Mamadou le guérisseur entré au musée

Depuis sa réouverture après d’importants travaux d’agrandissement en 2018, le musée de La Piscine de Roubaix présente aux visiteurs, accroché en bonne place, un curieux vitrail de 60 cm de hauteur sur 42 de large. Œuvre colorée et un peu kitsch, elle représente un élégant Africain en costume cravate, au milieu d’un décor où l’on distingue un arbre en fleurs identifié comme un baobab, un drapeau du Sénégal et un blason avec un lion, une croix et une étoile. L’ensemble est bordé d’une frise tricolore, bleu banc rouge. En dessous, cette inscription : « Au cher Monsieur Mamadou qui m’a sauvé la vie » et une signature mystérieuse : « En témoignage reconnaissant, la marquise  ».
Pour peu qu’il ait un certain âge, tout Roubaisien de souche se souvient de Mamadou, figure populaire de la ville où étaient connus ses talents de guérisseur, ou plutôt chiropracteur, remettant en place les vertèbres déplacées et autre membres abîmés de milliers de patients. Les succès étaient avérés, et parfois spectaculaires. Il n’était pas rare qu’un médecin « officiel » conseille à ses patients une visite chez Mamadou lorsqu’il ne venait pas à bout de certaines pathologies. Sa réputation s’étendit bien au delà du nord de la France. Une bonne partie de la clientèle venait de Belgique où des bus entiers étaient affrétés pour permettre au plus grand nombre de profiter de ses gestes salvateurs.

Tout concourt à faire de Mamadou un personnage de légende. Sa vie, qu’un livre documenté vient de retracer, est une succession de hasards heureux, de rencontres favorables. La légende le fait naître au pied d’un baobab, en 1909 au Sénégal. À 15 ans, Il s’engage comme marin et sillonne les océans. Lors d’un voyage, le capitaine du bateau fait une mauvaise chute. Entorse sévère. Le médecin du bord lui fait une piqûre à l’épaule, ce qui ne manque pas de surprendre Mamadou, puisque c’est la cheville qui souffre. Alors, profitant des connaissances acquises en consultant les livres d’anatomie de la bibliothèque du bord, il intervient et manipule le pied de l’officier… qui est bien obligé de reconnaître que la douleur a disparu et qu’il peut remarcher normalement.

En 1931, il débarque en métropole et se retrouve à Roubaix qui connaît encore le plein emploi. C’est l’un des premiers Africains dans la ville. Sa silhouette imposante ne passe pas inaperçue d’autant qu’il affiche constamment un large sourire et qu’on le décrit comme particulièrement bienveillant avec tout le monde. Il occupe des petits boulots et se découvre une passion pour la boxe. Il acquiert un surnom : « La panthère noire ». Déjà il remet en place les membres amochés de ses confrères dans les combats. Un peu à la fois, il acquiert des compétences en ce domaine et on lui reconnaît un véritable don. Il installe bientôt un cabinet dans un quartier populaire de la ville. La clientèle ne se fait pas attendre. Riches et pauvres frappent à sa porte. On donne ce qu’on veut. Sa réputation grandit de jour en jour : quelques années plus tard, il pourra s’enorgueillir de plus de 54.000 attestations de guérison ! Jacques Geesen, auteur de sa biographie a pu démontrer que le nombre de ses patients tournait autour de 90.000.

La médecine officielle ne voit pas d’un très bon œil ce rebouteux autodidacte, mais en privé, reconnaît ses réussites. Il est en tout cas visé par plusieurs procès pour exercice illégal de la médecine. L’un de ses plus ardents défenseurs n’est autre que l’avocat André Diligent, qui deviendra maire de Roubaix, et sénateur. Au cours d’un de ces procès, une anecdote est restée célèbre. À la fin de l’audience, la greffière confia discrètement à Mamadou qu’elle souffrait atrocement du dos. Ni une ni deux, Mamadou intervint. « On entend un craquement. La greffière reste figée sur place. Elle est guérie » pourra-t-on lire dans la presse locale le lendemain. Une autre fois, la justice réitère à Mamadou l’interdiction d’exercer et décide la confiscation de ses instruments de travail, notamment sa table de manipulation. Mais lorsque les hommes de loi se présentent au cabinet de Mamadou, ils y trouvent… le commissaire de police en personne venu se faire soigner !

D’une façon générale, les peines infligées à Mamadou étaient modestes, et n’entamaient en rien sa réputation, qui ne connut pas d’éclipse. Son décès, en 1985, fut tristement ressenti par la population et son enterrement suivi par des centaines de “fidèles“.

