Paquita et Consuelo

Sa popularité, elle ne la devait pas à son physique. Robuste et bien en chair, Paquita la del Barrio (« Paquita, celle du quartier ») ne possédait pas les mensurations exigées d’un concours de beauté. Mais la chanteuse mexicaine immensément célèbre dans son pays, qui vient de disparaître à l’âge de 77 ans, avait un atout bien plus important: l’authenticité. Le public le plus populaire se reconnaissait en elle. Née dans un milieu pauvre à Veracruz, Paquita (diminutif de Francesca) manifesta très tôt des dons musicaux qu’elle mit au service de chansons très revendicatives sur la condition féminine, dans le pays qui a pratiquement inventé le machisme. L’une des plus populaires de ces typiques « Rancheras » s’intitulait « Tres veces te engañé » (1). Elle s’adressait au mari  autoritaire et volage dont elle se vengeait, elle qui était « sottement » restée fidèle: « Trois fois je t’ai trompé; la première fois par colère; la deuxième fois par caprice; et la troisième par plaisir. Et au bout de ces trois fois, sache que je ne veux plus te voir. » Sur scène, elle ponctuait sa chanson d’une formule assassine à l’adresse du mari:  « ¿Me estas oyendo, inútil ? » (« Tu m’entends, bon à rien? »). Continuer la lecture

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Majuscule!

Contrairement aux points de suspension chargés de sous-entendus, le point d’exclamation donne au mot qui le précède, l’effet d’une déflagration. Dans les messages courts, dans les e.mails, il est partout. Pour donner de la force à l’amour, apporter de l’énergie à l’indignation, amplifier le triomphe ou l’insulte, il n’a pas son pareil. Sans lui tout paraît fade, il est l’épice de l’écriture. Un « bon anniversaire » ou un « je t’aime », sans cette ponctuation gonflée au kérosène, et tout devient terne. Suivi de ce signe, un « je te quitte » en arriverait presque à être gai, au point qu’il est parfois suivi d’un « bon vent! » sur le même ton et pour solde de tout compte. Cela devient problématique de s’exprimer sans lui, sauf à passer pour le cousin d’un croque-mort au teint olivâtre. D’ailleurs dans ce domaine et c’est pour dire, il reste recommandé de ne pas utiliser le point d’exclamation après le mot condoléances. L’effet serait fâcheux. Il peut convenir en revanche pour le « repose en paix », dans la mesure où il s’agit alors d’un cri destiné à porter loin en hauteur, afin d’accompagner l’âme chérie qui s’élève. Le point d’exclamation relève donc de l’écriture vitaminée. Mais sur-utilisé, notons qu’il a tendance à devenir contre-productif, à atténuer ce qu’il est censé mettre en valeur. Continuer la lecture

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Scabreux

Tous les témoignages concordent: en 1955, « L’Origine du monde », de Gustave Courbet, fut accrochée dans le bureau du docteur Jacques Lacan, à Guitrancourt, près de Mantes. Cachée, à la demande de Sylvia (Sylvia ex-Bataille, née Maklès , seconde épouse du docteur), derrière un panneau orné d’un paysage esquissé, réalisé par André Masson, son beau frère. Rapport aux voisins et à la femme de ménage « qui ne comprendraient pas », vue la particularité du sujet.  Cachée fut le destin initial de cette œuvre. Cachée, en 1866, dans la salle de bain de son premier propriétaire, Khalil- Bey, derrière un rideau vert. Des dettes de jeu le conduisent à la céder, trois ans plus tard. Le tableau disparaît jusqu’en 1889.
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Renée Hamon, le nom effacé d’un petit corsaire

La probabilité pour que deux personnes aient en même temps l’idée de rendre visite à Renée Hamon, là où elle est inhumée, est bien faible. Sauf miracle que l’on espère toujours un peu, instinctivement, la visite est solitaire. On distingue encore les deux noms de famille, sur la pierre couverte de lichens, située dans le quartier « C » du cimetière Saint-Gildas à Auray (56). Gontier, c’est là son origine limousine par sa mère. Et Hamon, son patronyme de naissance, qu’elle doit naturellement à son père breton. Cette grande amie de Colette (1873-1954) est née en 1897 à Vitré (35) et elle est décédée d’un cancer en 1943 à Vannes, avant d’être inhumée à Auray. Renée Hamon vouvoyait son aînée qui la tutoyait en retour, mais l’attachement était grand. Elle l’appelait son « Petit corsaire » car Renée était une aventurière, laquelle partit un jour en bateau, croiser dans les eaux tièdes du Pacifique. Dix ans après la mort de Colette, un livre fut publié à son sujet, intitulé « Lettres au petit corsaire ». Une centaine de lettres qui révélaient une affection mutuelle évidente. Sans compter l’admiration sans bornes que lui vouait sa destinataire. Continuer la lecture

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Transmission

Le critique-jardinier Alain Lompech, ancien du Monde et de France Musique, parle d’Alexandre Kantorow, vingt-sept ans, comme « le fabuleux pianiste que le monde entier nous envie ». Il dit aussi: « Il joue du piano comme un dieu. » Également salué par la critique comme « la réincarnation de Liszt » (Fanfare Magazine), le fils du violoniste Jean-Jacques Kantorow est incontestablement « le plus grand pianiste de sa génération ». À ce propos, on évoque depuis longtemps « l’école de piano russe« , mais jamais « l’école de piano française », alors que nous sommes bénis des dieux: aux cinquantenaires comme Frank Braley, Éric Le Sage ou Jean-Efflam Bavouzet, ont succédé les quarantenaires comme Bertrand Chamayou ou David Fray, puis les trentenaires comme Rémi Geniet, Adam Laloum ou Lucas Debargue. Des exemples parmi d’autres. Continuer la lecture

