Les mails de Céline à Henri Mondor

Photo: Les Soirées de ParisLe lieu un peu confidentiel se prête aux découvertes. Un beau jour de 2010, Cécile Leblanc, enseignante à l’université, poursuit des recherches à la bibliothèque Jacques Doucet, sise près du Panthéon au-dessus du magasin Picard. Elle mène un travail sur le rapport entre la littérature et les sciences et s’intéresse pour ce faire au chirurgien Henri Mondor, également homme de lettres. Et puis…

…elle tombe « sur une vieille fiche avec une cote étrange » a-t-elle raconté aux Soirées de Paris. Reliée à cette fiche était remisée quelque part une boîte en carton publicitaire vantant « des amandes grillées », fermée par des ficelles. Elle ne pouvait être ouverte qu’à partir de 1998 mais personne n’avait eu l’idée de l’ouvrir depuis cette date.

Cécile Leblanc, a alors éprouvé dit-elle et toute proportion gardée, la même émotion que les découvreurs de la grotte de Lascaux puisqu’à l’intérieur se trouvait une correspondance inédite entre Henri Mondor et Céline, le fameux auteur du « Voyage au bout de la nuit », également connu pour la violence de ses idées antisémites.

Peut-être parce que son cœur penche davantage « du côté de chez Swann », cette agrégée de grammaire qui s’amuse à se définir comme « une souris de bibliothèque », avoue ne pas avoir réalisé immédiatement la valeur de sa découverte. Son ancien directeur de thèse lui ayant confirmé qu’il s’agissait de quelque chose d’important compte tenu de la notoriété toujours vive de Céline de par le monde , Cécile Leblanc s’est mise au travail et la correspondance oubliée (parmi laquelle se trouvait aussi des lettres de Pétain) vient d’être publiée chez Gallimard.

A vrai dire ce petit ouvrage (170 pages) est passionnant. Dans son prologue remarquable de clarté et d’enseignements, Cécile Leblanc nous explique le double objet de la correspondance. Céline cherchait d’une part le soutien d’une personnalité incontestable dans le cadre de sa réhabilitation et, d’autre part, bénéficier de l’influence multidirectionnelle du chirurgien pour intégrer la Pléiade, sommet d’édition tout aussi indépassable que prestigieux (du moins pour ceux qui y croient).

Photo: Les Soirées de Paris

Photo: Les Soirées de Paris

Cela commence par des « mon cher maître et ami » et cela peut se terminer par « votre bien respectueux, reconnaissant et amical », le tout signé Louis Ferdinand Destouches. Afin de réaliser ses objectifs, Destouches se couche, mais c’est, mine de rien, un habile manipulateur. Lorsque Mondor lui adresse son projet de préface (publié en annexe), Céline peut jubiler car il découvre que le contenu est l’exact miroir de ce qu’il a voulu lui faire écrire.

Héros de la guerre de quatorze, gravement égaré dans la haine durant la seconde, Céline fascine toujours au point que ce livre se lit d’un trait. Malraux parlait de lui en évoquant à la fois le « pauvre type » et le « grand écrivain ». Cette correspondance met davantage en scène le premier avec parfois la richesse de style du second, tout occupé qu’il est sur la fin de sa vie, à réécrire son histoire et à manœuvrer pour sa notoriété. Son entrée dans la Pléiade a été effective quelques semaines après sa mort en 1961. Henri Mondor est mort l‘année suivante. Prochain opus de Cécile Leblanc, Proust et la musique.

 Gallimard: 18,50 euros

Petit extrait des lettres à Henri Mondor : « Grâce à vous et à Paulhan –je dois vous paraître bien sensible, bien vétilleux. C’est-à-dire que depuis tant d’années de grands et petits malheurs humains et biologiques on se sent devenir conne, vieille fille ou bibelotier…tout minutieux des douleurs et des joies. »

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3 réponses à Les mails de Céline à Henri Mondor

  1. Pierre DERENNE dit :

    Ah ! donc Céline en plus d’être un écrivain, est un homme.

  2. isabel violante dit :

    Jolie aventure de chercheuse spéléologue, et très très jolie formule pour cerner Céline, « gravement égaré dans la haine ». Merci Philippe!

  3. Patrick Aussannaire dit :

    Le fil de l’intrigue nous amène à Louis Ferdinand Destouches. Un personnage qui ne pourra jamais être résumé ni en deux lignes ni en mille. Céline / Louis Ferdinand Destouches : ou le pile de notre lumière et la face cachée de nos aigreurs. Je demanderai qu’on m’offre le livre à mon prochain 20 éme anniversaire…

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