Adhésif ou pas

En soi l’objet est beau. Mais si ordinaire qu’il n’intéresse personne. Le rouleau de scotch, dont la marque est passée dans le langage commun, fait partie de ces objets du quotidien dont le design, pourtant soigné, n’émeut pas. Il en va ainsi d’un ouvre-boîte ou d’une paire de ciseaux à ongles. Leur épure a eu beau être élaborée avec les plus grands soins, ils ont le don d’invisibilité sauf au moment où on les cherche bien sûr, afin de s’en servir et non pour les admirer. Il y a eu quand même quelques artistes comme Marcel Duchamp ou Andy Warhol, ayant compris qu’en les signant, en les isolant ou en les colorant, on obtenait une œuvre par décret. Le décret revenant par ailleurs en force dans le champ linguistique à cause d’un président tout de même un peu névrotique sur les bords, c’est le moment ou jamais de ré-opérer quelques trucs dans le domaine de l’art. Très récemment l’artiste italien Maurizio Cattelan, ayant regardé tour à tour une banane et un rouleau de ruban adhésif, avait décidé de les associer en les fixant sur un mur. Mis à prix 800.000 dollars, l’ensemble a été adjugé 6,2 millions de dollars par Sotheby’s au profit d’un de ces nouveaux crypto-monnaie-maker. Entre en rester babas ou scotchés, de l’autre côté du miroir, les différences s’effacent. Continuer la lecture

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Pantouflard

La vie nous entraîne en des choix irrévocables. Ainsi devient-on couette ou draps bordés, super ou diesel, chocolat noir ou chocolat au lait, coupe ou flûte à champagne, Mozart ou Beethoven. Parfois au hasard d’une rencontre, et définitivement. Côté pieds, certains se réclament du camp « pantoufle ». Ils éprouvent par conséquent une notable réticence à l’encontre des mules. Des mules et de tous leurs équivalents cordonniers: claquettes, savates, babouches, sans omettre les horribles tongs. Pierre Bourdieu, fin observateur des hiérarchies sociales, aurait identifié dans la pantoufle l’apanage du bourgeois nanti, exploiteur de la travailleuse en savates. Avec tout ce que cela suppose de rapport à l’argent. Mais l’analyse par de tels facteurs socio-économiques ne tient pas. On trouve des pantoufles à des prix très modiques sur le site des Trois Suisses, tandis que des mules s’exhibent à plus de mille balles chez Louis Vuitton. Continuer la lecture

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Pierre Reverdy, chef de ligne du NORD-SUD

Créée en 1917 par Pierre Reverdy, tirée à peu d’exemplaires, la revue Nord-Sud est aujourd’hui l’une des plus recherchées par les collectionneurs. Son existence fut assez brève (seize numéros au total, jusqu’en octobre 1918) mais la qualité des signataires, les sujets traités, l’avant-gardisme affiché concourent à en faire une revue aussi importante pour l’histoire littéraire que Les Soirées de Paris quelques années plus tôt ou SIC que Pierre Albert-Birot fit paraître de 1916 à 1919. Le titre fait référence à la ligne de métro conduisant de Montmartre à Montparnasse, deux foyers parisiens importants en matière de création littéraire et artistique. Natif de Narbonne, Pierre Reverdy a 21 ans quand il arrive à Paris en 1910. Il s’installe au cœur de Montmartre, 12 rue Cortot (on y trouve aujourd’hui le musée de Montmartre). Il se destine à une modeste carrière de correcteur typographe. Mais surtout il a fait paraître ses premiers recueils de poèmes  dont « La Lucarne ovale », dont on constatera plus tard qu’il s’agit d’une œuvre majeure. Continuer la lecture

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La poésie qui vient avec le vent

