L’annuaire fleuri de Monaco

Jean-Baptiste Pastorini avait une âme de poète. Dans l’annuaire de Monaco qu’il s’était procuré en 1889, il avait inscrit son nom et inséré (peut-être son épouse) quatre fleurs afin qu’elles y séchassent. Deux graminées ont trop pâli. Il faudrait un botaniste pour les identifier. Et puis (selon toute apparence) deux coquelicots cueillis au printemps de la même année, ou l’été précédent qui sait. Toujours est-il que cela fera 130 ans le 31 janvier que cet annuaire a été imprimé. La date est mentionnée plusieurs fois au long des pages. Cela faisait deux ans que la principauté venait de subir un tremblement de terre. Et c’est à cette époque également que Guillaume Apollinaire a vécu une partie de son enfance avec son frère et sa mère. D’où l’intérêt de cette relique repérée sur Ebay.

L’on n’y trouve aucun numéro de téléphone mais un certain nombre de renseignements pratiques. Et quelques informations historiques qui nous rappellent que le prince régnant s’appelait Honoré III (le premier étant Grimaldi 1er en 950) et que le président français d’alors s’appelait Sadi Carnot. Il y a aussi la liste des établissements scolaires dont le collège Saint-Charles où Apollinaire et sont frère ont reçu une partie de leur instruction . Les noms de tous les professeurs y sont mentionnés. C’est dans les environs peut-on lire dans « La côte d’Azur d’Apollinaire », que le futur auteur de « Zone » a fondé avec deux de ses amis (James Onimus et Harkeney) « l’Association des tueurs de mouches ». Onimus les attrapait, Harkeney les décapitait et Apollinaire leur assurait une sépulture. Ils n’avaient pas dix ans.

Cet annuaire fourmille d’informations désuètes. Par exemple il y était précisé que l’on ne pouvait pas stationner n’importe comment devant le casino. Ainsi il y est dit que « la tête des chevaux de la première voiture ne pourra dépasser le poteau indiquant la station ». Et en ce qui concerne les gares de Monte Carlo ou Monaco, la tête des chevaux devait toujours faire face à l’édifice ferroviaire. Il n’y avait pas de place pour l’improvisation dans cette villégiature princière qui faisait de son standing un motif d’attraction pour touristes distingués. Ceux-ci pouvaient se loger dans les endroits les plus prestigieux ou pour les moins riches dans des garnis et autres maisons meublées dont la (longue) liste est obligeamment fournie. Il fallait 24 heures pour venir de Paris, 7 heures de Marseille et 5 heures de Gênes.

Le casino était déjà l’un des grands  pôles d’intérêt de la ville ce qui n’avait évidemment pas échappé à la mère d’Apollinaire, reine des tapis verts. Elle y était répertoriée comme « femme galante ». C’était une femme de caractère. Un rapport de police indique que le 14 mars 1896 elle s’était battue à proximité du casino avec une rivale. Pour cette raison, elle fera l’objet d’une décision d’expulsion. Mais grâce à ses relations, le bannissement sera annulé. Ce qu’il y a de sûr également c’est qu’elle flambait l’argent qu’elle n’avait pas comme elle le fera plus tard à Spa en Belgique.

L’annuaire de Monaco mentionne les nombreuses distractions que l’on trouvait au casino: des pièces de théâtre, des concerts, des fêtes vénitiennes, des salles de conversation et de lecture. On pouvait jouer à la roulette pour un minimum de 5 francs et un maximum de 6000 francs. Sans compter le tir aux pigeons, attraction majeure du rocher que le guide présente comme le nec plus ultra en Europe dans cette spécialité. Les tireurs étaient « annuellement conviés à des agapes homériques et cordiales » dont nous n’avons pas malheureusement le détail. Certaines élites comme le « Gun tir » de Londres ou les membres du « Club de tir du Bois de la Cambre » à Bruxelles disposaient d’un accès privilégié à ce sport qui consistait à dégommer proprement « des milliers de ramiers » élevés à dessein.

Apollinaire qui préférait quant à lui aller pêcher des oursins ou des poulpes dans les rochers du Cap d’Ail, entretiendra longtemps une affection particulière pour cette ambiance méditerranéenne et un goût jamais démenti pour la cuisine locale. Là-bas il nouera aussi de solides amitiés comme celles de René Dalize, Louis de Gonzague Frick ou encore Toussaint Luca.

Mais finalement, ce qu’il y a de plus émouvant dans cet annuaire ayant appartenu à ce Jean-Baptiste Pastorini provisoirement sorti de l’oubli, ce sont les petites fleurs séchées glissées entre les pages par une main rêveuse, témoignant depuis leur structure devenue bien fragile, d’une atmosphère à jamais dissipée.

PHB

Lire à propos d’Apollinaire à Monaco cet article de Gérard Goutierre paru en 2013 dans Les Soirées de Paris et comportant des informations inédites.

« La côte d’Azur d’Apollinaire » (2003) par Alex Benvenuto Éditions Serre

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6 réponses à L’annuaire fleuri de Monaco

  1. jacques ibanès dit :

    Cher Philippe, il ne vous reste plus qu’à dénicher le brin de bruyère qu’Apollinaire cueillit et dont il fit un poème que le monégasque Léo Ferré mit (joliment) en musique!

  2. Joëlle SEGERER dit :

    La fleur ressemble plus, dirait-on, à une pensée qu’à un coquelicot. Autre symbole, touchant également.

  3. Debon Claude dit :

    Un iris plutôt?

  4. PASQUINO Gilbert dit :

    Merci pour ce magnifique article.

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