Un trouvère dans la finance

Sans doute à la Closerie des Lilas où les poètes d’obédiences variées prenaient leurs quartiers en terrasse, André Salmon vit un jour l’écrivain américain Stuart Merrill (1863-1915), consulter Apollinaire dans le cadre d’une opération financière « difficile ». Selon Salmon, le seul parmi eux à avoir compris qu’Apollinaire n’y connaissait rien en finances, était son pair Paul Fort (1872-1960). La scène a de quoi faire sourire lorsque l’on y songe, s’agissant d’un jeune homme qui toute sa vie eut du mal à joindre les deux bouts. Mais Stuart Merrill avait une excuse pour sa méprise, car l’auteur du « Pont Mirabeau », ne vivant pas de sa plume au tout début de sa vie, avait trouvé à s’employer dans une banque. Salmon (1881-1969) se souvenait de lui « une règle à la main, les doigts tachés d’encre rouge », debout et penché sur un pupitre familièrement dénommé « chameau ». Il reste de cette drôle de période, une photographie où l’on voit Apollinaire en costume au milieu de ses collègues, lesquels l’avaient surnommé « Kostro » eu égard à « Kostrowitzky », son vrai patronyme. Dans une revue-souvenir publiée voici un peu plus de 100 ans (ci-dessus), André Salmon racontait comment, suite à un concours de circonstances « Kostro » allait devenir journaliste et même rédacteur en chef. Continuer la lecture

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La Charente à quatre mains

On connaît le piano à quatre mains, mais un peu moins le livre à quatre mains. En voici un intitulé « 1944- La Charente limousine se libère », tout juste sorti avant la fin de l’année dernière, pour célébrer les quatre-vingts ans de la Résistance locale. Sur la couverture de cet ouvrage de quatre cent pages, figurent deux noms, Benoît Savy et José Délias. Le dernier est né à Confolens en 1953, le premier suivra son exemple en 1975. La même différence d’âge s’applique aux deux autres contributeurs, Céline Déveza (1983) et Joël Giraud (1953). Tous ces enfants du pays se distinguent par un amour viscéral de la région. Ainsi José Délias, ancien agent d’entretien du collège de Chabanais, s’est improvisé historien local, signant une trentaine d’ouvrages et de contributions, tandis que son partenaire Joël faisait de même pour la gloire des Confolentais durant la seconde guerre mondiale. Le troisième larron Benoît, docteur en géographie physique, s’est attaché à « une mise à distance des témoignages directs ou indirects recueillis sur la période ». (les témoignages étant souvent plus que suspects.) Quant à Céline, la petite dernière, elle est cheffe de projet du Pays d’Art et d’Histoire du confolentais, Continuer la lecture

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Un village qui n’oublie pas Apollinaire

La jeune femme souriait à la personne qui la photographiait. Laquelle était un mari, une amie, un ami, une sœur, un frère, on ne sait pas. Cette photo a été agrandie sur un panneau en bord de mer sur la commune de Kervoyal dans le Morbihan. Elle illustre surtout la maison en arrière-plan ayant survécu, selon la légende que l’on peut lire, à la tourmente de la Seconde Guerre mondiale. On apprend aussi que la photo fut prise en 1948. L’auteur n’est donc pas mentionné. Cet agrandissement est très touchant. Il fige à l’évidence un moment de bonheur. Il est possible que celle qui cache ses yeux avec d’élégantes lunettes de soleil ne soit plus de ce monde. Mais la magie de l’image opère toujours sur le promeneur qui passe, avant qu’il ne s’engage sur la « Promenade Apollinaire », celle qui longe une anse, face à l’océan. Les environs immédiats sont très séduisants, hormis un bunker dûment tagué sur la plage. On ne s’ennuie quasiment jamais sur une plage. La mer interpelle au point de contraindre en douceur nos pensées à faire une pause. On en repartirait presque, comme Arthur Rimbaud, avec des semelles de vent. Continuer la lecture

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C’est juste le petit Jésus qui range ses bosons

