Pompéi hanté

Sur un des murs, la silhouette d’un paysan conduisant son âne surprend. Ce n’est qu’une ombre, mais la duperie technologique fonctionne. Si l’exposition du Grand Palais consacrée à Pompéi à partir du premier juillet se veut effectivement « immersive », le contrat est rempli. Surtout quand retentit dans la salle le sourd bruit de l’éruption du Vésuve. Celle qui calcina et conserva les restes de la cité italienne à la fin de l’été 79. Un petit film épatant restitue ce qui s’est passé avec un super panorama vu du cratère. Les habitants de Pompéi ont commencé par subir une pluie de pierres ponce. Et puis le volcan a fini par cracher son trop plein de rancœur, figeant la vie des gens en pleine action, en méditation tranquille aux latrines ou qui sait, dans leur sommeil. L’histoire de Pompéi est un succès qui n’est pas proche de se démentir depuis qu’en 1748, le roi d’Espagne Charles III de Bourbon a ordonné les premières fouilles. Cependant il ne faut pas oublier Pline le Jeune dont la correspondance juste après coup, commandée par l’historien  Tacite, a fourni moult détails jugés fiables.

Lorsque Picasso, en 1917, ramasse une feuille de laurier sur le site et l’expédie en guise de carte postale à son ami Apollinaire, Pompéi a déjà beaucoup livré de son histoire. Des confidences qui auraient pu s’arrêter net puisqu’en 1943, fin août début septembre comme pour l’éruption, les alliés balancent du ciel 150 bombes sur la cité maudite. Cette indélicatesse notable provoquera la destruction d’une salle de l’Antiquarium, la perte d’un millier d’objets et occasionnera plus largement de graves dégâts. Le dernier programme de fouilles a été lancé en 2017, dans la périphérie de la ville. Il a déjà donné de beaux résultats.

L’exposition du Grand Palais joue en tout cas avec efficacité sur l’air de « comme si vous étiez ». Les visiteurs seront d’autant plus à l’aise que les visites se feront sur rendez-vous et que la capacité d’accueil sera réduite de deux tiers dans des espaces dûment désinfectés. Les effets de perspective qui ont été élaborés n’en ressortiront que mieux, notamment dans la mise en valeur des fresques, projetées sur les murs, via un savant glissando artistique.

L’un des attraits de l’affaire réside également dans la visite de maisons reconstituées avec leur mobilier. Et lorsque l’on passe du vestibulum au triclinium sur les pas de la maîtresse de maison, on dispose là d’une restitution pleine d’intérêt. L’exposition comprend également une série d’objets présentés de façon classique sur un support adapté, telle la fresque figurant Vénus sur son char tiré par des éléphants (ci-dessous). C’est la première fois qu’on peut la voir hors d’Italie.

À ses côtés on peut voir le Génie et la Fortune de la colonie de Pompéi, l’ensemble étant censé protéger la ville. L’assurance a, en l’occurrence, démontré qu’elle n’était pas infaillible. La plupart des objets ont été sortis du Parc archéologique de Pompéi. Certains sont tout à fait intimes comme des boucles d’oreilles, des bracelets ou des colliers. L’iconographie érotique propre à Pompéi est absente de la scénographie. Ce qu’il y a de sûr en tout cas c’est que les habitants étaient sensibles à la beauté de leurs propres atours comme de leurs maisons et de leurs jardins.

On ne sait encore si l’éruption eut lieu un 24 août ou un 24 octobre ce qui n’est quand même pas si mal comme précision quelque deux millénaires plus tard. On a néanmoins pu estimer que la colonne expulsée de fumée de gaz et de pierres est montée à 32 kilomètres d’altitude et que les nuées ardentes ont dévalé la pente vers Pompéi à la vitesse de cent mètres par seconde, ce qui ne laissait pas beaucoup de chances aux malheureux habitants. La ville fut alors recouverte d’un grand manteau d’oubli prenant la forme d’un linceul blanc.

