vu pour Panama mais on se souviendra de l’émotion qui étreindra les ingénieurs se serrant la main pour la première fois sous la Manche après un dernier coup de pioche. Cette expo fourmille de détails intéressants, y compris techniques. Les ingénieurs avaient par exemple imaginé tout un jeu d’écluses avant de se rendre compte que la Méditerranée et la mer Rouge étaient finalement au même niveau. Ce qui fait qu’un peintre, François Pierre Bernard Barry a pu immortaliser le 18 novembre 1862, l’eau de la Méditerranée arrivant dans le lac Timsah sur le chantier numéro 6 (détail ci-contre). Mais il existe aussi d’émouvants clichés car la technique photographique, quoique lourde et lente, était déjà sortie de sa phase expérimentale.

L’épopée du canal de Suez n’est pas qu’un roman hydrographique tant son tracé aura fait couler de sang à travers les multiples conflits qu’elle aura générés. Les férus d’histoire auront leur dose sur près de quatre millénaires tandis que les amateurs d’inauguration fastueuse pourront jouir d’un film épique avec, sauf erreur, la voix off et quasi-incontournable de Frédéric Mitterrand. On s’y laisse prendre. Et l’histoire n’a pas fini de continuer puisque c’est en 2015 que l’Égypte a procédé à grands frais au doublement des 193 kilomètres du canal avec une cagnotte espérée de 13 milliards de dollars  en 2023. Une manne pour ce pays privé de ressource pétrolière.

Le percement d’un isthme sur le sol égyptien n’a fait qu’épouser l’ancestral besoin des hommes de se déplacer sans entraves et si possible sans demander la permission, que ce soit pour affaires ou en simple touriste. Mais cette volonté  hélas, est sans cesse remise en question. On se souviendra que dans les années soixante-dix il était possible d’envisager en auto-stop le trajet allant de la Porte d’Orléans à Katmandou avec la certitude de bien s’amuser en route. Voilà au hasard une jonction que nos pharaons de 2018 seraient bien avisés de rétablir.

PHB

« L’épopée du Canal de Suez, des Pharaons au XXIe siècle » à l’Institut du monde arabe. Jusqu’au 5 août 2018

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Une réponse à Canal plus sous les Pharaons

  1. Bex Malvine dit :

    Etre confrontés à son inculture…. un mépris déplacé quand on sait que les sociétés humaines ne font que survivre en perdant leurs vies en la » gagnant ». Ils ne sont que quelques uns à le savoir.

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