Diana Righini décrypte le mouvement des villes

 

20 octobre 2010, grand soleil rue Saint Benoît, une jeune femme se tient au milieu d’une des vitrines de la Hune, célèbre librairie du quartier Saint Germain. Pas la vitrine la plus exposée. On ne la découvre que si l’on s’attarde, que si l’on cherche à rencontrer sa ville.

Diana Righini, italienne et bosnienne, en perpétuel transit entre Paris et Berlin, s’y tient. Et elle, ne fait que cela, rencontrer ses villes, les décrypter, pour déceler quelle logique préside à leur destruction, ou à leur reconstruction. Assise au milieu de ses chantiers miniatures, de ses panneaux de bois, de ses bouts de villes, elle arrange sa devanture. Parfaitement dans son élément,  elle expose son premier recueil d’impressions sérigraphiées In Between / Entre deux.

« Je collecte des indices qui me permettent de constituer une vue d’ensemble du monde », affirme-t-elle.

Des morceaux de paysages, des chantiers, des espèces de ruines, des plans d’architecte, des sortes de cadastres schématisés, un chemin de fer du 19ème siècle enfoui sous terre, des cimetières d’avions, des façades escamotées, des images de réseaux qui évoquent des stratégies secrètes et… un tableau de Monopoly et une grue de chantier qui a l’air d’un beau jouet, côte à côte.

Le Monopoly : « Jeu de société où les joueurs doivent acquérir par concurrence des terrains et des immeubles jusqu’à en obtenir le monopole », nous dit le Larousse. L’image, insérée au milieu de parcelles de paysages en mutation, n’est pas anodine. Diana Righini dénonce le peu de cas fait à nos vestiges, à l’habitat de l’humain, lorsque les enjeux d’un certain capitalisme s’en mêlent.

« Nous ne prenons plus soin de nos ruines, déclare-t-elle, nous n’avons pas le temps. En Italie, on ne prend soin que des ruines visibles au touriste. On ne prend soin que d’un passé utile au profit présent, mais pas à celui des générations futures. À  Paris les chantiers sont cachés, les ruines plus qu’entretenues, tout est neuf et sur-blanchi. Berlin avait un potentiel. Ses espaces vides et autogérés lui permettaient d’être créative et expérimentale. La fermeture de lieux alternatifs comme les squats, et des espaces d’exposition comme le C/O pour la photographie, et la démolition du Palast der Republik sont le symbole de la conquête capitaliste de la ville. »

Sur  la première page du livre, un signal : juste une petite fenêtre perdue dans le grand vide blanc du reste de la feuille. C’est bien la fenêtre d’Alberti : ouverte sur le monde. En déchiffrant le patchwork urbain de l’artiste, le lecteur aborde sa vision de la société : elle nous révèle la métamorphose ultra rapide, voire fulgurante de nos paysages. Au péril de l’humain et des spécificités urbaines. Dans l’une de ses sérigraphies, elle montre notamment, l’homogénéisation des capitales, en mêlant plusieurs perspectives sur la même surface. De multiples horizons possibles au départ, une seule surface lisse à l’arrivée. Paris, Berlin, de futurs clones ?

Et cette dénonciation s’exprime aussi à travers le processus de fabrication du livre. Un à un, elle a conçu, imprimé, relié, de manière artisanale et méticuleuse, près de quatre-vingt ouvrages, pièces uniques d’une édition spéciale. Prendre le temps est indispensable à l’analyse.

En effet, la sérigraphie est une technique d’impression par transfert d’un calque imprimé ou dessiné sur un écran de soie. Celui-ci est insolarisé pour faire un négatif de l’image, imprimable à souhait sur tous les types de supports. Chaque image est divisée en un deux ou trois quatre couleurs, chaque couleur imprimée représente un écran de soie. Bref une création par couches, extrêmement longue.

« C’est un peu comme ça que je vois le monde, une superposition de couches qui dialoguent et qui créent des correspondances et des histoires entre elles », précise l’artiste.

Ce livre n’est pas spectaculaire, c’est pour ça qu’il est admirable : c’est en déchiffrant, que l’on découvre à la fois,  la devanture, le livre, la complexité du montage des sérigraphies, le jeu des perspectives ; et non en avançant tête baissée, vers un objectif déterminé et personnel. In Between / Entre deux tire l’observateur en dehors de son apathie individualiste.  Vers l’expérience. Et l’envie de comprendre le rend actif.

Si vous flânez suffisamment, l’esprit ouvert sur un monde en perpétuel changement, (et bien sans avancer obstinément les yeux fixés sur vos pensées), vous trouverez encore cet ouvrage d’une expatriée aux analyses subtiles. Rien à envier à celles de Wikileaks. Entre Deux / In between est en vente au Musée D’Art Moderne de la Ville de Paris, à la librairie Le Moniteur, à la Cité de l’architecture et du patrimoine, à la galerie Agnès B, à la librairie Yvon Lambert et visible sur le site de Diana Righini.

 

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