En tous les cas, les volcans font toujours la loi. Et nous ne sommes pas à l’abri, même à Paris. On voudra bien se souvenir d’une part que l’explosion du volcan Laki en 1783 depuis l’Islande, avait engendré en Europe un refroidissement climatique radical qui occasionna des famines et contribua par voie de conséquence à la Révolution française. D’autre part, les insouciants seront priés de noter que le volcan Eifel qui se situe en Allemagne, près de la frontière belge, a montré tout récemment des indices d’activité (1), avec une élévation paraît-il significative de un millimètre par an. Son « réservoir magmatique » ne serait donc pas en sommeil selon un expert cité le 17 juin de cette année par le site de la RTBF. Ce pourquoi il faut profiter de cette exposition au cas où (possibilité quand même improbable puisque le dernier fracas du Eifel remonte à 13.000 ans), un nuage de cendres pourrait recouvrir les terres jusqu’à Paris, remplissant d’un seul coup les objectifs oubliés de la Cop 21. Dans une telle hypothèse, les archéologues du futur retrouveraient les visiteurs du Grand Palais  en arrêt définitif devant l’exposition en cours, ce qui on en conviendra, déboucherait sur une cocasse mise en abyme.

PHB

Exposition « Pompéi » du 1er juillet au 27 septembre 2020 au Grand Palais

(1) L’article de la RTBF

Crédits photo: PHB/LSDP

PS: et le 27 septembre à 14h30 aura lieu une immersion exceptionnelle relative à la performance des Pink Floyd, « Live at Pompeii », filmée en 1971 par Adrian Maben. Dont on peut avoir un (super) aperçu ici.

Print Friendly, PDF & Email
N'hésitez pas à partager
Ce contenu a été publié dans Exposition. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

9 réponses à Pompéi hanté

  1. Didier D dit :

    « la beauté de leurs propres atours comme de leurs maison et de leurs jardins. »
    Trois leurs, c’est trop.
    Deux leurs, atours et jardins .
    Un leur, pour la maison .

  2. Yves Brocard dit :

    Bonjour et merci pour l’envie donnée d’y aller, masqué.

    Votre introduction sur « la silhouette d’un paysan conduisant son âne sur un des murs », m’a rappelé un livre lu récemment et dont je me suis régalé. Il s’agit du roman singulier de Wilhelm Jensen : « Gravida, Fantaisie pompéienne ». Comme certains le savent sans doute, il s’agit de l’histoire qu’un archéologue allemand qui est intrigué par la démarche singulière (tout est dans la rotation du pied arrière) d’une jeune femme sur un bas-relief romain. Il est entraîné à se rendre à Pompéi, et là il y rencontre la jeune femme, bien vivante (quoique), ayant échappé miraculeusement à l’irruption du Vésuve. Et s’ensuivent des péripéties inattendues, intrigantes et charmantes. Une vraie histoire d’amour, à 1800 ans de distance.
    Écrite en 1903, une partie de la renommée de cette fantaisie vient de l’analyse psychanalytique qu’a faite Freud de ce texte, où le rêve a sa place. Et Freud démontre que l’auteur est un excellent analyste de l’inconscient, qui se manifeste via les rêves. Le roman et l’analyse sont souvent associés dans les rééditions, notamment celle que j’ai lue par Gallimard dans folio-essais, qui comporte en prime une préface qui n’est pas inutile pour comprendre la genèse de ces textes. Le texte de Freud est un peu long et parfois filandreux, mais éclairant et très freudien.

  3. Didier D dit :

    « Gravida¨ ?
    Gradiva plutôt .
    Une faute d’orthographe, un faux pas .

  4. Yves Brocard dit :

    Oui, merci d’avoir rectifié.

  5. Nadia Prete dit :

    Mon avis, au retour de la visite de cette exposition, est qu’elle n’est qu’une arnaque. Quelques films à voir, très peu d’objets (même les dessins des prix de Rome ne sont pas montrés, mais projetés sur un écran). Les miroirs pour multiplier les peintures sont un contresens et la rapidité de l’éruption du Vésuve est telle que l’on a pas même le temps d’être ému. Une exposition qui se veut grand public et qui ne respecte rien.

  6. Yves Brocard dit :

    Quelle douche froide, après la pluie incandescente de l’an 79!
    Je suis allé voir, lors du nouvel an, le musée de Naples. Époustouflant, même si il n’y a pas l’appareil visuel qui semble animer le Grand Palais. Mais on se demande si on a encore le droit d’aller à Naples en avion… ni en voiture du reste.

Les commentaires sont fermés.