Les chansons pies du père Duval

En ce temps-là, les curés portaient soutane noire et les religieuses n’avaient pas enlevé leurs cornettes. La messe était dite en latin. Pour y assister, les hommes se présentaient obligatoirement tête nue, tandis qu’à l’inverse les femmes devaient se recouvrir la tête d’un voile ou d’un foulard. Le mot parité n’était pas utilisé. Dans certaines campagnes, l’assemblée de fidèles était encore séparée en deux : les hommes à droite, les femmes à gauche. À la fin de l’office (annoncée par le tant attendu «Ite missa est»*) tout le monde se retrouvait joyeusement à la pâtisserie du village pour y acheter la tarte d’un repas aussi dominical que familial. Dans ces années d’après-guerre qui nous semblent aujourd’hui aussi éloignées que l’époque d’Abélard, apparut un nouvelle étoile dans ce qu’on n’appelait pas encore le star-system. Né dans une famille paysanne des Vosges en 1918, Aimé Duval a reçu une formation complète chez les jésuites avant d’être ordonné prêtre en 1949. La foi est chevillée au corps, et il possède une talent particulier.

Il joue modestement de la guitare, et surtout, il a le sens de la mélodie. Il connaît l’art de trousser d’agréables refrains aux paroles simples, immédiatement accessibles, qu’il chante avec un joli brin de voix. C’est ainsi que l’une de ses premières chansonnettes (1956) devient rapidement une rengaine connue de tous : «Qu’est-ce que j’ai dans ma p’tite tête/À rêver comme ça, le soir/D’un éternel jour de fête/D’un grand ciel que je voudrais voir».  Le succès est inattendu, mais il est énorme, comme pour les autres compositions de la même année, sur le même thème des valeurs religieuses, son unique inspiration : «Pourquoi viens-tu si tard,/Quand il fait déjà noir ?/Pourquoi viens-tu si tard/Mon Seigneur, pour me voir ?». La chanson suivante fait rapidement fait partie du répertoire de chorales : «Tout au long des longues, longues plaines/Peuple immense avance lentement/Chants de joie et chants et chants de peine/Peuple immense va chantant.»

La critique est élogieuse. Elle vante la simplicité et la sincérité du curé chantant. Un critique canadien parle d’une «poésie populaire en robe de tous les jours». Un autre déclare ne pas connaître «meilleur sermon que le sien». Le succès est tel que pour l’un de ses disques, on fournit au troubadour jésuite l’accompagnement d’un grand orchestre.
Le succès ne se dément pas. Une centaine de concerts par an. Plus de 850.000 disques vendus. Dans sa 2 CV ou sa Dauphine, le chanteur avale 100.000 kilomètres par an pour semer la bonne parole de ses chansons en France et à l’étranger. Il passe trois fois à l’Olympia ainsi qu’au Gaumont Palace et au Palais de Chaillot. À Berlin, 30.000 auditeurs sont réunis pour un seul concert.

Inévitablement, parce qu’ils manquent parfois d’imagination, les journalistes comparent le père Duval au chanteur poète que toute la France vient de découvrir, avec une réelle passion : Georges Brassens. Le père Duval sera «le Brassens en soutane». Ce dernier assiste avec amusement et bienveillance au succès de son confrère de music-hall. Le père Duval apparaît même dans la chanson «Les Trompettes de la renommée» (1962) : «Le ciel en soit loué, je vis en bonne entente/Avec le Père Duval, la calotte chantante/Lui, le catéchumène, et moi, l’énergumène/Il me laisse dire merde, je lui laisse dire amen.»
Sans le savoir, le chanteur de Sète assurait ainsi la célébrité posthume d’Aimé Duval dont la popularité se dissipa peu à peu – au point d’être aujourd’hui presque totalement oublié. Ces fameuses trompettes de la renommée ont sans doute été à l’origine du déclin de sa carrière. Le poids de la célébrité, le stress, l’exigence du public expliquent que le chanteur sombre dans la dépression et l’alcoolisme. Il racontera cette expérience douloureuse dans un livre assez bouleversant «L’Enfant qui jouait avec la lune ». Mais le succès ne reviendra pas. Le père Duval s’éteint en 1984 à l’âge de 65 ans. L’académie Charles Cros lui remettra un grand prix du disque à titre posthume.

À quelques années près, la route du père Duval aurait pu croiser celle d’un autre phénomène de la chanson, la religieuse dominicaine belge Jeanine Deckers dite sœur Sourire dont la chanson «Dominique, nique, nique…» est restée pendant un mois en tête des ventes dans une quinzaine de pays. La destinée tragique de cette religieuse (elle se suicida avec sa compagne à l’âge de 51 ans) inspira en 2009 un film au réalisateur belge Stijn Coninx avec Cécile de France dans le rôle de sœur Sourire.
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Gérard Goutierre

* Allez, la messe est dite

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Une réponse à Les chansons pies du père Duval

  1. Philippe PERSON dit :

    Si l’on excepte le « Roi des cons » où Brassens cite le shah d’Iran, le Négus, le petit roi de Jordanie, etc, je crois que le père Duval est le seul personnage vivant cité par le Sétois…
    Je crois avoir entendu une fois l’un de ses disques dans une émission de Philippe Meyer ou de Jean-François Kahn… On est dans le « Je me souviens »
    Merci donc pour votre intéressante contribution… On a presque envie d’écrire la version masculine de « Soeur Sourire »… Qui, pour jouer le père Duval ? Vincent Lindon ou François Cluzet (si on filme sa fin), ou Pierre Niney ou Guillaume Canet, si on le filme à l’époque des « Trompettes de la renommée »…
    Triste destin pour ce père Duval qui a trop forcé sur le pastis du même nom…

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