Du côté de chez Jean

Magnifique hommage rendu il y a une semaine Salle Gaveau à Jean d’Ormesson, un an après sa disparition. Organisée par Le Figaro, cette soirée reposait sur les témoignages alternés de Jean-Marie Rouart, académicien, et d’Étienne de Montety, directeur du Figaro Littéraire. Maxime d’Aboville, comédien, lisait quant à lui des textes tirés des œuvres de Jean d’Ormesson.  Alors, petit retour sur image…  Jean-Marie Rouart rappelle que Jean d’Ormesson et lui ont traversé tous les deux plus d’un demi-siècle. Ils ont comme amorcé une conversation qui ne s’est interrompue qu’avec la disparition de Jean. Ce dernier lui avait dit il y a quatre ans, alors qu’il passait tout près de la mort, « Ne pars pas avant moi ». Finalement, il a été exaucé… 

Jean-Marie Rouart vouvoyait Jean d’Ormesson, et lui le tutoyait, mais leur complicité était indéfectible. Il y avait en eux un peu de Montaigne et de La Boétie. A 18 ans, Jean-Marie Rouart accumule les échecs : il rate son baccalauréat, écrit un roman refusé par 13 éditeurs, alors que Jean d’Ormesson, qu’il rencontre presque par hasard, incarne déjà pleinement la figure de l’écrivain. Qui plus est, il a un charme fou et se plaît à traverser Paris au volant d’un coupé Mercedes. Deux univers, mais qui vont bientôt se rapprocher. 

En 1956, Jean d’Ormesson travaille à l’Unesco, au Conseil international de la philosophie et des sciences humaines. À cette époque, il a déjà découvert Cervantès, Goethe, Les Mille et Une Nuits… Il participe à de nombreux colloques. Il écrit « Les vaines amours », un recueil de nouvelles, qu’il envoie à René Julliard, l’éditeur à la mode qui a publié « Bonjour tristesse ». René Julliard refuse son manuscrit, au motif que les nouvelles ne se vendent pas assez, mais lui propose d’écrire un roman. Deux ans après, Jean d’Ormesson publie « L’amour est un plaisir », très beau texte dans lequel deux jeunes gens se découvrent. « Cette attente du bonheur, dit Bénédicte, qui est le bonheur lui-même »… Nous sommes en plein cœur de l’été, dans le sud de la France, « entre le bruit de la mer et le chant des cigales ». Tout l’univers de Jean d’Ormesson est déjà là… 

Quelques temps après, Jean d’Ormesson publie son deuxième roman, « Un amour pour rien ». Mais il rencontre un faible succès. Alors, il décide de changer de style littéraire. Il renonce aux petits romans, qui devaient faire de lui le petit frère de Françoise Sagan, et se lance dans l’écriture de livres plus personnels, avec ce « mentir vrai » cher à Aragon. « Au revoir et merci » va le faire rentrer dans la cour des grands avec, déjà, cette désinvolture et cette autodérision qui le caractériseront tant : « J’avais peu lu, écrit-il, et je n’avais pas vécu. (…) C’était peu pour faire un bon livre ».  
L’amitié entre Jean d’Ormesson et Jean-Marie Rouart est déjà forte à cette époque. Elle est fondée essentiellement, pour ne pas dire exclusivement, sur la littérature. Car Jean d’Ormesson était un obsessionnel de la littérature et, dans ce domaine, il était capable de tout admirer, même s’il préférait les romans qui ont transformé l’art du roman (Joyce, Pérec…) au roman traditionnel (Balzac, Zola…).  

En 1974, Jean d’Ormesson publie « Au plaisir de Dieu ». Il y évoque notamment le château de Saint-Fargeau, que Paul Morand avait fielleusement qualifié de « cabane » dans une de ses lettres à Jacques Chardonne. Dans cet ouvrage, au titre magnifique et repris d’une inscription figurant au fronton d’un oratoire, à Rome, Jean d’Ormesson engage une réflexion sur l’histoire, en faisant intervenir trois personnages : le grand-père, duc du Plessis-Vaudreuil, le temps qui passe et le château. Relisons, toujours avec la même délectation, quelques unes de ces lignes : « C’était le coin de France qui nous appartenait. (…) La France était naturellement moins vieille que le nom que nous portions (mais) puisque le roi n’était plus là, il fallait bien s’entendre avec elle. (…) Nous disions de la France tout le mal que nous pouvions, mais il était de bon ton de se faire tuer à son service »

Jean d’Ormesson était un romancier à part. Il ne s’est pas identifié à de grands personnages, comme a pu le faire Jean-Marie Rouart. Car il a toujours privilégié l’instauration dans ses écrits d’un arrière-fond philosophique et, peut-être aussi, parce qu’il n’avait pas suffisamment souffert. Que de plaintes, en effet, d’humiliations, de mal de vivre, chez Balzac, Stendhal, Mauriac ou Drieu-la-Rochelle. Jean d’Ormesson préférait, du moins en apparence, les choses plus gaies et, si ce n’est plus légères, du moins plus à même de nous ancrer dans la beauté. 