Quand Antoine de Caunes interrogea Bob Dylan sur sa popularité auprès des Français, le chanteur-poète répondit à côté mais resta cohérent sur le strict plan géographique. En affirmant qu’à ses débuts, il s’était très vite intéressé aux poètes français, « Apollinaire, Rimbaud, ces types-là ». Sans doute en raison de la sortie très récente d’un film autour du folk-rock-singer américain, l’INA, toujours prêt à dégainer ses archives, vient de publier cette interview dans laquelle  Dylan fait référence à la poésie française. L’entretien a eu lieu en 1984 sur Antenne 2 dans un programme intitulé « Houba Houba ». Bob Dylan (1941-) y apparaît comme un quadragénaire assez beau et se sentant à l’évidence assez libre de répondre comme il l’entend. L’interviewer est bon, Dylan étant Dylan par ailleurs, cette archive est plaisante à visionner (1). Et pas seulement parce que le nom de deux auteurs majeurs comme Apollinaire et Rimbaud sortent de la bouche du grand homme. Qui s’essaie à la modestie avec une voix sonore comme celle d’un oracle grand fumeur. Continuer la lecture

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La diva phénomène

Même sans l’avoir vue sur scène, mais simplement sur un écran de télévision ou d’ordinateur, en un clin d’œil on se dit: « Je n’ai jamais vu un phénomène pareil. » On en a connu pourtant, dans l’histoire de l’opéra, des phénomènes, des bêtes de scène ou des voix d’ange, telles la Callas ou la Tebaldi, Montserrat Caballé ou Shirley Verrett, Natalie Dessay ou Anna Netrebko, et bien d’autres. On croyait avoir tout vu, jusqu’à l’apparition de cette arméno-lituanienne nommée Asmik Grigorian, qui aura quarante-quatre ans cette année. Aucune diva n’a jamais investi la scène lyrique comme elle. Son allure, sa démarche, ses attitudes, la moindre inflexion de son visage sont parfaitement naturelles. D’une totale modernité. Comme dans la vie ou au cinéma. On pense au choc que produisit à l’écran Louise Brooks dans les années 1920, avec sa coupe à la garçonne et son jeu si moderne. On a beau dire que Callas était une grande actrice, comme Dessay le fut ou comme Netrebko l’est encore, les voilà désormais démodées. Démodées par cette mince brune à la peau pâle, aux yeux bleu clair et aux longs cheveux bruns. En parfaite actrice, son corps, elle en fait ce qu’elle en veut. Quant à sa voix, tout au service du personnage, elle aussi est inclassable et singulière, avec son timbre lyrique puissant, fauve, allant des graves aux aigus percutants qui nous laissent stupéfaits. Continuer la lecture

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Doc de saison

Il n’en a pas l’air comme ça, à virevolter sous une pluie battante, mais Gene Kelly effectue cette scène mythique avec quarante de fièvre. Coréalisateur avec Stanley Donen, du film « Dansons sous la pluie » sorti en 1952, Gene Kelly (1912-1996) était un perfectionniste têtu, derrière et devant la caméra. La scène mythique a été tournée en deux jours avec deux fois six heures de pluie artificielle. Si bien qu’à force de tenter le diable, le danseur a fini par tomber malade au point d’alerter le thermomètre. Néanmoins la séquence a été achevée avec le sourire et sans donner l’impression du moindre effort. Comme l’expliquait l’intéressé, il fallait compter avec des heures, des jours et des semaines de labeur, avant de donner l’impression au public que toute chorégraphie avait été improvisée la minute précédant le show. Intitulé « Gene Kelly mène la danse », le documentaire de Claudia Collao est un film de saison, épatant de bout en bout et visible sur Arte, jusqu’au 1er avril. Modeste, bosseur, engagé côté démocrate, Kelly contredit encore l’adage selon lequel, personne n’est irremplaçable. Il disait par ailleurs qu’il était un prolétaire tandis que Fred Astaire, l’un de ses partenaires, appartenait aux aristocrates. Les deux faisaient la paire. Continuer la lecture

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Nadia Léger, politiquement peint