Et en plus il y a un boson de jauge. Comme si nous n’avions pas déjà fort à faire avec le boson de Higgs, celui que les fins esprits désignent comme la particule de Dieu. Notamment parce que cette dernière est la forme d’énergie fondamentale qui relie un peu tout. Et comme le racontait le magazine Geo l’automne dernier, on s’attend à ce qu’un grand jour, de lassitude, le boson de Peter Higgs prenne sa retraite, laissant tout l’univers s’écrouler derrière lui. Nos visages se fragmenteront alors devant notre miroir où nous étions en train d’étaler une crème de jour, avec bêtement l’idée que la journée promettait d’être longue. Le temps de crier « chéri viens voir, il se passe un truc louche », ce sera trop tard, le grand aspirateur cosmique aura signé la fin de la récré. Aux enfants il faudra dire que c’est juste « le petit Jésus qui range ses jouets » et ce ne sera pas complètement faux. Un avantage est que nos plus coriaces voisins de palier disparaîtront dans le grand trou noir, le « père de tous les trous noirs », ainsi le disent en rigolant les physiciens quand ils ne sont plus à jeun. Continuer la lecture

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Cabu in memoriam

Ce 7 janvier 2015, la confirmation s’inscrivit en sous-titre, sur l’écran de l’info-en-continu: « un peu après 11 heures, avant le déjeuner, Jean Cabut , dit Cabu est mort assassiné…. »
Aussitôt, les survivants des années Pilote prirent le deuil du créateur du Grand Duduche, potache persifleur payant ses insolences d’un nombre joufflu d’heures de colle. Les générations suivantes évoquèrent le complice de Dorothée, aux temps de Récré A2, le dessinateur le plus populaire des cours d’école. Les balles des frères Kouachi, venus « venger le Prophète » leur arrachaient « une part de notre enfance » pensèrent-ils à l’unisson. Le lendemain, les journaux ciselèrent son oraison funèbre: « une silhouette douce, obstinée, poétique et immuable », « toujours de bonne humeur, avenant, persévérant, souriant », un « collégien de 76 ans ». Mais la réalité s’avérait beaucoup plus complexe. Derrière cet angelot en sucre filé sévissait un caricaturiste aussi redoutable que talentueux. « L’agneau de la bande » d’Hara-Kiri, venu s’arsouiller au pays des « bêtes et méchants », avait le trait féroce. Il était né un 13 janvier (1938).
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Le moment venu

L’infirmière pousse le piston de la seringue, l’anti-douleur chemine dans les veines de Martha et, l’on voit son visage s’illuminer puis disparaître dans la sensation ineffable du soulagement. Elle c’est Tilda Swinton, celle qui tient le rôle de la malade dans le dernier film de Pedro Almodovar, « La chambre d’à-côté ». Pas de maquillage, nul fond de teint, nul anti-cernes, le visage creusé, le regard sec, elle correspond sans aucun doute à l’idée que l’on se fait d’une période de chimiothérapie. Encore qu’il doit y avoir des femmes qui ne sauraient renoncer à un minimum de présentation quelles que soient les circonstances. Dans la chambre se tient son amie Ingrid, jouée par Julianne Moore. Cette fois elle change de poste. En 2015, c’était elle la malade dans « Still Alice », frappée par le sort d’un cerveau dont la mémoire se délitait inexorablement. Pourquoi un titre aussi plat? Parce qu’il correspond à la volonté de Martha d’en finir avec la vie et qu’elle a demandé à Ingrid d’attendre dans la chambre à côté, que la pilule fatale fasse son effet. Faut-il pour ce film parler d’un « coup de maître » comme l’a écrit Vanity Fair? Disons qu’il s’agit d’un bon film ce qui est déjà pas mal. Sachant que beaucoup de critiques ont souvent du mal à se situer entre la perception extatique d’un film et la mention « bon pour la benne ». Continuer la lecture

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Raconter le monde

Celle qui a passé une bonne partie de sa vie à raconter le monde a choisi de passer de l’autre côté de la caméra ou plutôt de passer de l’écran au livre. Maryse Burgot appartient au club très fermé des femmes reporters de guerre ou encore de celles qui veulent tout: un métier fait de voyages et d’aventures et aussi la famille et les enfants. Elles ont surtout accepté de côtoyer le danger et la mort et assument pratiquer un métier dangereux comme en témoignent certaines de leurs mésaventures: la tentative de viol de Mouammar Kadhafi sur Mémona Hintermann en 1984 ou la blessure de Patricia Allémoniere en Afghanistan. Maryse Burgot, elle, a vécu 2 mois de captivité dans la jungle de Jolo aux Philippines en juillet et août 2000 aux mains du groupe séparatiste musulman Abu Sayyaf, considéré à l’époque comme un des mouvements terroristes et mafieux les plus violents au monde. De sa captivité à Jolo elle dit: « Une seule fois dans ma vie j’ai connu le désespoir et c’était à Jolo. Les conditions de détention ne changent rien au puits de détresse dans lequel je m’enfonce psychologiquement au fil des jours ». Continuer la lecture