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Intuitions poétiques

La poésie étant notoirement inutile -et probablement tout autant indispensable- certains de ses officiants se permettent d’aborder des domaines réservés en principe à d’autres, plus habiles dans le maniement des concepts. Avec une pointe d’ironie, Émile Cioran avait qualifié l’un de ces penseurs plus ou moins officiels « d’entrepreneur d’idées » (1). À l’inverse des étudiants et des professeurs, poètes et artistes ne s’embarrassent généralement pas d’analyse intellectuelle pour transmettre leurs émotions.  Leur qualité de « voyant » (on ne remerciera jamais assez Arthur Rimbaud !) leur permet d’étonnantes prémonitions. Continuer la lecture

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Le lointain sens de la table

On nous raconte qu’en accostant du côté de Marseille, avec leurs bateaux chargés d’amphores emplies de vin et en poussant même jusqu’à Lattes (Hérault), les Étrusques nous ont amené le sens du banquet et aussi celui de « faire société » autour d’une activité. D’après ce que l’on a pu retrouver dans les tombes ou les métropoles émergées, ils pensaient que dans l’Hadès (l’au-delà), une partie non négligeable de la journée était consacrée à fêter cette deuxième existence, à festoyer autour d’une table. Les fouilles opérées de part et d’autre de la mer Tyrrhénienne, c’est-à-dire entre l’Italie, la Corse et la Sardaigne, laissent entendre qu’ils avaient le sens de la célébration, du moins pour les plus aisés, ceux qui avaient la possibilité de laisser des traces, y compris ad patres. Certaines tombes, certains hypogées étaient même la copie de leur maison de surface ce qui a permis aux archéologues d’avoir une bonne idée de cette civilisation qui vécut dans la prospérité (de l’exploitation de la vigne ou de la mine) du 9e au 1er siècle avant Jésus-Christ, jusqu’à ce que la société romaine notamment, les écrase ou les assimile. Un documentaire visible sur Arte jusqu’au 21 avril, nous captive facilement sur ce sujet, durant 90 minutes. Continuer la lecture

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Attention gallinacés

L’arrêt de la cour d’appel de Riom (7 septembre 1995) est resté fameux dans la sphère juridique, en décrivant ainsi la poule: « animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard); que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires. » À l’origine de ce commentaire, un conflit de proximité. Le sieur Rougier estimait trop bruyant et malodorant le poulailler de ses voisins. Le tribunal de Clermont-Ferrand lui avait donné raison, en ordonnant la destruction. Jugement, par conséquent, annulé en appel. Arrêt cependant contesté en cassation, la cour estimant trop générales les considérations relatives aux volailles, et, par ailleurs, « étrangères aux faits de l’espèce« , étant souligné que « nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage », le dossier évoquant également des écoulements de purin très désagréables. Continuer la lecture

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À force de courbettes

Daniel Kehlmann s’est fait connaître mondialement en 2005 comme l’enfant prodige des lettres allemandes en publiant à trente ans « Les arpenteurs du monde », biographies mêlées de deux savants allemands, celles du naturaliste Alexander von Humboldt et du mathématicien Carl Friedrich Gauss. Le jeune écrivain austro-allemand avait trouvé son filon, renouvelant le roman dit historique en demeurant à la fois très fidèle aux vies des personnages et intensément personnel. Après plusieurs autres expériences similaires, il récidive aujourd’hui en publiant « Jeux de lumière », ou le destin de Georg Wilhem Pabst, mêlant la réalité aux rêves, le réalisme au fantastique, la satire à l’horreur des situations. Mais pourquoi Pabst ? Parce qu’il est le découvreur à la fois des légendaires Greta Garbo et Louise Brooks ? Parce qu’il est, avec Fritz Lang et F.W. Murnau, l’un des trois fondateurs du cinéma allemand, les grands maîtres de cet art total que fut le muet ? Parce que comme toute la bande des réfugiés du Reich, juifs ou ayant une femme juive, il chercha lui aussi le salut en s’embarquant pour Hollywood ? De Lubitsch à Billy Wilder, de Robert Siodmak à Otto Preminger ou Fritz Lang, de Fred Zinnemann à Douglas Sirk, ils sont tous là, même si Sirk ne se joint pas à la bande d’immigrés, qui ne lui plaît pas (voir mon article du 10 mars 2023). Continuer la lecture

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Tricheurs au sommet

Dans le monde de la triche, l’honnêteté est un univers bizarre dont on ne peut que deviner l’existence, derrière un miroir sans tain. Les gens honnêtes mais cupides constituent une matière de choix pour les arnaqueurs. Ils sont trois: Roy, Myra et Lilly. Le premier est interprété par John Cusack, la seconde par Annette Bening et la troisième par Anjelica Huston. Cette dernière est impériale dans « The grifters » ce film sorti en 1990 et qui revient enfin sur les écrans, après des années d’absence. Arte a eu la bonne idée de le programmer pour les 3, 6 et 14 mars. C’est une pépite à ne pas rater et il est même recommandé de le regarder plusieurs fois, tellement ce long métrage tiré d’un roman de Jim Thomson frise le sans-faute. Rien que du beau linge en outre puisqu’il est notamment produit par Scorcese et surtout réalisé par Stephen Frears. Une œuvre qui hantait la mémoire de ceux qui l’avaient vu à la sortie, guettant par la suite son apparition dans les bacs à DVD ou sur les plateformes de streaming. Arte a la main  lourde en ce moment en bons produits d’évasion et Dieu sait que les idées d’échappée nous taraudent. Continuer la lecture

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