Quelques dizaines d’années plus tard, un ami du musée de Roubaix retrouva par hasard dans une brocante locale le vitrail à la gloire de Mamadou et l’acheta illico, craignant de voir disparaître ce précieux témoignage. L’œuvre est aujourd’hui entrée au musée (qui porte d’ailleurs le nom de l’ancien maire de la ville et défenseur de Mamadou André Diligent). Quant à la « marquise“ sauvée par le guérisseur, et commanditaire de l’œuvre, elle a été identifiée par Jacques Geesen, après une enquête qui le conduisit dans les environs de la ville flamande de Gand. Il s’agit de Germaine de Visscher, qui eut recours aux soins de Mamadou après une très mauvaise chute qui l’avait laissée paralysée, à l’âge de 65 ans. Si elle ne possédait peut être pas réellement le titre de marquise, elle était en tout cas, par mariage, apparentée à la famille royale de Belgique.

Gérard Goutierre

À lire : Mamadou le guérisseur de Roubaix, par Jacques Geesen.
Éditions Les Lumières de Lille. 20 euros

Illustration d’ouverture: ©Musée d’art et d’industrie André Diligent, La Piscine
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12 réponses à Mamadou le guérisseur entré au musée

  1. philippe person dit :

    Merci Gérard !
    Je connais des scénaristes à qui votre article donnera des idées !
    Il y a désormais des acteurs noirs magnifiques et très bons qui pourraient jouer Mamadou… Allez soyons fous… Imaginons un directeur des postes et un de ses facteurs alcooliques se faisant soigner par Mamadou… ça s’appellerait Mamadou chez les ch’tis ou alors un commissaire de police beur Roubaisien (oxymore) ami de Mamadou dans « Roubaix, la lumière et Mamadou »…
    En tout cas, voilà un beau sujet. Cher Gérard, vous êtes le roi du portrait !

    • LÉPINAY dit :

      Bonjour,
      Merci également à Gérard, qui a su mesurer tout l’intérêt du sujet « Mamadou ».
      Je suis l’éditeur du livre Mamadou, le guérisseur de Roubaix, et j’ai eu des contacts avec des maisons de productions de cinéma… On verra bien si Omar Sy tiendra le rôle principal. Mais pour l’instant, c’est un film documentaire qui est en cours de réalisation. Car il existe des heures d’images d’archives sur Mamadou ! Dans les années 1970, des journalistes belges étaient venu filmer à Roubaix ce personnage digne d’un roman, au contraire de la télé régionale qui a gardé un prudent recul. Dans les rédactions, on devait juger le sujet « sulfureux ».

      • philippe person dit :

        Omar Sy dans le rôle de Mamadou !
        Merci pour l’information ! Un scoop des Soirées de dimension mondiale !
        En tout cas bravo pour votre curiosité d’éditeur… Ils ne sont pas tous comme vous !

  2. Pierre DERENNE dit :

    Merci pour ces explications. Ce vitrail m’avait quelque peu intrigué lors de la visite de cet étonnant musée.

  3. Catherine Boccaccio dit :

    Merci pour cette histoire captivante.

  4. Marie-Hélène Fauveau dit :

    merci pour ce « reportage »

  5. GEESEN Jacques dit :

    Venu du fin fond de la brousse africaine, il avait trouvé son paradis à Roubaix et il aurait pu écrire à la manière du poète Joachim Du Bellay ces lignes en pensant à son amour pour Alice et pour ce qui était devenu son « chez lui » :
     » Plus son joli minois qu’un sourire de Joconde,
    Plus la place du Pile qu’un autre nouveau monde
    Et plus que dame fortune, la douceur roubaisienne ».
    En quelques lignes ce petit clin d’oeil à M. Guillaume Apollinaire que l’on trouve dans mon livre.

  6. Claudine Vandenbroucke dit :

    Un film sur cet homme devenu célèbre serait nécessaire en y ajoutant les témoignages de ses deux filles qui se sont manifestées et peut être d’autres enfants…
    Le livre devrait être publié au Sénégal !

    • philippe person dit :

      Claudine, il faut lire les commentaires des autres et vous sauriez qu’il y a eu un docu sur Mamadou et qu’Omar Sy est sur le coup…
      Les Soirées de Paris, c’est une famille !

  7. MARTIN YVES dit :

    C’est un livre magnifique basé sur une histoire réelle et non moins magnifique.Cette histoire mériterait une publicité plus étendue car pour l’instant elle n’est que locale et régionale-Pourquoi pas un film?.En effet,Tous les ingrédients sont là pour confectionner une oeuvre trés éloignée des navets qui encombrent généralement nos écrans!
    Merci à Jacques GEESEN pour le travail de fourmi qu’il a réalisé et qui pemet de dortir de l’ombre et de l’oubli un auguste personnage.
    YVES MARTIN

  8. BRUNO SILLARD dit :

    Superbe histoire, peut-être aussi sur le mode docteur Knock, enfin sur le mode de la dernière version avcc Omar Sy!

  9. Caude dit :

    Très heureux et ému de saluer Gérard Gouttière à l’occasion de la publication de ce très bel article, et Fred tout autant ! Bien amicalement.

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