De fil en aiguille

Il faut en convenir à regret. Les occasions de tomber en pâmoison se font rares. C’est bien dommage car rien que l’emploi du passé simple « nous nous pâmâmes » , avec le rarissime double usage de l’accent circonflexe, enchante le calligraphe bien plus que le « nous nous pâmassions » qui perd hélas l’un de ses chapeaux dans les eaux troubles du subjonctif imparfait. Il n’est pas vraiment exact d’ailleurs, de déplorer la rareté des occasions. Sauf à supposer que nulle circonstance ne vaut plus pâmoison, c’est surtout le mot qui s’est perdu. Le vingtième siècle l’a fatigué. Le suivant l’a achevé.

À l’origine cela voulait surtout dire que l’on allait perdre connaissance. Et par la suite c’était une façon dans une description d’accentuer la peur, l’admiration, le plaisir, l’aisance, le rire, de feindre l’évanouissement. L’aspect positif l’a emporté: au 19e siècle l’artiste et écrivain Eugène Fromentin (1820-1876)  pouvait bien parler d’une « chère créature » qui se pâmait sous les « baisers » de son séducteur, on voyait bien que la situation était sur de bons rails. Vous vous pâmiez, elle se pâmait, c’était gagné.

Tant qu’à rester à la lettre « p » du dictionnaire culturel Le Robert et de fil en aiguille, nous nous autoriserons une petite pause à la station paladin. En effet, si on ne marque pas un arrêt tout de suite à cet endroit déserté, on ne le fera plus jamais. Voilà encore une catégorie de personnel que le télétravail aurait tué net si les paladins avaient par miracle survécu jusqu’au mois de mars 2020. Ils ont sagement su quitter la scène avant de crever de ridicule sous les quolibets des zélateurs du progrès et de l’hygiène. Chevaliers errants en quête de bravoure et d’actions héroïques, ils auraient fini desséchés dans la vulgate des réseaux sociaux. Cultivant la noblesse de style, ils trouvaient à servir parmi la suite de Charlemagne, ce n’est pas, on en sera d’accord, une mince référence.

On les verrait moins bien lance à la main, dans un meeting politique contemporain, même de mouvance souverainiste. Dans « L’esprit des lois », Montesquieu les décrivait au 16e siècle comme « toujours armés dans une partie du monde pleine de châteaux, de forteresses et de brigands » trouvant « de l’honneur à punir l’injustice et à défendre la faiblesse ». Il est facile de comprendre à cette aune que le genre est tombé en désuétude. Du reste, à partir du 18e siècle, ce n’était plus qu’un verbe péjoratif qui signifiait « se pavaner », c’est dire s’ils ont bigrement bien fait de plier les gaules. Certes il est encore possible ô combien, de voir des gens paladiner sur les plateaux télé avant de se pâmer au vu de leurs résultats d’audience, mais le piquant de l’affaire, c’est qu’ils l’ignorent.

À l’adresse de ces mots éteints, les encyclopédies accompagnent leur définition de mentions comme « vieilli » ou « peu usité ». Les oubliettes les guettent, faute de musée approprié. Un terme comme « bouffon » a bien réapparu dans le lexique des cités de banlieue sans altérer sa définition primale, mais les résurgences de ce type sont rares.

Pour finir (« enfin », diront certains) il serait également possible dans cet ordre d’idées, toujours à la lettre « p », de ressusciter le mot « palatin » qui désignait une personne en charge d’un office dans un palais. La présidence de la République n’en manque pas, elle en regorge même,  mais leurs fonctions portent d’autres attributs. Et puis la France manque de palais contrairement à l’Italie. Palais, palatins et jusqu’aux princesses palatines, tous ces mots sont porteurs de rêves qui trouvent mieux à s’épanouir dans la littérature, la chanson de geste ou la poésie. En revanche on n’a jamais trouvé plus sec que chef de cabinet ou chargé de mission. Au moins ces dénominations font-elles carrière, à l’abri de tout risque de gloire ou de pâmoison.

PHB

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2 réponses à De fil en aiguille

  1. jacques ibanès dit :

    Merci de mettre en lumière et de redonner chair le temps de ce bel article pétillant, à ces mots désuets que l’on croise parfois en relisant nos classiques. J’espère que vous en piocherez d’autres à l’occasion, pour nous réjouir encore.

  2. Saboret dit :

    C’est toujours un plaisir de vous lire. Mais aujourd’hui, c’est un vrai ravissement pour l’esprit. Merci merci merci

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