Bibliophilisez-vous!

Il y a dix ou quinze ans, les oiseaux de mauvais augure affirmaient dur comme fer que le livre était voué à une prochaine disparition. La tablette numérique, baptisée du néologisme “liseuse“, allait mettre au rebut tous les documents imprimés sur papier. Facilement transportable, ce support miraculeux devait nous permettre de disposer d’autant de volumes que la bibliothèque d’Alexandrie, ou presque.
Comme souvent, l’évolution d’une société n’a que peu à faire des projections d’un futurologue. Il suffit de se rendre dans les trains, les métros ou les bus pour s’apercevoir que le livre, le bon vieux livre de papier sorti d’une imprimerie traditionnelle, avec couverture soignée et textes joliment typographiés – le vieux bouquin en somme – a encore la faveur de la majorité de lecteurs.

Sans doute parce que le livre, par son contenu mais aussi par sa présentation, reste un objet de désir. Quel que soit le nombre d’exemplaires, il est, pour son acquéreur, objet unique. Comme un enfant adopté, il reçoit tout l’amour de sa parentèle. Difficile de demander la même chose à un écran.

S’il fallait s’en convaincre, une visite au dernier Salon du livre Porte de Versailles aurait apporté la preuve que le public vient en nombre découvrir le travail des éditeurs qui rivalisent d’imagination et de savoir-faire en offrant un éventail de publications d’une grande diversité. Pour quelques euros, on pouvait s’offrir de jolies plaquettes à la présentation recherchée, d’une typographie soignée et aux contenus souvent originaux.

Moins fréquenté sans doute, mais attirant un public venu des quatre coins du monde, le Salon du livre rare, au Grand Palais, est une sorte de célébration annuelle de l’étrange passion connue depuis longtemps sous le nom de bibliophilie. Un monde un peu à part, qui demande initiation et grandes connaissances. C’est d’abord à ce public de connaisseurs ou d’amateurs éclairés qu’on recommandera un travail très documenté d’Éric Dussert et Christian Laucou « Du corps à l’ouvrage » . Tout à la fois dictionnaire, répertoire et lexique (quoi qu’en disent les auteurs eux-mêmes), cet ouvrage sous-titré « Les mots du livre »  permet sur environ 230 pages un voyage dans le monde foisonnant de la typographie et de l’imprimerie.

On peut le lire dans le désordre et prendre le train en cours de route : il y aura toujours une découverte à faire. Vous y apprendrez ce que désigne précisément le papier bible, le papier chiffon, le japon ou le hollande ; vous apprendrez qu’en terme d’imprimerie le mot « espace » est féminin ; vous pourrez utiliser comme en Belgique, où le mot est bien connu, une “esperluette“ ( le signe « & ») ; vous lirez qu’une“ imposition“ n’est pas réservée à l’inspecteur des impôts, et que “l’anopistographe“ désigne une feuille qui n’est imprimée que d’un seul côté. Vous ferez la connaissance des grands typographes dont certains ont laissé leur nom dans la profession comme la famille Didot ou le prestigieux Claude Garamond.

Au centre de l’ouvrage, un cahier technique servira de vade-mecum aux amateurs et aux professionnels qui trouveront les réponses à leurs interrogations sur les papiers, les formats, les caractères, les procédés d’impression. Parce que la bibliophilie a ceci de singulier qu’elle accorde (presque) autant d’importance à la présentation d’un texte qu’au texte lui-même. Ce “Corps à l’ouvrage“ trouvera ainsi sa place dans les collections de bibliophiles, près des éditions rares et précieuses dont il sera en quelque sorte le garant.

Gérard Goutierre

« Du corps à l’ouvrage », La Table Ronde, 24 euros

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Une réponse à Bibliophilisez-vous!

  1. jacques ibanès dit :

    Puisse cet ouvrage trouver sa place dans toutes les bibliothèques-médiathèques de France qui ont depuis quelques années une tendance à procéder à des opérations dites de « désherbage » qui consistent à envoyer au pilon des ouvrages peu consultés, appauvrissant ainsi leurs fonds.
    Elles sont en effet incitées par leur hiérarchie à « éclaircir les rayons »…
    Plus besoin donc d’incendies, d’autodafés ou de destructions terroristes (cf. par exemple, les manuscrits de Tombouctou) pour faire place aux nouvelles parutions …

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