Plaques de résistance

Comme bien souvent le bouquet a fané.  Il est aussi trop haut pour être chapardé. Enveloppé d’un film plastique, il figure en-dessous d’une de ces nombreuses plaques que compte Paris dans ses rues en hommage à des figures de la résistance. Dès 1940, dans cet immeuble encore tout neuf de l’avenue Debidour, une certaine France Bloch-Serazin avait installé un laboratoire clandestin où elle préparait des explosifs. Arrêtée en 1942, elle a fini décapitée en Allemagne car la France n’autorisait pas la mise à mort des femmes. Juive et communiste, elle est décédée prématurément, tout comme son mari et sa grand-mère.

Quand on commence à lire les plaques commémoratives, lorsque l’on passe de l’une à l’autre au hasard des rues du 19e arrondissement, c’est toute une géographie de la résistance qui peu à peu se matérialise en images. Celle des gens qui avaient choisi de résister à l’occupant, à la torture, à la déportation. Chaque année, il y a toujours des mains pour apposer un bouquet sur la paroi des murs, afin de raviver les mémoires dans un siècle qui a tendance à tout oublier.

Au 36 rue de la rue de Crimée, il subsiste un bâtiment emblématique, il y a peu salle de sport et aujourd’hui inoccupé, dont la plaque mentionne que « pendant les combats de la Libération de Paris, du 19 au 25 août 1944 » était ici « le poste de commandement du sous-secteur F.F.I nord II de Paris 3e 4e 10e arrondissements ». Sans ce rappel, il ne serait qu’un joli petit immeuble art-déco. La mémoire de ces femmes et de ces hommes nous oblige. Des efforts parfois remarquables sont faits pour l’entretenir.

Ainsi, du côté de la Place des Fêtes où nombre d’immeubles de l’époque ont disparu, une autre plaque vient nous rappeler le rôle d’Angèle Mercier, communiste elle aussi mais chrétienne et qui partageait sa vie avec un machiniste employé aux studios cinématographiques des Buttes-Chaumont. Dès 1941, elle est agent de liaison pour l’organisation spéciale du parti communiste. Elle est arrêtée l’année suivante, torturée, emprisonnée à Fresnes. Elle va transiter avec d’autres femmes par le fort de Romainville. Dans le train qui la conduit à Compiègne, elle jette une dernière lettre par la fenêtre, adressée à la mère de son compagnon. La missive sera récupérée par des cheminots qui la feront venir à bon port. Angèle Mercier rejoindra dans un wagon à bestiaux le camp de Birkenau où, avec d’autres femmes, elle fera son entrée en chantant la Marseillaise. Elle y succombera d’épuisement au printemps 1943 lors d’un rassemblement. Une certaine Charlotte Delbo faisait partie de ce convoi et en reviendra avant d’en tirer trois livres poignants (1).

L’association « La ville des gens » a complété il y a deux ans les informations de la plaque commémorative par un petit montage vidéo (2) bien fait mais dont il est triste de constater qu’il a été visionné moins de 100 fois (au 6 juillet 2018). Au générique des patronymes cités par la voix off  figurent des noms mieux connus comme Rol Tanguy,  le Colonel Fabien, Danielle Casanova, Simone Sampaix ou Marie-Claude Vaillant-Couturier.

Au sein d’une Europe qui semaine après semaine voit ses valeurs fondatrices se dégrader, les autoritarismes monter de façon inquiétante, ces carrés de pierre accrochés aux murs de Paris nous invitent à la vigilance.

PHB

(1) Les trois tomes de Charlotte Delbo dans Les Soirées de paris
(2) La vidéo sur Angèle Mercier (5mn)

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2 réponses à Plaques de résistance

  1. MASURE Hélène dit :

    Merci pour ce document. Honorer une résistante de cette trempe c’est une belle chose, c’est rendre hommage au courage, à la force d’âme, à l’amour de la patrie et de l’humain en ce monde. c’est un encouragement à résister nous aussi à « la bête immonde » quels que soient ses masques.

  2. Violaine dit :

    Bel article. J’en profite pour rappeler que le documentaire de Claude Lanzmann, Shoah, qui consacre une belle partie à la résistance dans les camps, est visible en ce moment et pour deux semaines encore sur arte.com.

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