Man Ray fashion photographer

Lorsque Lee Miller débarque à Paris en 1929, elle convainc l’artiste et photographe Man Ray de la prendre comme assistante. Vu sa saisissante beauté, on peut comprendre que son compatriote ne s’est pas non plus privé de la prendre comme modèle. La rencontre intervient alors dans une ville qui pouvait se targuer du titre de capitale mondiale des arts. Une cité qui concentrait en son sein un nombre incroyable d’artistes et d’écrivains dans la période aussi féconde que l’entre-deux guerres. Au moins Paris a conservé ses musées. Et celui du Luxembourg nous donne justement à voir à partir d’aujourd’hui, une exposition sur Man Ray et la mode, laquelle devait débuter au printemps. Pousser les portes de l’exposition revient donc à emprunter du regard un peu de cette fête achevée il y a si longtemps.

D’autant que Man Ray en tant que photographe de mode n’avait jamais fait l’objet d’une réunion de ses œuvres en la matière. Il ne s’était d’ailleurs pas spécialement vanté de cette activité alimentaire qu’il considérait inférieure à son travail d’artiste, notamment versé dans le surréalisme. Il nous est expliqué que dans cet esprit, il limitait avec parcimonie les tirages au service de la mode. Les revues pour lesquelles il travaillait, selon les us de l’époque, en étaient propriétaires.

Il n’en reste pas moins qu’il mettait toute son inventivité et tout son talent dans cette production spécifique, conférant de ce fait à l’ensemble un intérêt indéniable. Les tirages exposés sont parfois minuscules, perdus au milieu de grands supports clairs. Ils nécessitent de se pencher pour en saisir toutes les subtilités. On voit que des personnalités remarquables s’offraient à son objectif comme sa compagne Kiki mais aussi Coco Chanel ou encore la fantasque marquise Luisa Casati (1). Parmi toutes les photos présentées, il y a la fameuse Kiki, laquelle pose de telle façon au côté d’un masque  Baoulé que le tirage semble proposer deux masques confondus dans une même attente.

Son travail est vraiment remarquable tant il y met d’inspiration, éloignant le résultat final d’un banal cliché professionnel. Par exemple il y a cette photo publiée en novembre 1936 de Harper’s Bazaar. Le coup de génie de Man Ray est de faire poser son modèle comme un « mannequin inanimé » en la recadrant à la hauteur des hanches. La jeune femme semble ainsi transformée en objet de décoration.

Et précisément, dans cette généreuse scénographie, on peut voir aussi le photographe abandonner sciemment le modèle humain pour un mannequin de cire (ci-contre). Man Ray faisait ainsi une belle démonstration de sa liberté créative dans un univers qui avait déjà ses codes. Il utilisait toutes les techniques disponibles alors pour imposer sa marque, son originalité. Par exemple en 1934 il utilise un bélinographe, ancêtre du télécopieur, pour expédier une photo qui sera reproduite telle que réceptionnée par le Harper’s Bazaar. Tout était bon pour sortir de la réalité de la photo sans apprêts, sans filtre et pour tout dire figée dans le conformisme. Avec Man Ray, il y avait comme une garantie de ne pas s’embourber dans les lieux communs de la représentation visuelle.

Dans cette exposition réussie, la mode passe du coup au second plan. C’est bien le travail de Man Ray et sa façon de faire si particulière de faire qui retient l’attention. Né en 1890, il avait eu cette chance insigne (et l’instinct) d’être là où il le fallait quand il le fallait. Il n’avait pas dû complètement réaliser la chance consistant pour lui et ses pairs, de vivre une période aussi exceptionnelle. Et à quel point la deuxième guerre mondiale allait tout effacer. Après avoir quitté Paris en 1939 pour des raisons évidentes, il accusera une forte déconvenue à son retour sur les bords de Seine en 1951. La fête était bien terminée. L’univers passionnel qu’il avait partagé avec de nombreuses personnalités comme Marcel Duchamp, avait été comme absorbé par un vaste trou noir.

Tout s’est dispersé depuis, entre cimetières, mausolées et musées. Au moins est-il possible d’aller se ragaillardir notre mental altéré, au travers de cette exposition ô combien réconfortante.

PHB

« Man Ray et la mode » Musée du Luxembourg, jusqu’au 17 janvier 2021

(1) À lire sur Les Soirées de Paris, la séance de pose entre Man Ray et la marquise Luisa Casati

Crédits photos: PHB

 

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Une réponse à Man Ray fashion photographer

  1. rousseau dit :

    Bonjour PHB
    votre bulletin est toujours fort bien écrit et bien référencé. MERCI
    Pour Man Ray ,je suis un peu dans la prudence voire plus .
    C’est quand même Lee Miller qui lui a permis ces RAYogrammes!
    C’est quand même Duchamp qui lui a conseillé d’arrêter de peindre
    Man Ray ne voulait surtout pas qu’on fasse référence à sa période commerciale!
    l’expo c’est MAN RAY TRUST !!! de plus Man Ray gardait les tirages d’essai que Pierre
    Gasmann exécutait…. donc Man Ray je suis beaucoup moins enthousiaste
    mais merci votre texte .Donatien Rousseau

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