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« John » Cocteau

La presse anglaise consacra, pour cet écrivain français, une large place. Elle avait en effet suivi, avec une rare intensité, l’élection, puis la réception de Jean Cocteau à l’Académie française, en 1955. On pouvait parler d’événement puisque pas moins de dix mille personnes voulurent y participer. D’ailleurs, c’est surtout l’aspect mondain qui captivait les journalistes anglais. Avec des détails accrocheurs: Cocteau était habillé par Lanvin et son épée avait été dessinée par Picasso (voir commentaires à ce propos ndle). De surcroît, comme le souligne Olivier Rauch dans un livre qui vient tout juste d’être publié, les Britanniques aimaient ce pays, lequel savait défendre à ce point sa propre langue. Depuis sa jeunesse, Cocteau  (1889-1963) a longtemps misé sur l’Angleterre et l’île le lui a bien rendu jusque bien après sa mort. Olivier Rauch a été bien inspiré de se saisir de ce prisme original, géographique, dans la mesure où le profil du poète et artiste apparaît souvent sous un jour différent, « so british » justement. Continuer la lecture

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La troisième voie

Heureux ceux qui ne connaissent rien au lied et qui vont découvrir le dernier disque du ténor allemand Julian Prégardien ! Vingt ans que Julian y pensait, à celui-là, à cette « Belle meunière » (« Die schöne Müllerin ») composée par Schubert vers vingt-six ans. Une apogée et une révolution musicale que ces vingt poèmes de Wilhelm Müller exaltant la nature, s’enchaînant en une histoire hautement passionnée, en contrepoint parfait avec le piano, un opéra en miniature, en quelque sorte. Schubert renouvellera l’expérience quatre ans plus tard, un an avant sa mort, avec « Le voyage d’hiver » (« Winterreise ») du même poète. Si la tonalité des deux cycles se révèle très différente, ils sont devenus un Graal, un passage obligé, pour les grands ténors allemands tels Dietrich Fischer-Dieskau, Peter Schreier, Fritz Wunderlich, Christoph Prégardien (le papa de Julian). Ou encore pour notre beau Jonas Kaufmann, qui un an après avoir été révélé en 2010 sur la scène de l’Opéra Bastille dans un inoubliable « Werther » de Massenet, décida d’enregistrer « La belle meunière » parce qu’il venait d’avoir précisément quarante ans. Et il estimait que pour chanter ce cycle écrit pour un ténor, il fallait avoir « une voix jeune – et une âme jeune ». Continuer la lecture

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Avec son œuvre lumineuse, Chan Yue Hin partage son émerveillement de la nature

L’art souriant du photographe et sculpteur, Chan Yue Hin, raisonne comme une poésie à la musicalité pétillante. Une irrésistible joie de vivre, rafraîchissante et réconfortante, transpire de la plupart de ses œuvres. Sans doute reflètent-elles l’allégresse de l’artiste lorsqu’il est plongé tout entier dans son élément, la nature, sa source d’inspiration première. « J’ai besoin d’espace. Quatre choses sont très importantes pour moi, les beaux-arts, la nature, la verdure et la tranquillité », confie-t-il. Naturellement, au lieu de vivre en ville, Chan Yue Hin a pris ses quartiers dans le village de Lam Tsuen, au cœur de la campagne bucolique de Tai Po (Nouveaux Territoires). C’est ici, loin des gratte-ciels, qu’il s’est installé après avoir vécu vingt ans en France, diplômé de l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris dans les années 70. Son atelier se situe dans le parc de sa maison ancestrale, havre de paix fleuri en toute saison, qu’il a lui-même agencé avec une délicate harmonie. Propice à la rêverie créative, ce refuge fait également office de musée intimiste. Chaleureux, l’artiste hongkongais qui parle le Français couramment, est ravi d’introduire à son univers enchanteur les visiteurs en quête de respiration, à l’écart du tumulte urbain. Continuer la lecture

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