L’affaire Oustric dans les mains de Toussaint-Luca

… car l’auteur du livre sur la faillite frauduleuse de la banque Oustric en 1930 -et peut-être le premier auteur puisque l’ouvrage paraît en 1931- l’a dédié à Toussaint-Luca, ami d’enfance de Guillaume Apollinaire. Ange Toussaint-Luca l’a donc probablement lu, au moins feuilleté et c’est pourquoi le scandale Oustric est passé entre ses mains, lui qui s’intéressait davantage à la poésie afin d’aérer une carrière d’avoué et de fonctionnaire. Et ce livre bon marché, émanant de la collection « Les documents secrets », un peu sali par le temps, valait bien quelques paragraphes.

L’affaire Oustric en est le sujet et c’est un certain Maurice Privat qui la raconte. En liminaire, il nous révèle que le patronyme Oustric a une ascendance wisigothe ce qui lui confère une certaine perspective et presque un certain standing. Maurice Privat suppose qu’il y a eu des Wisigoths dans la région de Narbonne dont est originaire Albert Oustric. Il ouvre d’ailleurs l’histoire en se penchant sur la Gaule narbonnaise et en profite pour nous apprendre que d’autres noms locaux se partagent une généalogie barbare comme Amalric, nom de famille actuel d’un acteur bien connu. Et que le prénom Amaury s’abreuve à la même source ancienne. Le livre décrit assez bien la cupidité d’une époque et comment nombre de spéculateurs finirent ruinés par un homme qui aurait dû rester un bon joueur de poker et vendre ses actions tant qu’il était riche. Dans ce domaine l’histoire ne cesse de bégayer.

Maurice Privat (1889-1849) quant à lui est un oublié. Il méritait néanmoins un paragraphe puisqu’il fut un précurseur du journal parlé. Il avait fondé l’Association des amis de la Tour (Eiffel) et c’est à ce titre qu’elle devint le premier locataire du poste émetteur que l’on avait juché au faîte du monument. En 1925, ce féru d’astrologie, lance donc et sauf erreur le premier journal parlé au monde. Il est l’auteur de différents ouvrages dont un sur l’affaire Seznec dont il professait l’innocence. Son enquête sur l’affaire Oustric témoigne d’un certain talent à raconter et à expliquer au mieux une affaire de bonneteau financier bien confuse pour les non-initiés.

Mais le plus piquant pour Les Soirées de Paris, c’est bien la dédicace à Ange Toussaint-Luca (1879-1932). Né en Corse, Toussaint-Luca a connu Apollinaire au lycée Masséna de Nice. Il a occupé différents postes dans la haute administration et notamment à la Cour des comptes à partir de 1923. Poste auquel il ne devait pas être très assidu. Dans son éloge au défunt en 1932, le procureur général Bloch évoque « l’intermittence » de sa collaboration au bénéfices des comptes publics, une litote compensée par le premier président de la cour qui lui aussi utilisa le mot intermittence mais au profit des « publications périodiques » dans lesquelles Toussaint s’impliquait. La Cour des comptes était (et reste) bonne mère. Et le nom de Toussaint-Luca figure toujours, en bonne et due place, dans le bottin général des anciens.

Lorsqu’ils étaient lycéens, Toussaint-Luca (ci-contre) et Apollinaire, ont partagé leur goût pour la poésie jusqu’à en écrire. Le premier signait Jehan Loques, le second Guillaume Macabre. Toussaint-Luca sera l’un des premiers collaborateurs du Festin d’Ésope, une revue fondée par Apollinaire et André Salmon. Toussaint-Luca sera toujours d’une fidélité remarquable à l’égard de son ex-copain de lycée. C’est lui qui l’assistera lors d’une rocambolesque affaire de statuettes volées au Louvre sur fond d’évaporation de la Joconde et qui vaudra à Apollinaire une semaine de prison à la Santé. En compagnie d’Albert, le frère de Guillaume, Toussaint rendra visite à l’infortuné qui écrivit: « Que je m’ennuie en ces murs tout nus/Et peints de couleurs pâles/Une mouche sur le papier à pas menus/Parcourt mes lignes inégales ». Ce poème figure dans le recueil « Alcools » qui contient par ailleurs un autre texte adressé à Toussaint-Luca sous le titre  « Rhénane d’automne ». Et dire qu’à l’origine de cette chronique il y a un Wisigoth.

PHB

La photo de Toussaint-Lucas est celle parue dans son livre de souvenirs sur Guillaume Apollinaire aux éditions du rocher
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3 réponses à L’affaire Oustric dans les mains de Toussaint-Luca

  1. alain a dit :

    Monsieur,
    Je découvre votre blogue /revue, par un article sur l’exposition Kupka, je ne vous avais pas repéré plus tôt, pourtant je suis un grand admirateur d’Apollinaire , et votre volonté de continuer ainsi une revue dans la droite ligne du poète est tout à fait remarquable. J’entretiens un petit site avec quelques études littéraires notamment une page dédiée à Apollinaire ( derives.free.fr/apollinaire.html) avec des liens web que j’ai trouvé de référence et des renvois à des textes complets. J’y ajoute bien sûr votre revue et ses justes articles.
    Cordialement anton alain

  2. Victor MARTIN-SCHMETS dit :

    On trouve dans les « Lettres reçues par Guillaume Apollinaire », dont Gérard Goutierre a rendu compte ici même 132 lettres de Toussaint Luca à Apollinaire alors qu’on ne compte que 35 lettres d’Apollinaire à Luca (Guillaume Apollinaire, « Correspondance générale »).
    Quant à Maurice Privat, il revit un peu dans les « Oeuvres complètes » de Céline Arnauld et Paul Dermée (Paris, Classiques Garnier), spécialement dans les tomes 4-6 consacrés aux textes de Paul Dermée sur la radio.

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