Lorsque l’art et la politique interagissent, le résultat se nomme « la propagande ». Le pouvoir utilise l’art, pictural ou statuaire, pour célébrer des personnalités marquantes, ou pour produire un certain type de réalité humaine ou sociale, par l’imposition de figures présentées comme exemplaires. Bonaparte a abondamment fait usage de ce mélange des genres pour fonder le mythe napoléonien. Les régimes totalitaires du XXe siècle l’ont poussé à son paroxysme. Les nazis ont forgé « l’art allemand », les soviétiques ont défini le « réalisme socialiste ». Très curieusement, sur des pré-supposés différents, le résultat visuel apparaît très voisin. Les uns vont célébrer l’identité nationale; entre ordre et nature, illustrer la noblesse du travail et le caractère central du Volk (peuple), les autres vanter l’avenir radieux, louanger le sens communautaire du peuple uni par les idéaux marxistes. Cela donne des œuvres proches du chromo. Parallèlement est abondamment représenté le personnage central, le Führer, d’une part, le génial Staline (ci-dessus par Picasso), de l’autre. L’exposition en cours consacrée à Nadia Léger par le musée Maillol nous montre comment un engagement politique va influer sur l’œuvre d’une artiste. Elle débute et se termine par le panthéon du parti dont elle est membre, Lénine, Staline, Marcel Cachin, Maurice Thorez, Benoit Frachon, Pablo Picasso, etc…
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Interruption du signal

L’image ci-contre est l’équivalent de la mire de l’O.R.T.F lorsque les programmes s’interrompaient. Créée pour l’occasion, elle indique qu’il en est de même pour Les Soirées de Paris. Les publications reprendront dans la mesure du possible. PHB Continuer la lecture

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L’art mis en bière

Ce qui relie différentes affaires d’art et de littérature, c’est en l’occurrence un triangle rouge. Celui caractérisant une bière existant depuis le 18e siècle en Angleterre,  à Burton-on-Trent (ou upon Trent), la Bass. Elle apparaît une première fois dans une célébrissime toile que Manet a peinte en 1822, « Un bar aux Folies-Bergère ». Il y a la serveuse bien sûr, celle qui focalise le regard, mais, sur la gauche et sur la droite, on discerne deux bouteilles estampillées d’un triangle écarlate. On la repère une seconde fois dans une œuvre de Georges Braque intitulée « Pal (Bouteille de Bass et verre sur une table) ». Le triangle a été omis, mais, vu qu’il s’agit d’une composition cubiste, on peut le voir ou le deviner partout. De même, comme le raconte André Salmon dans ses souvenirs littéralement sans fin, cette bière apparut également dans une revue qu’il avait fondée avec Apollinaire, le baron Mollet et Nicolas Deniker: Le Festin d’Ésope. Apollinaire avait pour l’occasion déniché un annonceur que l’on devine, avec le slogan publicitaire suivant: « Bière Burton, inventée par Lord Burton, sincère ami de S.M. Edouard VII ». Continuer la lecture

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Un trouvère dans la finance

Sans doute à la Closerie des Lilas où les poètes d’obédiences variées prenaient leurs quartiers en terrasse, André Salmon vit un jour l’écrivain américain Stuart Merrill (1863-1915), consulter Apollinaire dans le cadre d’une opération financière « difficile ». Selon Salmon, le seul parmi eux à avoir compris qu’Apollinaire n’y connaissait rien en finances, était son pair Paul Fort (1872-1960). La scène a de quoi faire sourire lorsque l’on y songe, s’agissant d’un jeune homme qui toute sa vie eut du mal à joindre les deux bouts. Mais Stuart Merrill avait une excuse pour sa méprise, car l’auteur du « Pont Mirabeau », ne vivant pas de sa plume au tout début de sa vie, avait trouvé à s’employer dans une banque. Salmon (1881-1969) se souvenait de lui « une règle à la main, les doigts tachés d’encre rouge », debout et penché sur un pupitre familièrement dénommé « chameau ». Il reste de cette drôle de période, une photographie où l’on voit Apollinaire en costume au milieu de ses collègues, lesquels l’avaient surnommé « Kostro » eu égard à « Kostrowitzky », son vrai patronyme. Dans une revue-souvenir publiée voici un peu plus de 100 ans (ci-dessus), André Salmon racontait comment, suite à un concours de circonstances « Kostro » allait devenir journaliste et même rédacteur en chef. Continuer la lecture

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