Directeur du Figaro, Jean d’Ormesson se brouille assez vite avec pas mal de journalistes, dont Jean-Marie Rouart. Car c’est un idéaliste, pas un gestionnaire. Il introduit néanmoins une réforme importante au sein du journal : il repousse « Le carnet du jour » de la page 2 à une lointaine page intérieure… 

En 1974, le journal – avec lequel Jean d’Ormesson prendra plaisir à collaborer jusqu’à la fin de sa vie – prend position pour Valéry Giscard d’Estaing et, en 1981, s’oppose à François Mitterrand. Tout d’abord très critique, Jean d’Ormesson finira par ressentir une certaine fascination pour ce chef de l’Etat qui, quelque temps avant de mourir, prononce le fameux discours de Berlin sur l’Europe. « Il m’a impressionné, et peut-être un peu plus », écrit-il. L’inverse était d’ailleurs peut-être vrai aussi. Ainsi, pour son dernier petit déjeuner à l’Elysée, qui François Mitterrand invite-t-il ? L’écrivain aux yeux bleus, maître dans l’art de la conversation…

« C’était en permanence une fête de l’esprit », dit de lui Jean-Marie Rouart, qui garde un souvenir impérissable de ces grands dîners mondains, en présence de Maurice Rheims ou de François Nourissier, mais aussi et surtout de ces voyages si nombreux qu’il a fait avec son ami, à la recherche de la lumière, le plus souvent en Italie. Ils y ont aimé les bains de mer, les visites des églises… 

La Douane de Mer (à Venise ndlr) est l’une de celles qui a le plus fasciné Jean d’Ormesson. Avant d’en faire le titre de l’un de ses livres, il en a fait une intuition. Elle était pour lui le centre du monde, la rencontre entre l’Orient et l’Occident. « J’étais content de mourir, dit le narrateur, auprès de la Douane de Mer. (…) Beaucoup de beauté et beaucoup de souvenirs. (…) Il y avait Morand et Visconti (…) et Chateaubriand, bien entendu ». Comme le héros de son roman, Jean d’Ormesson aurait pu dire : « J’avais aimé à la folie mon passage sur cette terre. (…) J’ai aimé presque tout de cette sacrée existence. (…) L’idée de cesser de vivre pour enfin passer à autre chose ne me déplaisait pas »

Mais Jean d’Ormesson était immortel. Élu dès 1973 à l’Académie française, au fauteuil de Jules Romain, il y apporte le sentiment de la vie et de la liberté. Il participe à de nombreuses élections : Georges Dumézil, Michel Déon, Hélène Carrère d’Encausse, Jean-Marie Rouart, et bien sûr, Marguerite Yourcenar. Il ne la connaissait pas personnellement, mais a pris sa défense, malgré les oppositions très fortes, comme celle de Claude Lévy-Strauss, qui défendait la tradition attachée à la « tribu » des académiciens. C’était en 1981. Il a pris sa défense, parce qu’elle était une femme, et un grand écrivain. « Il y a quelque chose de plus fort que la tradition, a-t-il déclaré lors du discours d’investiture, la vie, le mouvement »

Oui, Jean d’Ormesson était résolument du côté de la vie. Avec son rire, rappelle Jean-Marie Rouart dans sa jolie conclusion, qui reste irremplaçable. Sa gentillesse, son humour, sa distinction. Sa recherche aussi du mystère des origines du monde. Tout au long de son œuvre, qui constitue finalement une grande méditation sur l’univers, Jean d’Ormesson a exploré le mystère de la vie et de la mort. « Un Hosanna sans fin »… 

Laurent Vivat

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Une réponse à Du côté de chez Jean

  1. philippe person dit :

    Rouart…
    Une anecdote sur Jean d’O… Un jour, ma manie de corriger les erreurs est tombée sur lui. Dans une nouvelle parue dans Elle, il avait raconté une histoire vénitienne : il avait vu un célèbre président de la République aux initiales FM avec… Lauren Bacall. Il ajoutait qu’elle était l’héroïne du… « Faucon Maltais » de John Huston… Alors que tout le monde sait que c’était Mary Astor ! Aussitôt lue cette erreur regrettable, je commets une lettre à l’Académicien et je lui envoie dans la foulée…
    Deux jours après : coup de fil. Je sors de ma douche : « Allo, Monsieur Person, je suis sous le choc… Comment ai-je pu… Vous me pardonnez, n’est-ce pas ? ». S’en suit une conversation d’une demi-heure où j’ai le droit en solo à un numéro de haut-vol que je regrette de n’avoir pas pu enregistrer…
    C’était ça, Jean d’Ormesson : quelqu’un qui pouvait reconnaître ses erreurs… et reprendre la main en quelques mots bien choisis !

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