Le musée Guimet, de la terrasse au rez-de-jardin

Déjà plein d’attraits, le musée Guimet a décidé, durant l’été, d’ouvrir sa terrasse au public. Elle offre un joli point de vue sur Paris et permet d’ôter le masque afin de prendre l’air sans ce filtre qui nous embue les lunettes. Elle permet aussi de retrouver la lumière après avoir découvert dans la pénombre préméditée du rez-de-jardin, 70 estampes sorties des réserves, dont nombre du Mont Fuji sous la neige. Rares sont les artistes comme le Finlandais Albert Edelfelt (1854-1905) qui ont su figurer la neige. Les techniques particulières de l’estampe japonaise de la période Edo jusqu’à l’époque contemporaine du shin-hanga (mouvement artistique japonais du 20e siècle au Japon, périodes Taisho et Shōwa) ont favorisé, en jouant notamment avec les contrastes, l’expression de ce blanc particulier et de ses nuances poudreuses ou glacées.

Nous n’avons pas en France, l’équivalent du Fujisan, improprement dénommé Fujiyama. Pas plus le Mont-Blanc que le Mont-Valérien en passant par le Mont-Ventoux et y compris la Montagne Sainte-Victoire, n’ont autant inspiré les artistes que ce volcan japonais toisant les vanités humaines à près de 3800 mètres. Le Fuji est un mont sacré, entité divinisée du shintoïsme. Pratiquer son ascension procède à la fois du tourisme et de l’ascèse. Ne serait-ce que croiser sa vue est en soi une expérience que moult smartphones ont dû immortaliser en d’innombrables quantités. À noter que les femmes ne se vont vu accorder le droit d’y grimper qu’en 1868.

À vrai dire dans cette présentation intitulée « Fuji pays de neige » et qui va durer jusqu’au 12 octobre, le Fuji n’est pas omniprésent et cela n’a guère d’importance. Parce qu’il est toujours réjouissant d’observer cet art si particulier de la polychromie et de la mise en scène propre à l’estampe japonaise. Ainsi il nous est donné de voir -et d’admirer- « Kiba à Fikugawa » dans la série des cent vues de la province de Musashi. Cette œuvre (ci-contre) a été réalisée en 1884 par Kobayashi Kiyoshika (1847-1915). Sa façon singulière de placer sur la gauche une demi-silhouette avec une immense ombrelle n’est pas sans rappeler les beaux jours des posters américains dans les années soixante et même certaines conceptions publicitaires. Les beiges et les bleus ici réunis attisent le regard nonobstant la taille modeste de l’estampe.

Ce serait une erreur par ailleurs de ne pas signaler « Le quartier des charpentiers à Fukagawa » (série des cent vues des lieux célèbres d’Edo) réalisée en 1856 par le célèbre Utagawa Hiroshige (1797-1858). Tout l’équilibre de son estampe, tout son esprit et pour ainsi dire son équilibre repose sur une rivière au bleu acide qui serpente au milieu de l’image. Extraordinaire saignée qui donne une cohérence frappante avec les alentours recouverts de neige. Ce serait dans le même ordre d’idées, pratiquement une gaffe d’omettre  « Le soir de neige à Terajima », exécutée en 1920 par Kawase Hasui (1883-1957), artiste pour lequel la commissaire de l’exposition Sophie Makariou confesse un penchant aussi net que justifié. Cette vision nocturne, moderne et urbaine du Japon, est tout à fait remarquable. Tout y précieux, des fils électriques à l’unique personnage qui chemine avec son ombrelle protectrice. Blancs, bleus, jaunes, teintes subaquatiques, tout concourt ici à faire d’une vue banale un paysage de songe. Kawase Hasui  nous est présenté comme étant comme le plus grand artiste du shin-hanga, ce que l’on veut bien croire sur parole. D’une certaine façon Hayao Miyazaki, maître du dessin animé japonais, a pris chez les anciens de l’estampe ce dont il avait besoin pour exprimer à l’écran son propre génie.

« Le soir de neige à Terajima »

On ne s’ennuie jamais au musée Guimet. Dans un climat quelque peu déficient en ce qui concerne l’enrichissement intellectuel, c’est toujours un havre, un abri, un refuge, pour ceux qui cherchent à s’aérer l’esprit. Et pour les poumons, il y a désormais cette terrasse qui ne promet qu’une vue sur les toits de Paris et sur la Tour Eiffel. La masse du Fuji, même par grand beau temps, reste malheureusement invisible aux cartésiens que nous Français, sommes officiellement.

PHB

« Fuji pays de neige » du 15 juillet au 12 octobre 2020, Musée Guimet, 6 place d’Iéna, 75016 Paris

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5 réponses à Le musée Guimet, de la terrasse au rez-de-jardin

  1. Jacques Ibanès, Hokusai s’est remis à dessiner le mont Fuji, avant-propos de Catherine Hilaire, illustrations d’Anne-Marie Jaumaud, L’AN DEMAIN éditions, mai 2020, 75 p, 8 euros.
    À commander chez l’auteur : jacques.ibanes@orange.fr

  2. Dugué-Boyer dit :

    Bonjour,
    Merci pour cette présentation.
    J’ai été un peu surprise par la conclusion, notamment à propos du musée Guimet « Dans un climat quelque peu déficient en ce qui concerne l’enrichissement intellectuel….. » « refuge pour ceux qui cherchent à s’aérer l’esprit »
    Cela me semble quelque peu péjoratif pour le musée, mais finalement je crois que c’est bien plus grave pour le public qui irait dans un musée pour consommer des connaissances, mais qui lui servent à quoi s’il ne sait pas s’ouvrir à l’émotion, la recherche individuelle ?

  3. Dugué-Boyer Monique dit :

    Bonjour,
    Le 14 juillet 1882, le 1er numéro de « L’Auvergnat de Paris » parait sous la signature de Louis Bonnet.
    L’homonymie du nom m’autorise peut-être à demander si c’est le hasard ? ou pas ?
    (La question est au-delà de la curiosité, plutôt liée à des recherches d’histoire)
    Cordialement. MDB

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